« Un réseau qui vieillit est un réseau qui se dégrade » : le financement des transport, une bombe à retardement à 200 milliards d’euros + pétition OCCITANIE

Après des années de sous-investissement, les réseaux de voyageurs et marchandises sont rattrapés par le vieillissement des infrastructures. Dans le ferroviaire, un « effondrement irréversible » est pointé par la SNCF. Tous modes de transports confondus, les besoins d’investissement approchent les 200 milliards d’euros dans les décennies à venir alors qu’une conférence de financement se réunit jeudi 12 juin à Bercy.

En matière de transports, la France peut-elle se « tiers-mondiser » ? Rattrapés par des années de sous-investissement, ses réseaux routier, ferroviaire et fluvial sont à la croisée des chemins. « L’âge moyen des caténaires est de 40 ans. Au moins 50 % des chaussées du million de kilomètres de nos routes sont dégradées, comme 34 % de nos ponts Ces chiffres ont augmenté de 4 % à 5 % entre 2018 et 2022. Un réseau qui vieillit est un réseau qui se dégrade », s’était ému François Bayrou au lancement d’Ambition France Transports, la conférence de financement des infrastructures, le 5 mai.

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Le premier ministre a cependant prévenu : « Nous devons prendre le temps de regarder les investissements nécessaires et identifier les leviers à notre disposition pour les financer de manière soutenable, crédible et durable. » Le tout dans un contexte budgétaire restreint, avec 40 milliards d’euros d’économies annoncés pour 2026.

Jeudi 12 juin, les 4 ateliers thématiques (modèle économique des autorités organisatrices de la mobilité et Serm, ou service express régional métropolitain ; financement des infrastructures routières ; service ferroviaire de voyageurs ; report modal et transports de marchandises) se réunissent à Bercy. Mis bout à bout, les besoins d’investissements, tous modes confondus, approchent les 200 milliards d’euros dans les décennies à venir. Un choix de société qui en va de l’avenir de la cohésion territoriale et économique de la France.

Rail : au moins 35 milliards pour sauvegarder l’existant

Dès l’ouverture de la conférence de financement, la SNCF avait prévenu : à l’horizon 2028-2030, 4 000 kilomètres de lignes « pourraient être touchés par un effondrement irréversible de la qualité de service ». Soit un impact direct sur 2 000 trains du quotidien. Dans le ferroviaire, la dette grise, soit l’ensemble des coûts futurs nécessaires à l’entretien et de régénération du réseau devant être payés dans l’avenir en l’absence d’investissements réalisés dès aujourd’hui, peut mettre en péril la sécurité des circulations.

En février 2023, Élisabeth Borne avait annoncé un plan de 100 milliards d’euros d’ici à 2040 pour développer le ferroviaire, dont les deux tiers dédiés à des projets structurants (Serm, accès au tunnel du Lyon-Turin…) et 35 milliards destinés au rajeunissement du réseau. Pour éviter une faillite du ferroviaire, l’État a fixé à SNCF Réseau l’objectif d’accroître de 1,5 milliard d’euros, soit 4,5 milliards au total, le montant annuel des investissements pour la régénération du réseau. Le groupe SNCF s’est engagé à verser 500 millions supplémentaires par une réduction des effectifs de l’exploitation estimée entre 20 % à 40 % et la généralisation du système de signalisation européen ERTMS. « Cet apport est le maximum que le groupe SNCF peut apporter sans mettre en péril ses équilibres financiers, recréer de la dette ou remettre en cause ses investissements », prévient la société ferroviaire dans sa contribution.

De son côté, malgré ces annonces, l’exécutif s’est abstenu de préciser les financements du plan présenté par l’ex-première ministre, dont le fameux milliard manquant pour le rail. « L’objectif de cette conférence est justement de regarder l’adéquation de ces engagements avec les ressources disponibles », prévient auprès de l’Humanité une source gouvernementale. Sans prise de conscience, la SNCF assure que « 10 000 kilomètres de lignes seraient menacés dans les dix ans à partir de 2028 ».

L’inquiétude est d’autant plus grande que la note interne à Bercy révélée par l’Humanité le 11 juin jette le doute sur les véritables intentions du ministère des Comptes publics concernant des projets structurants. Ainsi, selon les pistes d’économies listées par le Contrôle général économique et financier (CGefi), il « peut être envisageable de réexaminer » des projets annoncés, citant les nouvelles liaisons Provence-Côte d’Azur et le grand projet Sud-Ouest, qui nécessiteraient respectivement 3,6 milliards d’euros et 14 milliards d’euros, dont la moitié à la charge de l’État.

