Inconnu du grand public il y a encore six mois, le député du Nord secoue la campagne présidentielle dont il est l’une des révélations. À force de bonne humeur, de franc-parler et de propositions radicales, il fait entendre une voix différente et remet les idées communistes sur le ring. Un candidat « heureux » de l’être qui entend rallier les déçus de la gauche en portant le combat de la dignité et du «bonheur collectif».
C’est une petite bête rouge qui monte, qui monte… jusqu’à devenir un candidat pleinement installé dans la campagne présidentielle. Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, a réussi sa percée médiatique. Certes, ce n’est pas encore le grand soir électoral, mais qui peut se targuer d’une telle dynamique à gauche ? Anne Hidalgo, Christiane Taubira et Yannick Jadot ne cessent de reculer dans les sondages, quand Fabien Roussel, lui, est monté de 1,5 % des intentions de vote en septembre jusqu’au seuil des 5 %, selon certains instituts. Qui l’eût cru il y a encore quelques semaines ?
« Peut-on encore imaginer cette campagne sans lui ? »
« Au départ, tout le monde se demandait : “Roussel, qu’est-ce qu’il vient faire dans cette campagne ?” Aujourd’hui, retournons la question : “Est-ce qu’on peut encore imaginer cette campagne sans lui ?” » observe Olivier Marchais. Le fils de Georges, grande figure du PCF des années 1980, est membre de l’équipe de campagne pour 2022 et a sa petite idée sur les raisons de cette évolution. « Ce n’est pas anodin de choisir comme slogan “La France des jours heureux”. Et ce n’est pas qu’un slogan d’ailleurs, c’est une réalité. On veut que tout le monde ait droit à la justice sociale et au bonheur », ajoute Olivier Marchais, qui a rencontré Fabien Roussel… sur les bancs du lycée, avant de militer avec lui contre l’apartheid en Afrique du Sud. « C’était déjà un boute-en-train, il était heureux et dynamique, et l’est toujours ! »
« Ça me fait bien marrer quand j’entends dire que je suis le “candidat de gauche préféré de la droite”. Ceux qui disent ça n’ont pas dû lire mon programme ! » Fabien Roussel
À tel point que les journalistes se l’arrachent, que les éditorialistes – même de droite – louent son humour et le trouvent « sympa ». « Franchement, place du Colonel-Fabien, j’y vais le sourire aux lèvres. On se marre ! » confie Julia Castanier. Fabien Roussel, l’humour d’abord ? « Pas seulement. Fabien est à la fois quelqu’un d’heureux et quelqu’un de révolté contre les injustices. On a beau avoir une bonne humeur et une bonne stratégie médias, ça ne suffit pas. Il faut aussi être ancré dans les réalités de la vie quotidienne, et montrer qu’il existe des solutions positives, efficaces, et résolument de gauche », ajoute la directrice de la communication du PCF. Les éditorialistes de droite commencent d’ailleurs à déchanter : Fabien Roussel est un communiste sympa mais… c’est un communiste ! « Ça me fait bien marrer quand j’entends dire que je suis le “candidat de gauche préféré de la droite”. Ceux qui disent ça n’ont pas dû lire mon programme ! » s’amuse le principal intéressé.
Le droit au bonheur des plus modestes
Et pour cause : Fabien Roussel est pour la semaine de 32 heures et la retraite à 60 ans. Aïe ! Il veut augmenter le Smic à 1 500 euros net. Ouille ! Recruter 500 000 fonctionnaires. Mince ! Augmenter l’impôt des plus riches, tripler l’ISF et baisser la TVA. Ouch ! Construire 200 000 logements sociaux par an. Non ! Nationaliser deux grandes banques (BNP Paribas et la Société générale) et une compagnie d’assurances (Axa). Mais c’est un scandale ! Inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution et mettre en place un plan d’éducation pour combattre les LGBTQI-phobies. Oulala ! Assurer l’égalité salariale homme-femme de façon contraignante et instaurer une échelle des salaires de 1 à 20. Quésako ? Sortir de l’Otan. Inadmissible ! Régulariser les travailleurs sans papiers. Argh ! Faire respecter le droit d’asile à l’échelle européenne. Impensable ! Lancer un plan « zéro jeune au chômage ». Utopique ! Et, entre autres, injecter 140 milliards d’euros pour le climat et l’urgence sociale.
