Fabien Roussel face aux lecteurs de l’Huma : « Rassemblons-nous devant les préfectures »

L’Humanité a reçu le secrétaire national du PCF pour un dialogue a bâtons rompus avec plusieurs citoyens qui s’inquiètent de l’inflation, de la casse des services publics, de l’accès au logement, de l’ubérisation du monde du travail et d’un horizon bouché pour les étudiants comme les retraités, avec l’envie de trouver des solutions.

Fabien Roussel a répondu aux questions de cinq lecteurs : Andrée, Nathalie, Pascal, Kader et Estelle, le 11 septembre 2023, à Saint-Denis au siège de L’Humanité.

Autour de la table de conférence de rédaction, lundi, dans les locaux de l’Humanité, le dirigeant du PCF Fabien Roussel s’assoit aux côtés d’Andrée, Nathalie, Kader et Estelle. Et un débat démarre pendant une heure trente sur l’état du pays et la réalité des vies au quotidien. Compte rendu.

Andrée, retraitée et militante à la Confédération nationale du logement : En racontant que j’allais rencontrer Fabien Roussel, on m’a dit : « Dis-lui que nous ne pouvons plus manger de viande ou de poisson à cause de l’inflation. » Aux permanences de la Confédération nationale du logement (CNL), nous recevons des personnes dont les revenus ne suffisent plus pour vivre. Même moi, qui ai une retraite de 1 400 euros, je ne peux plus partir en vacances, je dois faire attention à tout. Que proposez-vous pour sortir de cette situation ?

Le constat que vous faites est partagé par des millions de Françaises et de Français. Quand on a une inflation à 20 % sur l’alimentation, 30 % sur l’électricité, l’essence à plus de 2 euros le litre, alors que les salaires et les pensions n’augmentent pas, c’est tout simplement intenable. La France est un pays riche et nous avons dans notre pays environ 10 millions de personnes en situation de pauvreté. C’est l’injustice de ce système.

Mais on ne peut pas se faire plumer sans rien dire. Parce qu’on se fait véritablement plumer ! Aujourd’hui, 45 % de l’inflation sont provoqués par des grands groupes qui en profitent. On connaît les responsables. Sur l’électricité et le gaz, on sait que l’inflation est due à un marché spéculatif européen qui nous impose des tarifs alors que nous produisons de l’électricité et pourrions en avoir à dix fois moins cher. Sur l’essence, 60 % du prix, ce sont des taxes. L’État, sur l’essence, gagne des milliards d’euros et les taxes ne baissent pas alors que le prix monte. On ne peut pas se laisser plumer, racketter, voler sans rien dire.

Andrée : Mais que faire ?

J’appelle à l’action. D’abord, j’appelle le président de la République à agir tout de suite. Je ne veux plus entendre les discours selon lesquels l’État est impuissant. S’il est impuissant, il s’en va, il laisse faire les autres. Il doit bloquer les prix de l’alimentation par le bas, baisser les taxes sur l’énergie pour diviser par deux le prix de l’électricité, augmenter les salaires et les retraites au niveau de l’inflation.

Ensuite, si cela n’est pas fait, nous appelons à nous mobiliser. J’appelle à lancer, partout, des rassemblements devant les préfectures, devant l’État qui se dit impuissant, pour lui demander d’agir. Partout, il faut aller réveiller les services de l’État, les envahir même si nécessaire, que cela remonte jusqu’à Macron et qu’il entende de ses deux oreilles, pas que de l’oreille droite.

Qu’il entende qu’on n’en peut plus et qu’on va se rebeller. On ne doit pas rester dans notre coin à souffrir, à ne pas savoir quoi faire, à faire des sacrifices. Chaque organisation, que ce soit la CNL, des syndicats, des partis politiques, des associations, doit appeler à se mobiliser. Je pense même que les associations de solidarité et caritatives devraient le faire.

Les Restos du cœur, le Secours populaire français, la Croix-Rouge ne reçoivent jamais autant de subventions que quand c’est dur dans le pays. Donc, c’est facile : il y a de la pauvreté, Macron va faire un chèque, Bernard Arnault va le doubler et on va faire en sorte que ça se calme. Ce n’est pas normal. Les Restos du cœur, comme disait Coluche, sont les seuls qui rêvent de fermer. Donc, même eux devraient se rebeller.

Nathalie, 36 ans, infirmière de nuit en psychiatrie au Havre : Sincèrement, alors que les manifestations contre la réforme des retraites ont échoué, que le mouvement des gilets jaunes s’est épuisé, pensez-vous que les rassemblements peuvent fonctionner ?

Ne rien faire serait pire encore. Mon ennemi, c’est la désespérance, la solitude, l’isolement. Nous devons nous unir. Je sais que la réforme des retraites a été passée avec une brutalité sans nom. Mais je veux continuer de croire que notre force, c’est notre nombre et notre solidarité. Sinon, cela voudrait dire qu’ils ont gagné.

Les gilets jaunes ont quand même réussi à faire sauter la taxe carbone et à faire annuler la hausse de la CSG sur les pensions inférieures à 1 200 euros. Il faut y croire. Nous devons hausser le ton. Le peuple français doit continuer à se rebeller. Le coup que Macron nous a fait avec les retraites, malgré 14 manifestations, c’est aussi une manière de dire aux Français : « Je vous méprise, je ferai ce que je veux. » Donc, je le redis : j’appelle aux rassemblements devant les préfectures, les supermarchés, les stations-service. Les colères de la faim menacent. Le PCF appelle le président de la République à les entendre et à y répondre d’urgence.

Estelle, 23 ans, étudiante en Seine-et-Marne : J’ai une licence en psychologie, mais je me suis retrouvée sans master. Je suis obligée d’aller dans une école privée en ressources humaines et de décrocher une alternance pour ne pas débourser 9 000 euros. C’est la grande désillusion pour les étudiants : on choisit par défaut, tout augmente et les bourses baissent. J’ai des amis qui travaillent 35 heures par semaine en plus de leurs études, qui mangent des nouilles à chaque repas…

On empêche des jeunes de faire des études, c’est quand même un truc de dingue, alors qu’on manque de personnel dans des filières ! Tout le monde dit que l’école est une priorité, que la jeunesse est l’avenir, mais Macron n’a aucune ambition collective pour notre société. Il faut réinvestir dans l’enseignement supérieur. Le budget actuel est à 14 milliards d’euros, je veux le porter à 20 milliards.

Il faut embaucher 10 000 enseignants-chercheurs dans le supérieur, construire 250 000 places en logements étudiants et quatre à cinq universités supplémentaires, au lieu de faire de la sélection avec Parcoursup. