Communiqué de presse par G. Deltour, président de la FNE82 – Lundi 15 Aout 2022
La sécheresse 2022 s’annonce déjà historique. Le département du Tarn-et-Garonne, placé en niveau d’alerte renforcé, est concerné par des mesures de restriction des usages de l’eau. Outre le manque de pluie de ces derniers mois et du dernier hiver, cette sécheresse est aussi la conséquence d’une gestion de l’eau inadaptée à la réalité de nos ressources et incohérente par rapport aux connaissances scientifiques. Mauvaise gestion de l’eau et réchauffement climatique : France Nature Environnement 82 revient sur les ingrédients de cette sécheresse gravissime pour notre département et vouée à se répéter dans les prochaines années. La sobriété, la remise en cause du modèle agricole et la préservation des écosystèmes s’imposent aujourd’hui comme les seules solutions de sortie de crise.
Sécheresse : de quoi on parle ?
Quand on parle de sécheresse, on distingue :
- La sécheresse météorologique : “il ne pleut pas”. Un déficit de précipitations prolongé affecte un territoire.
- La sécheresse agronomique : “les sols sont secs”. Le manque d’eau affecte le développement de la végétation.
- La sécheresse hydrologique : “il n’y a plus d’eau dans les rivières”. Les niveaux des nappes souterraines et le débit des cours d’eau diminuent ; les milieux aquatiques sont impactés et leur fonctionnement naturel est perturbé.
Si la première échappe à notre contrôle et est aggravée par le réchauffement climatique, les deux autres sont étroitement liées à nos choix en matière de gestion de l’eau.
Outre le déficit pluviométrique, une augmentation des températures entraîne un assèchement de l’air en surface et un accroissement de l’évaporation des sols et de la transpiration des plantes. Mais les écosystèmes sont normalement tout à fait capables de gérer ce genre d’épisodes. Le problème, c’est que des décennies d’aménagements et de prélèvements les ont poussés au bout de leur capacité de résilience. Et les conséquences de ces choix se font douloureusement ressentir aujourd’hui.
Aménagements, mauvaise gestion des sols et prélèvements excessifs : la recette d’une sécheresse inédite
L’artificialisation des sols joue un rôle primordial dans les problèmes d’eau que nous rencontrons actuellement. Les zones urbaines sont aujourd’hui largement imperméabilisées, empêchant l’eau de s’infiltrer dans le sol et donc d’aller remplir les réserves souterraines.
Alors que les rivières sont à sec, les forêts brûlent et qu’on a dépassé au moins 3x les 40°C en France en 2 mois, l’enjeu de la décennie semble être l’arrosage des terrains de golf. Dans le quartier de Bas-Pays, entre destruction massive des espaces naturels qui captaient naturellement l’eau et l’arrosage du golf de Lestang construit sur une ancienne forêt on se demande où sont les priorités.
Gaëtan Deltour – Président FNE82
Il en va de même pour les sols agricoles dont la surface agricole utile (SAU) occupe 50% du territoire hexagonal : destruction structurale des sols, destruction des zones humides et des haies qui permettaient l’infiltration de l’eau… Un sol vivant agit comme une éponge tandis qu’un sol en mauvais état laisse glisser l’eau sans la retenir : elle gonfle les cours d’eau, provoque des inondations et rejoint les océans sans avoir le temps de s’infiltrer. Ces pratiques ont contribué à accélérer le cycle de l’eau alors qu’il faudrait le ralentir.
“Yaka stocker l’eau”, pourrait-on penser. La nature fait cela très bien et gratuitement, pour peu qu’on lui en donne l’occasion. Au contraire, les retenues d’eau artificielles aggravent les sécheresses qu’elles sont censées combattre : en Espagne, une récente étude a montré que les bassins versants comportant le plus de barrages sont aussi ceux qui connaissent le plus de sécheresses. Par ailleurs, le stockage crée un cercle vicieux de surconsommation de l’eau (plus d’informations ici).
Dans le Tarn-et-Garonne nous comptons pas moins de 6000 retenues d’eau artificielles et l’unique solution proposées par les autorités publiques semble être la construction de nouvelles retenues sans prendre en compte les analyses scientifiques menées sur le sujet ”
Gaëtan Deltour – Président FNE82
Nos prélèvements sont excessifs par rapport aux capacités des milieux
Eau potable, sécurité incendie, tourisme, refroidissement des centrales nucléaires, industrie, agriculture, hydroélectricité… Pour toutes ces activités, nous utilisons de l’eau douce. La plupart d’entre elles restituent l’eau aux milieux, de plus ou moins bonne qualité. Au contraire, l’irrigation ne restitue pas l’eau, et le stockage de l’eau mène à des pertes de quantité (évaporation), et aussi de qualité (l’eau chauffe, des algues se développent, etc.).
Par ailleurs, l’irrigation de certaines cultures céréalières ponctionne une grande quantité d’eau au moment le plus critique : l’été. Tout cela relève de choix : certains modes de culture sont soutenus pour leur rendement en répondant à un modèle productiviste insoutenable. Nous pouvons faire autrement.
Les changements climatiques vont engendrer une baisse d’environ 25 % d’eau disponible d’ici 2050. Si nous continuons à prélever plus que ce que les milieux sont en capacité de supporter, à la fois pendant les hautes eaux où les réserves se reconstituent et dans la période de basses eaux (mai à novembre) où la ressource est en tension, les sécheresses sont inévitables. Et elles seront aggravées par les sécheresses météorologiques.
