Le 24 février prochain aura lieu le 1er anniversaire de l’attaque de l’armée Russe en Ukraine, appelée par le gouvernement russe “Opération militaire spéciale” et par les puissances occidentales “guerre d’agression contre l’Ukraine”. Le vocabulaire est aussi une arme de guerre, et il faut être très prudent et attentif aux termes utilisés, dès lors qu’on commente des événements militaires. Sans rentrer ici dans le débat, je noterai seulement que ces mêmes pays occidentaux ont eux-même utilisé largement le terme “Opération militaire”, voire parfois “Opération de paix”, lorsqu’ils utilisèrent leurs armées contre des pays souverains, on peut citer entre autres les exemples de la Serbie (“Opération force alliée” en 1999) ou de la Libye (“Opération Harmattan”, nom utilisé pour l’Armée Française en 2011).
Le Mouvement de la Paix s’est exprimé dès le début du conflit de manière claire. Il a renouvelé une expression forte par un communiqué du 27 janvier 2023, intitulé “La France doit dire non au choix insensé de l’escalade militaire en Ukraine”. Il a également rassemblé un large collectif d’organisation, le collectif des marches pour la paix (plus de 200, dont le PCF, la CGT, EELV, la FSU …) qui appelle à organiser des rassemblements, manifestations et tout type d’initiatives du 23 au 25 février. Au niveau mondial, le Bureau International pour la Paix (dont est membre le Mouvement de la Paix) a émis également un appel (reproduit ci-dessous) dont les mots d’ordre sont :
- Concernant l’Ukraine particulièrement : ” Non à l’escalade de la guerre en Ukraine – Cessez-le-feu – Solution négociée”
- Plus généralement : “Les peuples du monde entier veulent la paix – Non à toutes les guerres en cours – Non à la militarisation des relations internationales“
Il est intéressant, je pense, de comparer ces trois textes (déclaration du Mouvement de la Paix, appel du collectif national et appel international du BIP) pour saisir la portée, les nuances et, éventuellement, les limites de chacun.
Quelles que soient leurs limites, ces appels vont dans le sens d’une démarche critique de l’escalade vers la guerre et de la propagande “pour la victoire de l’Ukraine”, portée par l’OTAN, l’UE et le gouvernement français. La mise en mouvement de forces sociales larges, en France et au niveau mondial va dans le bon sens et doit être soutenue. Nous savons que la pression politique des classes populaires pour la paix est un facteur essentiel de dénouement des situations les plus difficiles.
Pour cette analyse détaillée, prenons pour base l’appel le plus large, l’appel international du BIP. Notons d’abord qu’il presente un certain nombre d’éléments clés bien en avance sur la plupart des choses qu’on peut entendre ou lire par ailleurs. Voici en particulier ce qui me semble à souligner :
- L’appel au Cessez le feu : C’est une urgence pour les populations civiles tant dans la zone contrôlée par le gouvernement de Kiev, que dans les zones du Donbass contrôlées par Moscou. Cette position pour le “Cesser le feu” (qu’on trouve également dans l’appel national des “marches pour la paix” est à l’opposé de la position de notre gouvernement, de l’OTAN et de l’UE pour qui le “feu” ukrainien est légitime et c’est la Russie qui doit arrêtée les combats. Par exemple, dans le document de conclusion du dernier Conseil Européen (9 février, document validé par l’ensemble des gouvernements de l’UE) on peut lire au contraire “La Russie doit immédiatement mettre un terme à cette guerre atroce.”. Ce n’est pas un cesser le feu (accord conclu entre les deux parties pour l’arrêt des combats et le gel des positions, le temps que des négociations permettent de parvenir à une solution négociée). Par une telle formule, l’Ukraine se voit au contraire légitimée dans son recours à la guerre (dont nous savons qu’il ne date pas de 2022 mais de 2014, quasiment sans répit malgré les accords de Minsk 1 et Minsk 2).
- La co-responsabilité de la solution : si on veut la paix, il faut admettre d’emblée que chaque partie devra faire un compromis pour parvenir à une solution négociée. Ainsi l’Appel international demande explicitement aux “deux parties de prendre des dispositions pour négocier une paix à long terme”. L’appel national est légèrement plus nuancé. L’expression “les deux parties” n’y figure pas et il se limite à “faire prévaloir l’engagement de négociations pour des solutions politiques“. Là encore, cependant, rien à voir avec le discours des gouvernements occidentaux, pour lesquels (je cite toujours les conclusions du Conseil Européen) “Le soutien de l’Union européenne à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues, ainsi qu’à son droit naturel de légitime défense contre l’agression menée par la Russie, reste inébranlable. L’Union européenne maintiendra la pression collective exercée sur la Russie pour qu’elle mette un terme à sa guerre d’agression et qu’elle retire ses troupes et ses équipements militaires d’Ukraine, et elle cherchera à accentuer encore cette pression, en concertation avec les partenaires internationaux”. La position des gouvernements occidentaux est, clairement, pour le droit et le soutien à l’Ukraine dans la reconquête militaire du Donbass et de la Crimée (sans se préoccuper de ce que désirent les habitants des territoires concernés).
