À peine investi, le président promet d’accélérer la guerre commerciale déclarée à la Chine lors de son premier mandat. Pour conserver sa place sur la scène internationale, la première puissance mondiale est également prête à tordre le bras aux pays du Sud et à faire plier ses partenaires européens.

© Jeff Swensen / Getty Images / AFP
Convenons-en, la petite musique d’une langue, la manière dont elle sonne à nos oreilles, relève de l’intime. « Déjà-vu » est à cet égard défini par certains comme l’un des vocables les plus charmants du dictionnaire. Il a l’avantage de parler aux anglophones, qui l’ont intégré dans leur vocabulaire.
Il pourrait également s’appliquer à la séquence actuelle et au retour au pouvoir de Donald Trump. Seulement, le président des États-Unis – habitus de milliardaire oblige – a un tout autre avis sur la question : « Pour moi, « tarif » est le plus beau mot du dictionnaire », disait-il lors de sa campagne électorale.
Dont acte. Fraîchement investi, le locataire de la Maison-Blanche promet l’une des guerres commerciales les plus dures depuis les années 1930, où chaque taxe, chaque restriction à l’importation pourrait entraîner des contre-mesures, dont certaines dans des domaines vitaux de développement (matières premières, intelligence artificielle, semi-conducteurs, etc.).
Renforcer le pouvoir du roi dollar
Consolider la mainmise des États-Unis sur l’économie mondiale suppose aussi, pour Donald Trump, de tailler les institutions et les normes internationales à sa main. Des normes à même de protéger la place du dollar comme monnaie de réserve mondiale. Un état de fait depuis 1945 dont les pays émergents tentent de s’émanciper.
Sur ce plan aussi, le président états-unien multiplie les menaces : « L’époque où les pays des Brics tentaient de s’éloigner du dollar pendant que nous restions les bras croisés est révolue. Nous exigeons de ces pays qu’ils s’engagent à ne pas créer de nouvelle monnaie des Brics, ni à soutenir une autre devise pour remplacer le dollar américain, faute de quoi ils seront soumis à des tarifs douaniers de 100 % et ne pourront plus accéder à notre merveilleuse économie pour vendre leurs produits. »
Trois jours avant l’investiture de Donald Trump, l’Union européenne (UE) et le Mexique, tous deux menacés de mesures de rétorsion, ont scellé un accord de libre-échange renforcé. Le texte, qui reste à ratifier, inclut les services, les investissements, les produits agricoles et les marchés publics, quand l’accord de 2000 couvrait seulement les produits industriels.
Panique à Davos
L’accord doit également permettre de conforter la chaîne d’approvisionnement en matières premières critiques. La réponse des dirigeants européens aux coups de boutoir trumpiens reste toujours plus de libre-échange. Sans garanties sur le volet social ni sur la protection des producteurs et des industries du Vieux Continent.
Dans le domaine commercial, comme dans d’autres, Trump promet le protectionnisme par la force, le nationalisme économique, des négociations bilatérales déséquilibrées et un rejet des institutions multilatérales. C’est l’équation que devront résoudre les milliardaires réunis depuis ce 20 janvier dans la très chic station de Davos (Suisse).
« Partout dans le monde, on se pose la question d’ouvrir de nouveaux marchés et d’accélérer l’efficacité opérationnelle pour contrer les droits de douane à venir », concède Florence Verzelen, directrice générale adjointe de Dassault Systèmes, en marge du Forum économique mondial.
Aller plus avant dans la mondialisation et la dérégulation pour contrer Trump ? En 2024, selon Oxfam, la fortune des milliardaires a atteint 15 000 milliards de dollars à l’échelle mondiale, soit trois fois plus qu’en 2023, quand « le nombre de personnes prises au piège de la pauvreté n’a presque pas évolué depuis 1990 ».
Réduire la montée en puissance de la Chine
Soucieuse de conserver son trône, l’oligarchie réactionnaire trumpienne concentre son feu sur ce qu’elle présente comme la « première menace mondiale », la Chine, qui est en pleine ébullition. La nouvelle hausse des sacro-saints tarifs douaniers, après celles des administrations Obama, Trump I et Biden, oblige les cadres du Parti communiste chinois à agir dans l’urgence.