« Roussel, c’est le Chirac de gauche ! » entend-on pourtant sur les chaînes d’info. Mais d’où vient ce parallèle permanent ? Et ce coup de cœur passager des journaux de droite pour le dirigeant communiste ? C’est que Roussel serait le candidat de « la gauche pas woke », de la « droitisation du PCF », avec un programme « vintage » et « franchouillard », selon une partie de la gauche. Pire : il serait même « raciste » et « suprémaciste blanc », selon des détracteurs qui semblent avoir perdu le sens des réalités.
Après la polémique, la tempête médiatique…
La raison ? Tout a commencé début janvier, lorsque Roussel prononce cette phrase : « Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage : c’est la gastronomie française. Le meilleur moyen de la défendre, c’est de permettre aux Français d’y avoir accès. » Ni une ni deux, certains comprennent que, pour le communiste, si tu n’accompagnes pas ton saucisson d’un verre de rouge, c’est que tu n’es pas français. « Notre position n’est pas du tout identitaire ! Ce que nous défendons, c’est le droit aux couches modestes de profiter du bonheur de la vie avec des produits de qualité, en liant politique sociale, alimentaire et préservation de l’environnement, avec un fonds de 10 milliards d’euros par an », explique André Chassaigne, chef de file des députés PCF.
Il faut se frotter les yeux pour le croire, mais c’est à ce moment-là que la machine médiatique s’emballe. La violence et l’outrance des attaques placent Roussel au cœur du débat. Aussitôt, il rend visite à l’École professionnelle de la boucherie, à Paris. « Je veux mettre les pieds dans le plat et défendre l’idée qu’il est possible de manger sain et à sa faim pour tous. C’est un vrai projet de société, c’est même un projet révolutionnaire. Ceux qui m’ont porté ces critiques sont en réalité coupés du peuple », lance-t-il devant une forêt de caméras, insistant sur les « cinq millions de Français (qui) se rendent dans les associations pour manger ». Il répond aussi en prenant une photo de lui, tout sourire, à table, en famille, avec ses enfants métis et un bon couscous du dimanche. La tornade s’est abattue, il a répliqué, et, depuis, il ne cesse de monter dans les sondages. « La polémique sur la bonne bouffe a contribué à le propulser sur la scène médiatique. Ceux qui l’ont entretenue doivent s’en mordre les doigts parce qu’en réalité ils l’ont aidé et se sont disqualifiés », mesure son directeur de campagne, Ian Brossat.
Des thèmes peu portés à gauche
La bataille se poursuit sur l’énergie : face au réchauffement climatique Roussel défend un mix entre le nucléaire et le renouvelable, ainsi que la nationalisation d’EDF et d’Engie. Une position qui clive à gauche. Le candidat est également attaqué pour s’être rendu, en mai 2021, à une manifestation de policiers devant l’Assemblée nationale. Non pas que Fabien Roussel partage les opinions du très droitier syndicat de police Alliance – il venait d’ailleurs de voter contre la loi dite de sécurité globale. « Il s’agit de dire que la gauche ne doit pas abandonner les questions de sécurité à la droite et à son extrême. L’insécurité frappe d’abord les couches populaires, pas les beaux quartiers. Le droit à la tranquillité doit être assuré, et la police doit être utilisée autrement », explique André Chassaigne. Dans son programme, Roussel propose ainsi de recruter 30 000 policiers de proximité, de révoquer les éléments racistes et violents de la police nationale, et de mettre fin au contrôle au faciès.
Désormais bien installé dans la campagne, battant même un record d’audience au 20 heures de France 2, le candidat tient également à se distinguer sur la question du travail. Plutôt qu’un revenu universel, il défend un « droit universel au travail ». « Nous voulons passer d’une France des bas salaires, du chômage et des allocations à une France du travail et d’un revenu élevé qui en est issu », assure-t-il.
