Quoi que les « sages » décident, l’urgence démocratique demeure

Réforme des retraites La Ve République a permis au gouvernement de malmener citoyens, syndicats et parlementaires. Quelle que soit la décision du Conseil constitutionnel rendue ce vendredi, notre régime est plus que jamais en crise. Mais une tout autre République est possible.

Le 13 avril, à Paris, devant le Conseil constitutionnel. Stéphane mahe/reuters

Le 13 avril, à Paris, devant le Conseil constitutionnel. Stéphane mahe/reuters
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Le Conseil constitutionnel a l’occasion ce vendredi de repousser la réforme des retraites, de considérer qu’elle constitue une violence inadmissible contre notre modèle social, institutionnel et démocratique, et un danger pour la République.

Mais, même si les sages venaient à censurer la copie du gouvernement, prouvant que certains des garde-fous de notre régime fonctionnent encore, la crise politique resterait entière dans notre pays. « Chaque étape de cette réforme a constitué une nouvelle forme d’effraction contre la démocratie. L’ensemble n’a été rendu possible que par les pouvoirs exorbitants accordés à l’exécutif par une Ve  République qui montre son pire visage », mesure le député PCF Pierre Dharréville. « Cela fait longtemps que je suis pour le passage à une VIe  République, mais cette séquence des retraites devrait finir de tous nous convaincre que quelque chose ne tourne pas rond dans ce régime et qu’il fonce dans le mur », abonde Clémentine Autain, députée FI. Car cette Ve République offre tous les outils pour se passer du peuple, des syndicats et du Parlement, et permet même de gouverner contre eux, en imposant une loi contre l’avis de tous. « Il y a quelque chose de pourri dans la démocratie française », résume le docteur en science politique Fabien Escalona. Et de nombreux espaces de démocratie à reconquérir.

La question d’une VIe République, régulièrement mise sur la table, se pose donc avec une urgence renouvelée. Mais quel en serait le contenu et jusqu’où aller ? « Il faut tout refaire. La crise sur les retraites résulte certes d’un choix politique : ce n’est pas parce qu’Emmanuel Macron a un marteau pour taper sur tout le monde qu’il est obligé de le faire. Mais les outils de son autoritarisme doivent être retirés pour que plus personne ne puisse les réutiliser », mesure Marie-Charlotte Garin. La députée EELV a ainsi signé avec de nombreux parlementaires de la Nupes une proposition de loi visant à supprimer le 49.3, déposée par l’écologiste Jérémie Iordanoff. « Il faut bien sûr aller bien plus loin, redonner du sens au vote, rendre le pouvoir au Parlement, et permettre une implication citoyenne permanente. La question centrale, ce n’est pas tant le numéro de la République que la redémocratisation du régime », observe Arthur Delaporte, député PS.

La meilleure façon d’y parvenir serait de mettre fin à la monarchie présidentielle et de « convoquer une Constituante pour que le peuple définisse lui-même son organisation collective, se réapproprie la démocratie », argumente Clémentine Autain. Mais, en attendant que ces travaux démarrent un jour, les partis de gauche ont une idée très précise de quelle République serait à bâtir. Dans son programme pour les législatives 2022, la Nupes formule plusieurs propositions, qui étaient pour la grande majorité déjà présentes sur chacun des programmes des différents candidats de gauche à la présidentielle.

Permettre l’émancipation des consciences

Proportionnelle aux législatives, reconnaissance du vote blanc, droit de vote pour les résidents étrangers aux élections locales, mise en place du référendum d’initiative citoyenne (RIC) et de conventions citoyennes pour forger les projets de loi sont au menu, l’idée étant de « stopper la confiscation de la construction de la loi par quelques-uns, et de mettre en forme et en actes une démocratie directe », projette la sénatrice PCF Éliane Assassi, dont le parti propose aussi de supprimer l’élection au suffrage universel direct du président de la République. Mais la question des institutions, du vote et de la lutte contre l’abstention n’est pas le seul chantier. La gauche appelle à mettre en place une véritable démocratie sociale en renforçant les pouvoirs des salariés et des syndicats dans les entreprises, et à lancer un plan de « séparation de la finance et de l’État ».

