Même si la famille Mateu fait partie de ces militants pour lequel au bout de temps d’années je conserve un immense respect, leur dimension anarchisante héritée de la guerre d’espagne mais d’un communisme sans faille, n’est pas toujours mo mode d’approche. La force de ce qu’a été jadis le PCF était d’organiser la cohabition enrichissante entre le syndicalisme révolutionnaire des Mateu, le républicanisme d’un Regis de Castelnau à côté de profils plus “classiques”. Nous n’en sommes pas loin aujourd’hui parce que l’état de la lutte des classes en France est ce que décrit Mateu, comme le nouveau champ magnétique du monde multipolaire, anti-impérialiste avec sa nouvelle décolonisation, appelle à l’essentiel et qui est décrit ici : une organisation des masses, le syndicalisme n’y suffira pas et je repense au débat entre Delaunay et Pierre Alain Millet : sans théorie révolutionnaire pas de parti révolutionnaire. Nous avançons mais pas au rythme des coups portés. Dans le fond la bataille à laquelle je n’ai jamais renoncé et qui m’a vallu tant de coups, tant de diffamtion, d’injustice y compris de ceux que j’estimais proche a toujours été le refus d’une censure imbécile et nuisible qui interdit le débat entre tous ceux qui tentent d’oeuvrer au même but. (note de danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
13 mai 2023 FacebookTwitterPinterestMessengerFlipboardPocketEmailWhatsApp
Entretien inédit | Ballast
Il est l’une des figures de la mobilisation contre la réforme des retraites. On l’a vu tenir tête au personnel gouvernemental à la télévision, inviter le président de la République à « manger » sa mesure et, face à la démolition démocratique en cours, convier à s’affranchir des « règles » en vigueur. Forestier sapeur de formation et communiste de conviction, Olivier Mateu est surtout le secrétaire de la CGT 13 (Bouches-du-Rhône) depuis 2016. Après un 1er mai mémorable, l’intersyndicale a appelé à une quatorzième journée d’action, le 6 juin prochain, pour « se faire entendre » des députés. Le gouvernement campe plus que jamais sur ses positions. Les casseroles retentissent dans le pays et Emmanuel Macron déclare à Dunkerque, à propos de l’impopularité manifeste de sa politique : « J’assume. » Nous rencontrons Olivier Mateu à Marseille pour faire un point sur la situation. Ce qu’il faudrait pour avancer d’un cran ? Organiser l’action combinée de toutes les corporations.
Il y a eu de nombreux appels à la grève générale et reconductible. L’intersyndicale semble pourtant ne pas leur donner suite. Qu’en pensez-vous ?
Nous sommes à quatre mois de mobilisation. Appartenant au camp des travailleurs, je ne suis pas partisan d’attaquer l’intersyndicale. D’autant qu’elle a factuellement contribué à massifier les manifestations et à expliquer que cette réforme est mauvaise en tout point. Bien que les appels se limitent à une action par semaine, c’est tout de même un appel à la grève générale puisque toutes les corporations du pays sont conviées à se mobiliser le même jour — et personne ne devrait se sentir tenu à l’écart ou s’en exonérer. Ce qui compte n’est pas la popularité de l’intersyndicale, mais son efficacité. Les modalités d’actions décidées peuvent être remises en cause. Pour autant, nous avons déjà fait très mal à l’économie. Lorsque les ports sont perturbés entre 60 et 72 heures par semaine, c’est toute la chaîne logistique qui est touchée, jusqu’aux portes des entrepôts d’Ikéa ou d’Intermarché. Et même si nous ne sommes pas arrivés à une pénurie totale de carburant, toutes ces actions combinées ont causé bien des perturbations et des pertes financières au patronat. Les patrons n’ont pas fait les fiers lors des dernières mobilisations !
Mais on assiste aujourd’hui à une forme de stagnation. Se pose peut-être la question de la caisse de grève, pour soutenir les travailleurs dans le cadre d’une grève longue ?
Mais pourquoi dure-t-elle un mois, cette grève ? C’est que nous ne sommes pas assez nombreux ! Il manque encore la présence de beaucoup de corporations, de beaucoup de travailleurs et travailleuses. C’est la réalité ! Concernant les caisses : lorsqu’on fait grève, on perd de l’argent, c’est une conséquence inévitable. Que la solidarité soit indispensable au sein de l’organisation pour pouvoir durer dans le temps et ne pas trop perdre financièrement, c’est aussi une évidence. Mais on ne règle pas tout avec la caisse de grève. Selon moi, il ne faut pas commencer par poser la question de la solidarité, sinon ça revient à acter une grève par délégation. Si nous nous mettons en grève seulement quand nous sommes assurés qu’une caisse couvrira nos pertes, ça signifie qu’il y en a certains et certaines qui décident de ne pas y aller, et donc délèguent aux autres la responsabilité de contrer une réforme ou de faire avancer le progrès social… Au nom de quoi ? Alors dans ce cas, disons-le clairement : désignons par avance quelles corporations seront dédiées à sauver toutes les autres. Je suis totalement contre ça. Tout le monde a quelque chose à apporter, chacun doit contribuer à sa hauteur. D’abord, il faut partir au combat, l’organiser et ensuite se donner les moyens en termes de solidarité.
