Reçus lundi 22 janvier au soir à Matignon, les syndicats attendent désormais des mesures pour apaiser la colère des exploitants qui multiplient les barrages en Occitanie. Voici quelques solutions dont le gouvernement pourrait s’inspirer.
Le mal-être des paysans s’était déjà exprimé ces dernières semaines par des panneaux retournés à l’entrée des villages et ce slogan des Jeunes agriculteurs : « On marche sur la tête ». Les barrages sur les autoroutes de Haute-Garonne, installés ces derniers jours, ont donné le top départ à de nouvelles mobilisations : défilé de tracteurs à Agen, action escargot à Perpignan, déversement de lisier sur les voies ferroviaires près de Bordeaux…
Débordée par sa droite par la Coordination rurale, la FNSEA a annoncé entrer ce mardi 22 janvier dans l’action. Fissa, Gabriel Attal a convié le syndicat majoritaire à Matignon, afin d’éviter un mouvement de type gilets jaunes ou bonnets rouges. Rien de tangible n’est sorti de ce rendez-vous sans organisation progressiste, si ce n’est de la câlinothérapie et la fin réassurée des tracasseries administratives. Le monde paysan mérite pourtant mieux.
Des normes insupportables
Diminution des aides fiscales au gazole pour engins agricoles (GNR), augmentation des taxes sur l’eau, blocage des constructions de bassines et retenues, objectifs de suppression des produits phytosanitaires, glyphosate, néonicotinoïdes, 4 % de jachère obligatoires, abaissement des seuils à partir desquels une demande d’autorisation préfectorale est effectuée pour installer un nouvel élevage de porcs ou de volaille, sans compter le pacte vert européen et ses objectifs climatiques et de biodiversité. Écouter les maux et doléances des paysans qui bloquent les autoroutes dans le Sud-Ouest, c’est plonger dans un maquis de règles qu’ils aimeraient bien voir abolir. À cinq mois des élections européennes, la Coordination rurale (syndicat employeur classé très à droite) appelle même à manifester à Bruxelles, mercredi 24 janvier, contre les « contraintes toujours plus élevées ».
« Moins de normes, c’est un mirage », prévient Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne. Elle détaille : « Enlever des réglementations n’augmentera pas les revenus, car c’est laisser le champ encore plus libre au libre-échange. Il y a certes des normes absurdes, qu’il faut supprimer. Mais les réglementations sont au contraire des protections pour la santé des paysans, des salariés, des saisonniers, pour nos facteurs de production que sont l’eau et la terre. Elles doivent être adoptées par ceux avec qui nous commerçons. »
Pour Olivier Morin, agriculteur biologique dans l’Indre et secrétaire national du Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), viser les réglementations revient à prendre le problème à l’envers. « Si on avait des revenus suffisants, il serait plus simple pour tout le monde d’adopter les pratiques agroécologiques. Mais nous n’avons de visibilité sur rien. Nous voyons disparaître 200 fermes chaque semaine, 45 % des agriculteurs vont partir à la retraite dans les dix prochaines années. Or, il n’y a rien dans le projet de loi d’orientation et d’avenir agricole, que le gouvernement vient de repousser, pour donner envie aux jeunes de s’installer. »
Des paysans plumés par l’agro-industrie
Si les agriculteurs sont en colère, c’est surtout parce qu’ils ont l’impression de ne plus arriver à vivre de leur travail. Il faut dire qu’en un an, les prix agricoles ont dévissé de 10 %, selon les statistiques de l’Insee de décembre 2023. Dans le même temps, les prix alimentaires ont augmenté d’environ 8 %, ce qui prouve bien que tout le monde n’a pas été logé à la même enseigne.
Cela fait des mois que de nombreux observateurs s’alarment de la flambée des profits engrangés par les géants de l’agroalimentaire. Au printemps dernier, une note de l’Institut La Boétie pointait que, entre le dernier trimestre 2021 et le premier trimestre 2023, le taux de marge du secteur avait bondi de 28 % à 48 %, soit une augmentation de 71 %. Bien loin du simple « rattrapage », décrit par le gouvernement. Plus précisément, la note estime que les profits des entreprises ont contribué pour près de 49 % à l’envolée des prix alimentaires, devant le prix des intrants (moins de 48 %) et très loin devant les salaires et impôts nets des subventions (à peine 4 %).