Retard dans le transport de marchandises bas carbone

D’abord le constat : avec seulement 10,7 % des marchandises transportées par le ferroviaire (contre 17 % en Europe) et 2 % pour le fluvial (contre 10,7 % en Allemagne), la France est en retard dans ses objectifs de neutralité carbone pour 2050. Car les transports sont responsables de 32 % des émissions de gaz à effet de serre.

Ensuite les besoins. Présenté en mars 2025, le plan Ulysse Fret est un programme de 4 milliards d’euros pour le fret ferroviaire, dont 2 milliards déjà fléchés par l’État. Dans sa contribution, le lobby patronal du rail, Alliance 4F, réclame l’inscription de ses crédits dans une loi de programmation.

Côté fret fluvial, un rapport de 2024 de la Cour des comptes chiffrait à 1,1 milliard la dette grise des quelque 8 500 kilomètres du réseau de l’Hexagone jugés dans « un état préoccupant ». Le contrat de performance entre l’État et Voies navigables de France (VNF) prévoit d’augmenter de près de 50 % les crédits consacrés entre 2023 et 2032, soit 2,5 milliards d’euros. « Ces moyens restent cependant très en deçà des besoins d’entretien, de régénération et de modernisation, estimés à 3 milliards sur dix ans pour stabiliser l’état du réseau et à 3,8 milliards pour le remettre réellement à niveau », assure la Cour des comptes.

Les futurs « RER métropolitains » menacés ?

La promesse d’Emmanuel Macron de doter les métropoles de « RER métropolitains » se concrétisera-t-elle ? Courant 2024, 26 projets de services express régionaux métropolitains (Serm) ont été labellisés pour un coût global chiffré à 40 milliards d’euros. Des investissements en grande partie compris dans le plan de 100 milliards présenté par Élisabeth Borne. Or, dans les révélations de l’Humanité du 11 juin, Bercy semble hésiter quant à concrétiser tout ou partie de ces projets.

« La conférence de financement des mobilités est pour l’évaluation et la priorisation de ces projets un enjeu majeur, d’autant que le contexte de taux actuel rend les financements de très long terme moins favorables », peut-on lire dans la note du CGefi, qui souligne une « forte concentration », en financements, « sur ceux de Lille, Lyon et Toulouse (plus de 50 % du total) ».

La CGT cheminots prévient : « Si l’intention de renforcer les liaisons ferroviaires au sein et autour des grandes agglomérations est louable, les modalités de financement et de mise en œuvre, telles qu’elles se dessinent, font craindre une aggravation des inégalités territoriales et un affaiblissement du service public ferroviaire. Le risque majeur est de voir le développement des Serm se faire au détriment du transport régional existant. »

Droit dans ses bottes, le 20 mai, au Cese, Philippe Tabarot, ministre des Transports, annonçait que l’État « prendra en charge la phase de préfiguration des Serm ». Il n’en reste pas moins que les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) devront absorber 1,5 milliard d’euros annuellement pour « financer les coûts d’exploitation supplémentaires liés au déploiement des Serm », rappelle l’association Objectif RER métropolitains, qui regroupe les acteurs publics concernés.

Le mille-feuille explosif des autoroutes « bankables »

Selon un rapport de 2024 de l’Observatoire national de la route, 18,8 % du réseau non concédé serait en mauvais état, tout comme 10 % des artères départementales. Le chiffrage des besoins d’investissement est complexifié par les multiples acteurs intervenant dans la gestion du patrimoine routier hexagonal. Selon l’Association des maires de France (AMF), 65 % du réseau routier est géré par les communes et leurs intercommunalités. Soit 717 000 kilomètres et 120 000 ponts, dont 30 % nécessitent des travaux.

Dans sa contribution, la Sanef, société exploitante des autoroutes du Nord et de l’Est, assure que « les besoins d’investissement sont estimés de 75 à 90 milliards d’euros, dont 25 à 30 milliards d’euros sur les réseaux concédés et 50 à 60 milliards d’euros sur le réseau routier structurant non concédé ». Une des pistes de financement consisterait à justement revenir sur la gestion des autoroutes par le privé. Une privatisation qui, selon un rapport sénatorial, permettrait aux sociétés concessionnaires de dégager 40 milliards de dividendes entre 2022 et 2036, date de fin des concessions. Depuis 2006, ces sociétés ont empoché 55 milliards d’euros au détriment de l’intérêt général.


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