Les nouveaux défis du communisme municipal
« L’Humanité magazine » est allé à la rencontre d’édiles communistes récemment élus. De la Dordogne au Val-de-Marne, en passant par les Landes, leurs mairies sont les vitrines des expériences menées pour une alternative progressiste.
Une affiche rouge est placardée au mur, à côté de celle de Nelson Mandela. Des piles de papiers s’entassent, les cartons débordent. Assise à son bureau, Fanny Castaignede n’a pas encore déballé ses affaires. Tout juste élue, ce 12 octobre, la nouvelle maire PCF de Boulazac-Isle-Manoire jongle entre sa récente fonction et ses derniers dossiers d’adjointe. Pour répondre aux besoins de la troisième plus grande commune de Dordogne, la communiste souhaite poursuivre la dynamique de son prédécesseur, Jacques Auzou. À rebours du cliché de la gérontocratie municipale, ce dernier a souhaité lui laisser la main en cours de mandat, pour apporter un nouveau souffle à cette ville en plein essor.
« La politique de Boulazac est portée sur la justice sociale tout en maintenant une dynamique économique. Car, pour mieux redistribuer la richesse, il faut d’abord la créer grâce à des services publics et des emplois pour tous. Je souhaite faire perdurer le progressisme de cette ville », affirme Fanny Castaignede en sortant de la mairie. Des usines et des grappes d’entreprises se dressent à perte de vue devant elle. Bon nombre d’habitants de Périgueux et de sa banlieue viennent à Boulazac pour travailler.
Au total, la ville accueille plus de 180 000 salariés, pour 10 000 habitants. Fanny Castaignede pointe du bout de son menton le quartier Lucien-Dutard, où réside une bonne partie des travailleurs de la commune. « C’est ça, une ville communiste bien gérée ! » s’amuse la quarantenaire en embrassant du regard les logements, la crèche, l’école, le gymnase et les deux stades qui se font face.
« Pouvoir accéder au sport, à la culture ou à l’éducation à moindre coût »
Son credo ? Le « communisme municipal », cette philosophie politique théorisée au moment des Trente Glorieuses, qui organise notamment l’accès de tous à des équipements collectifs, culturels, éducatifs, sanitaires et sociaux. Fanny Castaignede en est un des nouveaux visages. Et Boulazac s’en veut un modèle : les habitants jouissent d’une école des sports à 7 euros l’année, d’un accompagnement spécifique pour tous les enfants de la ville qui ont besoin d’aide aux devoirs, d’un centre culturel à des tarifs accessibles, d’interventions musicales dans les écoles… Et même d’un somptueux chapiteau dédié à l’école des arts du cirque, pris en charge à moitié par les collectivités locales et la région.
« Les personnes qui n’ont pas forcément les moyens doivent pouvoir accéder au sport, à la culture ou à l’éducation à moindre coût », cadre la maire une fois à l’intérieur, entre deux encouragements adressés aux bambins en pleines acrobaties. Avec une limite : le budget. Partout en France, les maires sont engagés dans une perpétuelle course aux crédits : les moyens sont réduits, alors que l’inflation et les dépenses augmentent.
« Le gouvernement a déjà baissé de 35 % les subventions culturelles, à quoi va-t-il s’attaquer ensuite ? s’interroge Fanny Castaignede, Nos habitants vont en pâtir. » Si Boulazac a la chance d’être en bonne santé financière, la situation reste « extrêmement préoccupante », car ce n’est pas le cas pour d’autres communes. « Il est impossible pour une ville en difficulté de se substituer aux défaillances du département ou de l’État, et peut-être bientôt de la région », s’inquiète l’édile face aux décisions imposées aux collectivités. Un cruel baptême du feu.
La culture, remède à l’extrême droite
À 300 kilomètres au sud, dans les Landes, une colonne d’écoliers longe joyeusement la mairie, l’esprit étranger à ses considérations comptables. La troupe s’avance en direction de l’exposition Banksy. Dans cette « salle de diffusion culturelle », financée par la mairie de Tarnos, plus de 250 œuvres et objets de l’artiste urbain mondialement connu sont exposés. Comme sa camarade du Périgord blanc, le nouveau maire de la ville, Marc Mabillet, considère le communisme municipal comme « essentiel ».
« Il est primordial pour une ville populaire comme Tarnos de rendre accessible la culture à toutes et tous. Au total, 84 écoles de la région vont venir voir cette exposition gratuite », se réjouit l’élu, alors qu’une dame spécialement venue en bus de Bayonne lui demande le chemin. De plus, « l’exposition du centre-ville offre en partie une réflexion sur l’immigration. Face à la xénophobie et au climat anti-migrants actuels, exposer ces peintures, graffitis et objets au plus grand nombre est nécessaire », constate le cinquantenaire. Le communisme municipal comme remède aux vents bruns qui soufflent sur l’époque ?
Au moment des européennes puis des législatives, le RN est aux portes du pouvoir. Marc Mabillet, maire depuis quelques semaines seulement, a frissonné. Et s’interroge : « Sur le coup, les résultats nous ont semblé incompréhensibles, puisque nous sommes dans une zone où l’insécurité est assez faible. Chaque semaine, avec les élus, nous nous rendons dans un quartier pour discuter avec les habitants afin de connaître leurs revendications, prendre en compte leurs envies pour la ville… Où avons-nous fauté ? » Pour le Tarnosien de naissance, muscler les échanges avec la population est primordial afin d’enrayer la progression de l’extrême droite.
