L’Humanité s’entretient avec Fabien Roussel. Le secrétaire national du PCF appelle à changer non seulement de gouvernement, mais surtout de politique. Il décrit la période qui s’ouvre comme celle d’un « bras de fer » contre les politiques favorables au capital et invite à la mobilisation.

© Thibaud MORITZ / AFP
En cette rentrée, alors que le gouvernement Bayrou est sur la sellette, le PCF exige des mesures d’urgence : augmentation du Smic à 2 000 euros brut, abrogation de la réforme des retraites, remise à plat des aides publiques aux entreprises, moratoire sur les licenciements, action pour la paix.
Redoutant la désignation d’un nouveau premier ministre dans la lignée des précédents, le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, invite à la mobilisation les 10 et 18 septembre. En cas de dissolution, il appelle toute la gauche à se rassembler pour faire émerger, dans les territoires, les candidatures les mieux placées pour battre l’extrême droite.
François Bayrou souhaite que le vote de confiance scelle un « constat » sur l’état des finances publiques. Quel est le vôtre ?
Le premier ministre porte le bilan de huit ans de politique en faveur du capital et des plus riches. Un bilan désastreux à l’origine de plusieurs records : 12 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté ; 17 % de salariés sont payés au Smic ; et les riches n’ont jamais été aussi riches.
Le gouvernement semble prêt à tomber. Que devrait demander la gauche ?
Nous devons obtenir un changement de politique dans un contexte particulier : un président qui défend les riches et une Assemblée nationale divisée en trois blocs. Après François Bayrou, il nous faut un premier ministre qui accepte de discuter avec la gauche et de résister au président de la République. Nous avons besoin d’un gouvernement de gauche qui remette en cause la politique de l’offre, relance l’activité par le pouvoir d’achat, l’investissement dans l’industrie, les services publics, l’emploi.
Si aucune discussion n’est possible car le président nomme quelqu’un de son camp, qui s’obstine à imposer 40 milliards d’euros d’économies, alors ce premier ministre subirait une nouvelle motion de censure. Il ne nous laissera malheureusement pas d’autre choix. Mais je le rappelle : ce que nous voulons avant tout c’est un changement de politique. Cela ne passe pas forcément par une dissolution, par de nouvelles élections. Cela passe par un esprit de responsabilité du président de la République, qui doit entendre que les Français n’en peuvent plus.
C’est pour cela que j’appelle les salariés à se mobiliser, à se faire entendre, à participer aux mouvements sociaux, le 10 septembre et surtout le 18 septembre à l’appel de l’intersyndicale. L’intervention de nos concitoyens dans les jours qui viennent sera déterminante. Il faut s’appuyer dessus.
Ce changement de politique est-il compatible avec une réduction des déficits ?
François Bayrou n’a que ces mots à la bouche. Je le prends au mot. Faisons des économies dans les dépenses publiques inutiles d’abord ! Par exemple, dans les 211 milliards d’euros d’aide aux entreprises donnés sans contrepartie. Il y a là quelques milliards qui peuvent être économisés. Réduire le déficit est donc possible. Cela passe aussi par l’augmentation des recettes en faisant contribuer le capital.
Mais l’objectif pour la France ne peut être la seule limitation du déficit. Nous voulons une dépense publique utile, avec un endettement qui permet de produire des richesses au lieu de faire des cadeaux au capital. C’est-à-dire qui permette d’investir, de réindustrialiser, de produire mais aussi d’embaucher dans nos hôpitaux, dans nos écoles.
Il y a besoin d’investir dans la transition écologique, dans de nouvelles centrales nucléaires, dans le transport, dans la construction de logements. Renouons avec la France des bâtisseurs, avec de bons salaires et du progrès social ! C’est comme cela que nous pourrons rembourser la dette.
Est-ce pour cela que vous proposez un plan d’investissement de 500 milliards d’euros sur cinq ans ?
On peut avoir une meilleure gestion de l’argent public et en même temps mobiliser beaucoup d’argent pour pouvoir investir dans ce dont nous avons besoin aujourd’hui. C’est pour cela que nous proposons un pacte d’avenir pour le climat, pour améliorer les services publics et pour une nouvelle industrialisation. Nous avons besoin d’un choc d’investissement.
D’autres pays, comme l’Allemagne, font ce choix. La France peut lever ces fonds, faire appel au pôle public bancaire porté par la Caisse des dépôts, à la BCE ou prendre en charge des intérêts bancaires pour prêter à taux 0 % sur la base de critères sociaux et environnementaux. Le problème ce n’est pas de trouver l’argent, c’est de savoir comment la France l’utilise pour le mettre au service de la nation, du climat, de la production, de la jeunesse.