« Il se passe quelque chose », observe l’ifop
Un épisode a néanmoins fait plus mal. Les dents ont même grincé en interne, au sujet de la présence de l’essayiste controversée Caroline Fourest, proche du Printemps républicain et du dessinateur Xavier Gorce, lors de la soirée dédiée à la mémoire de « Charlie Hebdo ». « C’est une polémique qui naît sur des bases malsaines. Nous rendons hommage aux victimes de la tuerie. On est les seuls à l’avoir fait à gauche. On défend la laïcité et la liberté d’expression. Et évidemment on invite ceux qui ont fait partie de “Charlie”. On ne trie pas. Certains viennent, d’autres non. Au final, il y a eu des mots durs. Le sens même de notre initiative a été oublié. C’est assez terrible », raconte Christophe Grassullo. Du reste, le directeur de cabinet de Fabien Roussel se dit content d’avoir tourné la page d’un automne difficile : « C’était compliqué. On avait fait une série de rencontres des “Jours heureux”. On sentait que Fabien marquait des points, qu’il se passait quelque chose. Mais aucun sondage ne bougeait. Ce sont des moments assez durs ».
« Le socle de gauche est beaucoup trop faible : l’obsession de Fabien, c’est de l’élargir et de ramener à gauche des gens qui sont partis ou s’abstiennent. » Ian Brossat
À quoi sert en effet de se présenter si c’est pour faire 1 % à 2 % ? Quelle utilité pour les communistes et leurs idées ? C’est ce qui les avait amenés, après le 1,93 % obtenu par Marie-George Buffet en 2007, à impulser et participer pleinement au Front de gauche, porté par Jean-Luc Mélenchon en 2012, lequel avait aussi été soutenu par le PCF en 2017. Mais pas cette année. La direction du PCF a la conviction que l’insoumis s’est abîmé aux yeux des Français. Quant à la gauche, elle s’est avérée incapable de se parler. « Si tout le monde y va chacun de son côté en 2022, je vous le dis, je ne vois pas pourquoi les communistes n’iraient pas eux aussi », prévenait Fabien Roussel en 2020. Surtout, les militants communistes ont décidé de jouer la carte « PCF is back », de tenter de mettre au premier plan leur projet et leurs propositions.
« Nous avons bien fait : nous avons imposé la question du travail, du pouvoir d’achat et de l’écologie populaire. La mayonnaise commence à prendre mais il faut aller plus loin. Le socle de gauche est beaucoup trop faible : l’obsession de Fabien, c’est de l’élargir et de ramener à gauche des gens qui sont partis ou s’abstiennent », expose Ian Brossat, qui souhaite désormais franchir définitivement la barre des 5 % dans les sondages. « La notoriété de Roussel s’installe grâce à plusieurs coups d’éclat et au sentiment de proximité qu’il suscite. Sans être un phénomène – il n’est pas à 10 % – il se passe un petit quelque chose », mesure Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop.
« Le roussellement » pour irriguer l’économie réelle
Pour progresser, Roussel va-t-il miser sur ces bons mots qui lui ont permis de se faire remarquer ? « Il a fallu qu’on ait une discussion sur la place de l’humour en politique. Mais c’est comme ça, ça lui vient tout seul », note Julia Castanier. Ce qui lui joue parfois des tours, comme lorsqu’il se met à parler de « strings brésiliens » pour évoquer la légèreté des restrictions sanitaires aux frontières. « Au début, ça nous arrivait d’avoir des coups de chaud, mais l’humour, c’est aussi sa patte », s’amuse Christophe Grassullo. La dernière en date ? Roussel veut faire du « roussellement ». Soit l’inverse du ruissellement à la Macron, selon lequel plus les riches sont riches et plus ça profite à tous. Et donc le « roussellement » ? C’est simple : moins les pauvres sont pauvres, et plus ça profite à tous.
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