La semaine dernière, Xi Jinping les avertissait qu’il faudrait « encore ouvrir le marché » chinois et « attirer les investissements » étrangers. Le président de la République populaire a évoqué ses craintes lors de ses vœux à la nation : « L’économie chinoise fait face à de nouvelles conditions, avec notamment des incertitudes de l’environnement extérieur. »
La guerre commerciale amorcée par Washington face à l’offre gigantesque que représente le marché chinois impacte effectivement Pékin. Depuis 2018, les importations chinoises aux États-Unis sont en baisse continue, voire réduites de moitié dans le textile, la mécanique et l’électrique. Le secteur technologique chinois est également frappé par l’impossibilité d’avoir accès aux dernières machines de lithographie, nécessaires aux semi-conducteurs les plus avancés : seul le néerlandais ASML les fabrique et n’en envoie pas à Pékin sur ordre de Washington.
Une guerre commerciale qui n’empêche pas un rapprochement
La Chine doit donc assurer ses arrières. Ce 20 janvier a eu lieu la première réunion publique de la commission centrale des sciences et technologies, créée en mars 2023, pour faire face aux sanctions américaines et coordonner la « fusion militaro-civile » de la tech.
Mais le dialogue n’est toujours pas rompu. Invité à la cérémonie d’investiture, le vice-président Han Zheng en a profité pour planifier quelques rencontres en amont, avec Elon Musk par exemple. C’est vendredi qu’a eu lieu le rapprochement le plus franc entre les deux superpuissances, à l’occasion d’un coup de fil entre Xi Jinping et Donald Trump.
« J’espère que nous pourrons résoudre de nombreux problèmes ensemble, et immédiatement, a écrit le second sur son réseau Truth Social. Nous avons discuté de la balance commerciale, du Fentanyl, de TikTok et de nombreux autres sujets. Le président Xi et moi ferons tout ce qui est possible pour rendre le monde plus pacifique et plus sûr ! »
Des sanctions qui touchent aussi les Américains
Le nouveau président états-unien a tout intérêt à desserrer l’étau : les sanctions touchent certes la Chine et les nombreux pays qui échangent avec elle, mais aussi son propre peuple. « Les droits de douane ont coûté 125 milliards de dollars aux entreprises et consommateurs » américains, estime, dans le South Morning China Post, Douglas Barry, économiste du Centre de recherches sur la Chine, basé à Atlanta.
De plus, la « phase 1 » de l’accord commercial entre les deux pays (2020-2021), qui engageait la Chine à importer 200 milliards de dollars de produits américains de plus qu’en 2017, a été un échec et n’a pas été renouvelée. Les agriculteurs, qui devaient bénéficier de cet accord, n’ont eu aucune alternative depuis.
« Il n’y a pas besoin de 60 % de taxes pour tuer le marché sino-américain, ajoutait un haut diplomate chinois à l’Humanité après l’élection de Donald Trump. Les taxes, en plus de priver les entreprises des bénéfices, tordent et rallongent les chaînes de production, ce qui a un impact sur les consommateurs. »
Les nuages s’amoncellent sur l’Europe
En voie de désindustrialisation, l’Europe s’attend, elle aussi, à voir la compétition s’intensifier avec les États-Unis. L’imposition de droits de douane sur les importations pourrait sérieusement frapper l’économie déjà atone des Vingt-Sept.
Le but ? Poursuivre le mouvement de relocalisation des entreprises aux États-Unis entamé sous l’administration Biden avec l’Inflation Reduction Act et réduire l’excédent commercial européen. Les coûts énergétiques élevés en Europe pourraient renforcer cette tendance à la fuite des entreprises. D’autant que Donald Trump menace d’augmenter encore les tarifs douaniers si l’UE n’élevait pas le niveau de ses importations de pétrole et de gaz depuis les États-Unis.
Une manière de renforcer encore un peu plus la mainmise de la puissance américaine. La probable déréglementation états-unienne sur l’intelligence artificielle tournerait également au désavantage des entreprises européennes. Enfin, les sanctions contre la Chine auraient des conséquences sur le continent en ce qu’elles entraveraient les échanges commerciaux. Une guerre entre le dollar et le yuan ne manquerait pas de produire des conséquences pour l’euro.
Déjà appauvris par l’austérité, les peuples européens risquent de voir leur protection sociale sacrifiée sur l’autel de la course aux armements exigée par Trump dans le cadre de l’Otan. « Le résultat de l’autonomisation des oligarques (américains) sera davantage d’attaques contre les droits des travailleurs, les salaires équitables et le droit de s’organiser dans le monde entier », met en garde le coprésident du groupe La Gauche au Parlement européen, Martin Schirdewan. Du « déjà-vu » mais peut-être pas avec l’intensité promise par Donald Trump.
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