« Il faut que chaque travailleur se réapproprie son outil de production. Il ne s’agit pas seulement de répartir les richesses, nous voulons décider de comment nous les produisons et pour quoi », plaide le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel. « Le pouvoir économique est aujourd’hui l’un de ceux qui échappent le plus aux citoyens, et l’appareil d’État – comme l’illustre parfaitement le macronisme – est gangrené par les intérêts privés, le pantouflage, les lobbies, les cabinets de conseil, la culture de l’impunité, de la collusion et du secret », ajoute Marie-Charlotte Garin. L’enjeu est de s’assurer, par la participation citoyenne et la mise en place d’un cordon sanitaire avec les intérêts privés, que la décision soit à la fois le reflet de la volonté générale et de l’intérêt général. L’inverse de ce qu’il se passe sur la réforme des retraites, en somme.

À ce sujet, réanimer notre démocratie passe aussi par la question de permettre à chacun de se forger sa propre opinion en totale liberté. La gauche entend ainsi garantir l’indépendance de la presse et des médias et rompre avec la mainmise qu’exercent sur eux les milliardaires et les grands groupes capitalistes. L’objectif étant, à travers un pluralisme retrouvé, de permettre l’émancipation des consciences. Reprendre la plume pour changer notre Constitution serait enfin l’occasion « de nouvelles conquêtes, de nouveaux droits et de nouvelles protections pour les femmes, pour les travailleurs, pour la planète et pour le partage pérenne et équitable des ressources. Il me semble indispensable de protéger des appétits financiers des biens communs et vitaux, comme l’eau par exemple, qui appartiennent à tous et dont la gestion doit être assurée par tous », insiste Pierre Dharréville.

Une tout autre République est ainsi possible. Loin d’une Ve qui permet un exercice du pouvoir solitaire et autoritaire. Loin d’un gouvernement qui méprise syndicats et opposants, réprime les manifestations via un usage dévoyé de la police et criminalise le moindre citoyen souhaitant battre le pavé. Loin d’un système électoral qui ne reflète pas l’expression du vote. Loin d’un modèle qui ferait pleinement le jeu de l’extrême droite si elle arrive au pouvoir. « La démocratie a ceci de particulier qu’elle est à la fois un type de société (plutôt égalitaire) et un système de gouvernement (proche de l’autogouvernement) », écrit Denis Ferré dans  la Démocratie française, de la Révolution au 49.3 (éditions Eyrolles). La Ve République permet de tourner le dos à cette définition. « En France, plus encore qu’ailleurs, la crise de confiance dans la représentation remet en question tous les fondements, la démocratie se libéralise en même temps qu’elle se “dé-républicanise”. Notre modèle a besoin d’une redéfinition par les citoyens et leurs représentants, faute de quoi la démocratie s’étiolera jusqu’à extinction », prévient-il.


Conseil constitutionnel : un rip validé ou retoqué ?

Si le Conseil ne censure pas la réforme des retraites, va-t-il au moins valider la procédure de RIP engagée par 252 parlementaires ? Les sages donneront leur décision demain, sur la proposition de loi visant « à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ». Ils doivent vérifier que le texte porte bien « sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale ».

Selon les juristes, le terme de « réforme » pourrait poser question et, en fonction de son interprétation, amener à un rejet du RIP. Un risque qui a poussé la gauche à déposer, jeudi, un second texte : « Nous avons voulu mettre toutes nos chances de notre côté et ajouté un élément de financement, avec la mise à contribution des dividendes », explique le député PCF Pierre Dharréville. L’institution aurait un mois pour prendre sa décision mais pourrait le faire dès vendredi. En cas de validation, la seconde étape consistera à récolter 4,8 millions de signatures sur une période de neuf mois.



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