Le 7 mars, il a été question, pour l’intersyndicale, de mettre « la France à l’arrêt ». La formule « grève générale reconductible » n’a pas a été prononcée. Seuls trois jours ont été proposés, dans l’espoir que ça prendrait. Pourquoi aucun appel clair et précis n’a-t-il pas été fait ?
« Davantage que l’action simultanée un même jour, c’est l’action combinée de toutes les corporations qui fera effet. »
Si je me mets à la fenêtre et que je crie « Je fais un appel ! », la question est : à qui on s’adresse ? Et qu’est-ce qu’on propose ? Il clair qu’une fois par semaine, même tous ensemble, ça ne suffit pas, ça ne suffit plus. Il faut envisager des modalités complémentaires à ajouter aux formes traditionnelles de mobilisation. Malheureusement nous avons pris beaucoup de retard pour nous organiser sur ce point. Si nous faisons une grève par semaine, tout le monde le même jour à l’arrêt, que font les tauliers ? Neuf fois sur dix, le travail qui n’a pas été fait le jeudi le sera le lendemain, ou la veille. Je ne dis pas que ça ne sert à rien, mais l’essentiel des productions non faites seront rattrapées ou anticipées. C’est une réalité. Il ne faut pas prendre les patrons pour plus stupides qu’ils ne le sont. Il nous faut un calendrier d’action. C’est le point central. Nous avons besoin d’une vraie réflexion sur les manières de perturber, le plus possible et le mieux possible, la chaîne de production et d’échange. D’abord s’appuyer sur ce qu’il nous reste de forces, donc sur un certain nombre de secteurs-clés de l’économie — non pas pour les mettre en avant mais pour qu’ils forment un socle. C’est déjà un peu le cas aujourd’hui puisqu’au départ, quatre fédérations — ports et docks, chimie, énergie et cheminots — ont convenu de travailler ensemble. À partir de ce socle, tout ce qui vient s’agréger en plus participera à ralentir la machine. Et, de facto, à un moment donné, elle bloque.
Mais que pensez-vous qu’il faille faire, concrètement, pour aller plus loin ?
Je vais le redire plus clairement et franchement. Davantage que l’action simultanée un même jour, c’est l’action combinée de toutes les corporations qui fera effet. Si le container n’est pas déchargé du bateau le lundi mais seulement le mardi, il ne sera transporté qu’à partir du mardi ou du mercredi. Ces jours-là, si il y a une grève des trains, il restera à quai. Et le lendemain, si ce sont les routiers qui entrent dans la danse… Vous commencez à comprendre ? Je parle d’un mouvement reconductible impliquant l’ensemble des corporations, mais organisé avec intelligence et finesse. Est-ce possible de l’envisager en tant qu’ouvriers ? Est-ce possible de faire en sorte que la chaîne soit ralentie jusqu’à ce qu’elle s’arrête faute d’être alimentée par ses flux ? C’est ça, l’appel que nous lançons.
Je le répète : ce qui était possible à une époque ne l’est plus aujourd’hui. De nos jours, il n’y a plus une seule corporation qui soit en capacité de dire : « Moi seule, j’arrête le pays ! On part en grève et on verra quand on reprendra. » Avant, il y avait 2 500 à 5 000 travailleurs sur un même site de raffinage. On pouvait réussir à en mobiliser une bonne partie. Dorénavant, ils ne sont plus que 500 : tout est organisé en flux tendu. Qui a voulu cette politique ? C’est le patronat et les gouvernements successifs, pas nous. Et c’est pour ces raisons qu’il faut adhérer à une confédération syndicale car elle permet d’additionner les capacités, de gérer ensemble les difficultés. C’est à partir de cette réalité qu’il faut partir afin d’élaborer de nouvelles stratégies. Par exemple, dans une journée de travail, il y a toujours un moment qui est clé, un moment charnière pour la production. Lorsqu’on écrit un mail [pour une expédition, une commande, ndlr] par exemple, il peut être envoyé ou ne pas l’être. S’il ne l’est pas, il restera lettre morte, il ne fera pas effet. À partir du moment où un travailleur décide de ne pas envoyer ce mail, il fait grève, il pèse sur l’activité de l’entreprise et, au final, sur l’économie. Autre exemple : un agent dans le service des marchés au conseil régional fait grève pendant 48 heures. Il décale d’autant l’ouverture de plis de ces marchés. Pendant 48 heures, ces marchés ne sont pas attribués. Pendant tout ce temps, c’est de l’argent qui ne circule pas dans les caisses du patronat. Là, il a agi sur l’économie, il a fait sa part. Pourtant, ce ne sont « que » 48 heures de grève. Mais toutes ces actions accumulées, additionnées de manière cohérente dans une stratégie fondée sur un calendrier, c’est ce qui fera gripper la machine.