- La notion de sécurité commune : L’appel international dit explicitement “Nous demandons aux gouvernements et aux états d’agir en faveur de la diplomatie, de la négociation, de la prévention des conflits et de l’établissement de systèmes de sécurité commune”. L’appel du collectif national d’aborde pas cette question (pourtant cruciale) et se contente d’appeler à “arrêter la course aux armements et mobiliser les ressources du monde entier pour la justice, la solidarité et la transition écologique.“
- Le lien fait entre cette guerre et “toutes les guerres en cours”. Ce point est également très important, car la propagande de l’OTAN cherche en permanence à faire oublier toutes les guerres menées par l’Occident et à présenter la Russie comme un “coupable idéal”. Cela se traduit entre autres par des mesures totalement discriminatoires et scandaleuses vis à vis des populations russes elles-même, comme l’interdiction des sportifs ou artistes russes, ou, ce qui est encore plus pire, l’injonction faite à ces sportifs et artistes de désavouer leur pays et de renoncer à utiliser leur drapeau.
Face à cela, on peut néanmoins identifier un certain nombre de limites (même en se plaçant du point de vue de la paix) à cet appel international, notamment à la lumière des positions plus avancées développées par le Mouvement de la Paix en France et notamment de sa dernière déclaration du 27 janvier 2023 intitulée “La France doit dire non au choix insensé de l’escalade militaire en Ukraine” :
- Les pays occidentaux et l’OTAN ne sont pas identifiés (dans l’appel international) ni comme partie au conflit, ni même comme acteur de ce conflit et de l’escalade vers la guerre. Or, il est avéré que ce sont les pressions de l’OTAN qui ont fait achoppé les négociations menées début mars, pour l’arrêt des hostilités. De plus, les pays de l’OTAN arment, financent, entraînent des soldats par milliers, délivrent du renseignement voire participent indirectement à certaines actions, notamment par du guidage de frappes. Cette participation de l’OTAN contribue déjà par elle-même à transformer en conflit continental voire mondial ce qui pourrait être un conflit régional, comparable par exemple à celui qui oppose l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour le contrôle du Haut Karabakh. Sur ce point, la déclaration du Mouvement pour la Paix va plus loin en affirmant : “certains gouvernements dans le monde (USA, Pologne, Allemagne, Suède, Royaume-Uni) ont visiblement décidé d’amplifier l’escalade militaire.”
- La nécessité d’arrêt des livraisons d’armes aux parties en conflit n’est pas explicitement mentionnée ni dans l’appel international, ni dans l’appel national. En revanche, la déclaration du Mouvement de la Paix est beaucoup plus claire : “Pour le Mouvement de la Paix, la France doit dire Non au choix insensé de l’escalade militaire en Ukraine, renoncer à l’envoi d’armes lourdes, abandonner l’idée de livrer des chars de combat(…).” Dans des déclarations précédentes, le Mouvement de la Paix a été encore plus clair en demandant “L’arrêt des livraisons d’armes dans le respect du Traité sur le commerce des armes ratifié le 24 décembre 2014, interdisant de vendre des armes aux pays en guerre.” (déclaration du 11 mars 2022).
- La protection des populations civiles du Donbass et de leurs droits humains n’est pas mentionnée. C’est un peu l’angle mort, qu’il serait important de combler. L’habitude est prise par de nombreuses organisations et de nombreux commentateurs de parler du “peuple ukrainien”, en occultant les divisions profondes qui fracturent depuis 2014 ces populations et ont conduit déjà à énormément de souffrances. Dès lors que l’Ukraine (telle qu’issue de la destruction de l’URSS) est à ce point divisée, ne parler que de la protection du “peuple ukrainien” laisse dans le silence la question de la protection des populations du Donbass, et ce malgré les exactions constatées et documentées dont elles ont été victimes, le revanchisme du régime de Kiev et les actions incontrôlées d’un certain nombre de milices, de bataillons nationalistes et des services de sécurité dans les territoires repris, tant en 2014 qu’en 2022. Il n’est pas difficile – me semble-t-il – de dire que l’ensemble des populations civiles (ukrainiennes, russes et celles de “l’entre deux”) doivent être protégées des exactions et voir leurs droits humains garantis. Il est important de le faire. Pour ma part, le droit des citoyens russes à voyager, exercer leur profession ou leur art, participer à des compétitions sportives ou tout type d’événement sans avoir à renier leur patrie ou leur drapeau fait également partie des droits humains fondamentaux, comme cela a toujours été accordé à tous les pays en guerre, les USA en premier lieu, puisqu’ils ont été, depuis 3/4 de siècles le pays qui a mené le plus de guerres, d’invasions, de bombardements …
Globalement, ces appels sont très importants dans le contexte actuel, dominé par la propagande impérialiste. Leur base va plus loin que le simple refus de l’escalade dans la livraison d’armes dites “lourdes” (adjectif dont la définition est facile à manipuler). La livraison d’armes lourdes par l’OTAN est intervenue dès le début du conflit. Par exemple, s’agissant de la France, les canons automoteurs CAESAR sont des armes lourdes, livrées dès le début du conflit. Dire : nous sommes d’accord pour un soutien militaire, mais “pas trop important”, pas jusqu’aux chars ou aux avions, n’est pas une position cohérente. Reconnaitre un droit à la légitime défense revient à accepter que la guerre se prolonge et s’amplifie, à accepter l’escalade jusqu’à la défaite de la Russie et la reconquête par la force du Donbass et de la Crimée sous l’autorité de Kiev.