Dans le deuxième volet du dernier rapport du GIEC, nous pouvons lire que « Le changement climatique intensifie le cycle de l’eau« . « Cela apporte des pluies plus intenses, avec les inondations qui les accompagnent, et des sécheresses plus intenses dans de nombreuses régions”. Il n’y a donc pas de surprise. Nous vivons, cet été, trois des quatre risques que le GIEC a identifié pour l’Europe. A savoir : 1 risque des fortes chaleurs qui présentent un risque pour les écosystèmes – notamment par les incendies – et 2 pour la santé humaine ; 3 une perte de productivité agricole liée à la sécheresse ; et enfin, 4 une pénurie d’eau, résume-t-il. Tant que le climat continue à se réchauffer, ces événements seront de plus en plus probables.
Moins prélever, adapter les usages : l’indispensable sobriété.
Les Assises de l’eau ont constitué un moment politique important pour les acteurs de l’eau en 2018-2019 et ont abouti à un “nouveau pacte pour faire face aux changements climatiques”. Elles ont fixé des nouveaux objectifs de réduction des prélèvements d’eau : -10 % en 5 ans d’ici 2025 et -25 % en 15 ans d’ici 2035. Il est temps que tous les secteurs s’attèlent sérieusement à l’atteinte de ces objectifs. 94 % de la surface agricole utile (SAU) est cultivée en pluvial, et l’irrigation concerne seulement 15 % des exploitations. Cette partie du secteur agricole, en tant que plus grosse consommatrice d’eau l’été, est la première concernée par la mise en place d’une gestion équilibrée de la ressource. Car si on peut cultiver sans irriguer, on ne peut vivre sans eau.
En cela, le modèle agricole productiviste doit être interrogé au regard du réchauffement climatique : un modèle qui pousse vers le développement d’une irrigation à des fins de rendement, où les sols malmenés ne sont plus capables de remplir leurs fonctions écologiques, où les voix des autres modèles agricoles sont étouffées par un lobbying puissant, c’est un modèle obsolète face aux enjeux climatiques, pour l’avenir des sols, des milieux aquatiques et pour la souveraineté alimentaire de la France (dont l’eau potable fait évidemment partie).
C’est l’agroécologie qui nourrit, pas le maïs d’exportation. La souveraineté alimentaire passe par des cultures alimentaires qui ne détruisent pas les milieux et les écosystèmes. Au-delà de la sobriété, nous devons agir sur les choix de prélèvements et de répartition de l’eau, conformément au droit de l’environnement en place depuis 30 ans.
Rétablir l’équilibre en restaurant les écosystèmes
Pour France Nature Environnement, la sobriété des usages doit s’accompagner d’efforts pour rétablir la production d’eau verte (eau de pluie absorbée par les végétaux). Cela passe par la restauration des écosystèmes, afin qu’ils retrouvent leurs fonctionnalités naturelles.
- Protéger et restaurer les milieux qui stockent naturellement l’eau et qui constituent des points d’infiltration vers les nappes souterraines, notamment les zones humides, riches en humus, qui fonctionnent comme des éponges naturelles. Elles stockent l’eau, atténuant les inondations, et la restituent aux milieux en cas de sécheresse. La multiplication de ces points d’infiltration est un outil efficace de lutte contre la sécheresse, et s’avère également très bénéfique pour la biodiversité. Le modèle agricole productiviste est largement responsable de leur disparition continue.
- En zone urbaine, désartificialiser les sols et limiter les nouvelles artificialisations. Un sol perméable favorise l’infiltration des eaux et limite les inondations d’hiver et les sécheresses l’été.
- En zone agricole, replanter des haies, des arbres, des bosquets, créer des terrasses pour casser les pentes et atténuer le ruissellement… Outre la restauration des infrastructures naturelles, le passage à des techniques d’agroécologie favorisant les sols vivants est indispensable. Les “mauvaises herbes” n’en sont pas, ce sont les supports des sols vivants dans l’écosystème. Leurs racines permettent à l’eau de s’infiltrer, et le couvert végétal empêche le sol de se dessécher.
Avec les 9 milliards d’euros annuels de la PAC (sur 60 milliards), la France a les moyens de soutenir une politique de sobriété et de transformation de l’agriculture, voire d’effacer les dettes des agriculteurs qui souhaitent passer à l’agroécologie mais qui sont coincés par le poids des emprunts.
La prise de conscience de chacun doit rapidement évoluer ! Si on est bien d’accord que la sécheresse est accentuée par le réchauffement climatique, il ne faudrait pas imputer la sécheresse uniquement au changement climatique et ne pas traiter les causes premières de la sécheresse des sols, qui sont la destruction conjointe des fonctionnalités des sols par la désertification des sols appauvris par l’agriculture conventionnelle et l’artificialisation des terres qui réduit d’autant la fine couche de terre arable qui permet la vie sur terre.
Gaëtan Deltour – Président FNE82
Ressources
- Sécheresse : l’irrigation augmente alors que la ressource en eau diminue – CP FNE mai 2022
- Les 5 atouts des zones humides face au dérèglement climatique – Dossier FNE
- Sécheresse : les barrages, fausse solution face au dérèglement climatique – Dossier FNE
- Barrages et réservoirs : leurs effets pervers en cas de sécheresses longues – The Conversatio
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