Ce n’est donc pas un hasard si le débat ressurgit en ce moment, en pleines négociations annuelles entre grande distribution et industriels pour la fixation des prix de vente. Pour tenter de désamorcer la colère des agriculteurs, un Bruno Le Maire tout en véhémence (verbale) a tapé du poing sur la table : « Nous serons intraitables avec les distributeurs qui ne respectent pas les dispositions de la loi Egalim 2 », un texte adopté en 2021 et supposé protéger les revenus des agriculteurs. Pas de quoi émouvoir Aurélie Trouvé, agroéconomiste et députée FI-Nupes, coprésidente du groupe de suivi parlementaire de la loi d’orientation agricole : « Les propos du ministre de l’Économie frisent le ridicule. Cela fait deux ans qu’il supplie les industriels en vain, mettant en scène l’impuissance de ce gouvernement. Tout le monde sait que la loi Egalim n’est pas efficace pour assurer des prix corrects aux agriculteurs. »
Une bonne partie de la gauche (dont le PCF) plaide depuis longtemps pour que l’État joue un rôle beaucoup plus actif dans la fixation des prix, en fixant lui-même des prix planchers agricoles, en cas d’échec des négociations entre les acteurs du secteur. « Cela fonctionnait ainsi dans le secteur laitier jusqu’en 2008, souligne Aurélie Trouvé. Et cela fonctionne toujours comme cela dans tous les grands pays producteurs : Canada, États-Unis, Suisse. La dérégulation française des marchés du lait est une exception. »
Des aides sans queue ni tête
Le monde paysan aimerait d’autant plus vivre du fruit de son labeur que la politique agricole commune (PAC) et ses déclinaisons nationales l’ont transformé en chasseur de primes et d’aides. Les agriculteurs français devraient pourtant se sentir gâtés : la dernière réforme de 2022 leur assure toujours la plus grosse enveloppe (17 % du total, soit 9,1 milliards d’euros par an jusqu’en 2027) dans cette manne représentant un tiers du budget de l’Union européenne. Mais le fléchage de cette somme allouée a de quoi leur faire perdre la tête.
Le Plan stratégique national français, qui la met en musique, ne contient pas moins de 120 « interventions » (lignes de financement concernant des priorités et programmes), comptabilisant plus de 400 000 bénéficiaires. Certaines filières sont devenues expertes en captage de ces budgets, qui se couplent souvent avec d’autres plans de financement public, comme France Relance ou France 2030 en faveur des filières agricoles et forestières. D’autres secteurs tirent la langue. « Il faut mettre fin à la fuite en avant du système agricole qui met en concurrence les agriculteurs entre eux, du local à l’international, avec une PAC qui échoue en n’accompagnant pas tout le monde, comme les fruits et légumes et des territoires isolés », revendique Laurence Marandola.
Conjuguez ces financements très sélectifs à l’arbitraire politique, et vous comprendrez que ce système financier finisse par exaspérer. Ce fut le cas en fin d’année dernière, quand, par mesure d’économies, le ministère de l’Agriculture, pourtant très volubile sur les mesures écologiques, a tenté de répartir sur davantage de demandeurs le budget consacré aux mesures agroenvironnementales et climatiques, victimes de leur succès. Il a fallu des mobilisations de la Confédération paysanne pour qu’un abondement de 150 millions d’euros surgisse in extremis dans la loi de finances 2024.
Avec le libre-échange, une course au moins-disant
À gauche, tout le monde en convient : les difficultés des paysans sont en partie liées aux traités de libre-échange, qui organisent une concurrence déloyale et abîment la planète. Autant dire que les récents propos du premier ministre, Gabriel Attal – « notre agriculture est vitale pour la souveraineté de la France » –, ne passent pas. « Comment le gouvernement peut-il parler de souveraineté nationale, tout en ratifiant un accord de libéralisation du commerce entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande ? s’interroge l’économiste Maxime Combes, membre de l’Observatoire des multinationales. Cet accord vise à importer en Europe des produits agricoles que nous produisons déjà : agneau, beurre, fromage, etc. En insérant de plus en plus la production agricole dans le commerce international, on fragilise notre souveraineté alimentaire. »
Cependant, certains accords de libre-échange se nouent au nom d’une solidarité difficilement critiquable : la suspension des droits de douane pesant sur l’Ukraine dès le début du conflit partait probablement d’une bonne intention, mais ses conséquences divisent. « On importe trois fois plus de volaille ukrainienne depuis deux ans, pointe Aurélie Trouvé. Le problème, c’est qu’elle est produite là-bas par des firmes internationales avec un » coût » du travail quatre à cinq fois moindre et des normes très faibles. Cela crée une pression sur les prix supplémentaires. Il n’est pas question de remettre en cause la solidarité, mais cela ne peut pas se faire sur le dos des agriculteurs. »
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