Si un nouveau premier ministre était nommé et qu’il était censuré, que devrait-il se passer ?
Le pays serait bloqué et le président n’aurait d’autre choix que de dissoudre l’Assemblée nationale. Nous devons nous préparer à une nouvelle dissolution. Nous appelons donc, dès maintenant, à travailler à des candidatures de rassemblement de la gauche, de toute la gauche, construites département par département, au plus près des réalités locales et des combats qui s’y mènent, et en tenant compte des élections municipales.
L’objectif est à chaque fois de présenter la meilleure candidature, ancrée sur le terrain, pour empêcher la droite et l’extrême droite de gagner et pour gagner des députés de gauche. Nous devons y travailler tous ensemble et dès maintenant. C’est le sens de l’appel que je lance.
Tiraillée entre le PS et LFI, la gauche est-elle apte à gouverner ?
Si un premier ministre de gauche était nommé en proposant l’abrogation de la réforme des retraites et une hausse des salaires, quel député de gauche voterait contre ? Mais, aujourd’hui, il faut surtout s’attendre à la nomination d’un premier ministre issu du camp présidentiel. Alors préparons-nous à un nouveau bras de fer.
Y a-t-il des lignes rouges ?
Ce budget ne doit pas prendre un euro de plus dans les poches des salariés, des retraités. Et la réforme des retraites doit être abrogée.
La gauche ne dépasse pas depuis 2017 le tiers de l’électorat. Comment briser ce plafond de verre ?
Tant que les responsables des différentes forces de gauche ne s’attaqueront pas à ce plafond de verre, nous ne nous donnons pas la possibilité de diriger le pays avec une majorité suffisante. Aussi faut-il s’attaquer aux raisons pour lesquelles la gauche ne progresse pas. Pourquoi tant d’abstention ? Pourquoi une partie du monde ouvrier, de l’électorat populaire se réfugie dans un vote d’extrême droite ? Ils ne sont pas pour autant fascistes.
Beaucoup veulent vivre mieux, vivre en paix, être respectés. Mais tout est fait pour diviser le peuple, les salariés. La conscience de classe recule. Le monde du travail doit prendre conscience qu’uni, il peut gagner et que l’extrême droite est du côté du capital. La seule question de l’union des gauches ne permettra pas de conquérir le pouvoir.
Pourquoi cet électorat ne se tourne-t-il pas vers la gauche ?
D’abord parce qu’une partie de la gauche a déçu lorsqu’elle était au pouvoir. Ensuite parce que des propositions et paroles de responsables de gauche font peur, divisent ou ne sont pas crédibles pour répondre aux attentes et relever les défis d’une société qui a changé. Il faut avoir l’humilité de se remettre en cause et de travailler de grandes questions : une nouvelle industrialisation, le lien entre l’écologie et le social, la paix.
Ensuite, il y a des différences sur des sujets qui font débat dans la société, l’écologie, le travail, l’Union européenne, la guerre. Il faut savoir accepter ces différences à gauche. Les Français parlent beaucoup de l’économie de guerre. Au PCF, nous voulons en sortir. Nous ne partageons pas l’idée qu’il faille continuer à nourrir la guerre en Ukraine.
Jusqu’où ? Combien de temps encore ? Sur ces sujets, comme sur d’autres, il faut pousser le débat mais aussi accepter que la gauche n’est pas unicolore, n’est pas représentée par un seul responsable politique. En son sein, il y a des forces comme le PCF qui défendent le travail et la paix.
Le PCF a adopté, samedi, ses propositions pour renforcer la Sécurité sociale. En quoi est-elle un pilier d’avenir ?
Née en 1945, elle était inscrite dans le programme des Jours heureux. Elle a été mise en place par le gouvernement du général de Gaulle, à l’initiative du ministre communiste Ambroise Croizat. Les Français y sont attachés. Quatre-vingts ans après, le système financé par la cotisation des salariés et employeurs continue de fonctionner. Cette solidarité doit se poursuivre sinon l’assurance privée va prendre le pas.
Toutefois, il faut mieux prendre en compte les richesses créées aujourd’hui et les défis nouveaux (allongement de la durée de vie, dépendance). Cela nous invite à réfléchir à de nouvelles recettes. Nous proposons ainsi une nouvelle cotisation assise sur les revenus financiers.
La Sécurité sociale, est-ce du communisme ?
Avoir une carte Vitale, c’est un peu avoir une carte du Parti communiste français dans sa poche. La Sécurité sociale est à l’image de la société que nous proposons : faite de solidarité et d’une juste répartition des richesses. De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins.
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