A l’inverse, la position soutenue par les différents appels ouvre à une réelle position de médiation, indépendante de la propagande officielle occidentale. Elle rejette la dialectique “victime / coupable” et, se centrant sur la nécessité de la paix, elle permet de renvoyer chacun à sa responsabilité. Elle est susceptible d’aboutir à un apaisement, dont on a vu qu’il était potentiellement accessible lors des négociations constructives qui ont eu lieu entre la Russie et l’Ukraine dès le mois de mars.
Elle constitue une base à développer et enrichir à partir de laquelle on peut ensuite interroger les logiques globales qui sont à l’œuvre pour pousser à la guerre dans le monde : la question de l’impérialisme, la recherche de l’hégémonie mondiale, les intérêts capitalistes engagés dans la production et la vente d’armement, la crise même du capitalisme, la baisse tendancielle du taux de profit et la fuite en avant dans la constitution de bulles spéculatives.
Voici le texte complet de l’appel international (pour les déclarations du mouvement de la paix et le texte du collectif national, on peut le trouver sur le site du Mouvement de la Paix https://www.mvtpaix.org/wordpress/pour-la-paix-en-ukraine/ ) :
Non à l’escalade de la guerre en Ukraine !
Cessez-le-feu – Solution négociée
A l’occasion de la première année bientôt écoulée de l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie, montrons qu’il existe des alternatives pacifiques à la guerre. Le Bureau International de la Paix (BIP – International Peace Bureau, IPB) dont est membre le Mouvement de la Paix, appelle ses membres dans le monde entier à agir du 24 au 26 février 2023 en faveur de la paix en Ukraine et dans le monde.
La guerre, qui marquera son premier anniversaire le 24 février 2023, a déjà coûté plus de deux cent mille vies (selon des estimations prudentes). Elle a forcé des millions de personnes à fuir leur foyer, elle a provoqué la destruction généralisée des villes ukrainiennes et a mis à rude épreuve des chaînes d’approvisionnement, déjà fragiles, qui ont rendu la vie plus difficile pour les populations dans le monde entier.
Nous savons que cette guerre est insoutenable, et pire encore, qu’elle risque de connaître une escalade qui menacerait la vie et les moyens de subsistance des populations dans le monde entier. La rhétorique nucléaire de la Russie en particulier est irresponsable et démontre la vulnérabilité de ce moment.
En outre, l’impact direct et indirect de la guerre sur le climat entrave le besoin urgent d’une transition verte.Il n’existe aucune solution facile à cette guerre en Ukraine, mais la situation actuelle n’est pas tenable. Au moyen de manifestations mondiales pour la paix, nous cherchons à faire pression sur toutes les parties impliquées dans le conflit pour qu’elles agissent avec détermination en faveur d’un cessez-le-feu et prennent des dispositions pour négocier une paix à long terme.
Nos appels à la paix ne se limitent pas à l’Ukraine. Pour tous les conflits dans le monde, nous appelons les gouvernements à refuser la logique de la confrontation et de la guerre, à s’opposer au péril nucléaire et à s’engager pour le désarmement en signant le Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN).
Nous demandons aux gouvernements et aux États d’agir en faveur de la diplomatie, de la négociation, de la prévention des conflits et de l’établissement de systèmes de sécurité commune.
Nous faisons appel à votre soutien et à vos voix pour la paix. Nous vous invitons à vous joindre à tout événement existant au cours de ce week-end d’action, ou à planifier votre propre initiative. Ensemble, nous sommes plus forts et nous pourrons montrer qu’il existe un mouvement mondial en faveur des alternatives à la guerre et à la militarisation.
LES PEUPLES DU MONDE ENTIER VEULENT LA PAIX !
NON A LA GUERRE – NON A TOUTES LES GUERRES EN COURS
NON A LA MILITARISATION DES RELATIONS INTERNATIONALES
Faisons entendre les voix de la paix partout en France et dans le Monde
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