Devant l’église Saint-Vincent, Marc Mabillet retrace l’histoire des roues en cuivre décoratives qui ornent la place centrale de Tarnos. Un hommage aux syndicalistes ouvriers de la ville. « Tarnos a une histoire qu’il ne faut pas oublier : communiste depuis 1920, c’est une ville avec une forte culture syndicale et politique. Durant la Seconde Guerre mondiale, des policiers vichystes ont ratissé la commune et ont embarqué des personnes encartées », raconte l’édile PCF, qui craint de voir les démons du passé ressurgir. En longeant les zones industrielles, la forêt puis l’océan Atlantique, Marc Mabillet montre un ancien blockhaus allemand qui observe, silencieux, les vagues s’écraser contre le rivage.
« “On n’a jamais essayé“, dit-on. Ce n’est pas parce qu’on se met de beaux habits et des cravates que les discours ne sont plus les mêmes », soupire l’ex-enquêteur douanier, pour qui la politique est devenue une activité à temps plein. « Nous ne devons pas agir seulement “contre” : contre une loi, contre un projet… Nous essayons de favoriser le “pour”. Nous devons nous battre pour sauver des emplois, pour les droits des travailleurs. C’est ainsi que nous pouvons redonner confiance à nos habitants qui se sentent délaissés de la politique », égraine-t-il.
« Nous sommes à portée de baffe »
Fatah Aggoune ne dit pas autre chose. « L’Humanité magazine » est allé aussi à la rencontre du nouveau maire de Gentilly, dans le Val-de-Marne, en pleine déambulation sur un marché. « Bonjour monsieur Aggoune, l’alpague une septuagénaire venue faire ses emplettes malgré la pluie. Vous savez, je ne sais plus comment payer mes factures. » C’est cela, être maire. Incarner une figure politique accessible, servir de lien direct entre la population et l’État.
« Dès qu’un Gentilléen rencontre un problème, a une demande spécifique ou a besoin de parler de ce qu’il se passe dans son quartier ou dans le pays, il se tourne en premier lieu vers les élus et le maire. Les services publics disparaissent et l’État est inexistant dans nos communes : la population ne sait pas vers qui d’autre aller », dénonce Fatah Aggoune en serrant la main de Nono, le fleuriste du coin pour qui il a travaillé étant plus jeune. « C’est un enfant de la ville », salue ce dernier en arrangeant tournesols et œillets sur son étalage. Ici, tout le monde connaît et respecte Fatah Aggoune.
Mais tous les maires ne connaissent pas forcément cette bienveillance de leurs concitoyens. Les tensions sont très fortes. « Comme dirait l’expression : devenir maire aujourd’hui, c’est être à portée de baffe. Et j’ai accepté ce rôle en connaissance de cause. » Face à la possible réduction de la dépense publique annoncée par le gouvernement de Michel Barnier, et à la casse des services publics qui s’intensifie, Fatah Aggoune craint le pire. « Le président et les ministres sont inatteignables. Quand la population souffre, qu’elle a faim, qu’elle peine à trouver un logement ou un emploi, qu’elle n’arrive pas à boucler ses fins de mois, les personnalités politiques de la ville et les agents publics sont les premiers à en pâtir. »
L’édile se remémore les émeutes de juin 2023 après la mort du jeune Nahel Merzouk, qui avaient secoué la France et en particulier les banlieues comme Gentilly. Poubelles en feu, voitures renversées, vitrines cassées… Sans justifier les violences, le maire comprend la colère face aux injustices. Pour lui, il ne peut y avoir de paix sans justice sociale. « La réponse à ces événements ne peut pas être “l’ordre” comme le rabâchait Gabriel Attal. De quel ordre parle-t-on ? C’est l’ordre social que nous voulons. La population a besoin de changements concrets », explique le maire.
Pour Fatah Aggoune, l’ordre social est synonyme de respect des droits de chacun. Au-delà de celui à l’éducation, aux loisirs et aux vacances, le maire met l’accent sur l’accès à la santé. Malgré la désertification médicale, les 7 000 patients gentilléens parviennent à être soignés gratuitement au centre de santé, « à l’heure où les frais peuvent s’élever à hauteur de 35, voire 50 euros ». Pouvoir se soigner sans se ruiner est une « véritable innovation sociale », se réjouit le cinquantenaire, qui souhaite étendre cette idée de moindre coût aux autres institutions de Gentilly : « Être maire d’une commune, c’est créer les conditions pour y vivre. »
À commencer par de meilleurs logements, plus verts, à des prix accessibles. En ce mois d’octobre, le maire visite d’imposantes tours coiffées de jardins partagés, dans le 13e arrondissement de Paris, un habitat mêlant béton et bois dont il souhaite s’inspirer pour sa ville. Fatah Aggoune s’arrête longuement dans un T5 lumineux, percé de grandes fenêtres insonorisées. Chaque famille nombreuse de Gentilly a le droit de vivre dans des grands espaces et non à « six dans un petit appartement », insiste-t-il.
Sa première pierre à l’édifice pour son mandat ? « Permettre aux plus défavorisés de vivre aux portes de Paris malgré une pression foncière, immobilière et sociale extrêmement forte. » À Gentilly, le prix au mètre carré s’élève entre 5 000 et 6 000 euros. « Les Français doivent pouvoir vivre dans des logements décents, abordables, à loyer modéré », poursuit Fatah Aggoune. Un logement à prix prohibitif constitue le premier moteur d’exclusion sociale. Une bataille de tous les jours, donc, pour les élus qui se revendiquent du communisme municipal.
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