Serait-ce une forme contemporaine de sabotage ?
Le sabotage consiste à casser l’outil de travail. On considère que l’outil de travail est à nous, donc on n’y touche pas. L’outil de travail, on sait le mettre en panne car on sait le réparer. Parenthèses fermées. Concrètement, il n’y a pas besoin de se faire plaisir avec des mots comme « grève générale », « sabotage »… De toute façon, ça ne parle plus à personne. C’est de la révolution pour les romantiques ! Là, il faut que nous soyons dans le concret et pas dans l’appel incantatoire — ou encore dans la pleurnicherie, comme certains : « C’est dur, c’est compliqué, on n’y arrive pas… » Non, on se met ensemble, on est le nombre ! Si du nombre ne sort pas un peu intelligence collective donnant naissance aux bonnes modalités d’action, alors, à ce moment-là, il est normal qu’on soit dirigé par une poignée.
Ça demande donc une sacrée organisation.
« C’est de la révolution pour les romantiques ! Là, il faut que nous soyons dans le concret et pas dans l’appel incantatoire. »
Ça demande surtout que nous soyons déterminés à gagner, que nous affichions clairement notre objectif. Comment on fait pour faire retirer une réforme à Emmanuel Macron ? On lui explique qu’elle n’est pas bonne ? Ça n’a pas marché. On lui fait la démonstration qu’il y en aurait une meilleure ? Il n’écoute pas. Ne reste plus qu’à bloquer son système. Son objectif était de donner un cadeau de 14 milliards d’exonération d’impôts aux entreprises, donc au profit du CAC 40. Aujourd’hui, par les grèves, nous sommes déjà à 12 milliards de pertes. Il ne nous reste plus que 2 milliards à leur faire perdre. Dans un mois, ils lui diront qu’ils n’en veulent plus de son cadeau. C’est ça qu’il faut viser — je sais bien que je ne découvre pas ici la formule magique…
À l’échelle des Bouches-du-Rhône, quel est l’état des relations intersyndicales ?
Sur le terrain, la cohésion de l’intersyndicale se maintient plutôt bien. Tous les lendemains des manifestations et des réunions de l’intersyndicale à échelle nationale, nous nous voyons et discutons pour savoir comment décliner les actions dans le département. Ici, comme partout ailleurs, il y a la réalité propre au territoire. Les Bouches-du-Rhône ont leur propre bassin économique avec quasiment la moitié des raffineries du pays qui sont dans le département. Forcément, la question du raffinage, du carburant et de sa distribution en générale y est plus prégnante. Donc la place de la CGT. Mais la CGT ne porte pas à elle seule la responsabilité de mener le mouvement à la victoire. Nous avons besoin de cohésion sur le terrain. Chacun réunit les siens là où ils sont et on essaie de travailler ensemble. Il y a aussi au sein des entreprises des assemblées générales interprofessionnelles qui, évidemment, peuvent s’organiser — là où les travailleurs réussissent à s’entendre.
Mais il faut souligner une vraie contradiction. Tout au long de l’année nous sommes mis en concurrence pour gagner les élections syndicales et, au moment des mobilisations, on nous demande d’aller au front et de faire front commun… Ça interroge. Et en premier lieu les travailleurs et les travailleuses du pays, car ce sont eux qui dessinent le paysage syndical. Les syndicats ressemblent à ce que les travailleurs en font. Un syndicat est un outil : il est magnifique mais, posé contre un mur, il ne sert à rien, c’est de la décoration. S’il est pris en main, qu’on explique à quoi il sert, alors là on peut commencer à faire des choses avec. Attention ! Je ne suis pas en train de dire qu’il n’y a là aucune responsabilité de la part des organisations syndicales. J’essaie de rappeler qu’il y a aussi une responsabilité collective quant à l’état de nos syndicats aujourd’hui. Depuis une trentaine d’années, clairement, l’évolution des modes d’engagement et donc des modes d’organisation ont donné naissance à des politiques syndicales qui ont privilégié le dialogue social plutôt que l’affrontement, dans les branches comme au niveau interprofessionnel. Ceux qui ont porté l’idée du syndicalisme rassemblé ou du partenariat social sont arrivés à mettre dans les têtes des travailleurs qu’à partir d’un certain statut on n’appartenait plus à la classe ouvrière. Ça débouche sur la stratégie de cogestion. Comme s’il y avait des intérêts communs entre travailleurs et patronat… Il n’y a aucun lapin qui a fait copain avec le chasseur avant de finir en civet. Donc sur ce point il va falloir de nouveau clarifier nos positions.
Photographie de vignette : Mobilisation du 18 mars 2023, à Marseille | Clément Mahoudeau
REBONDS
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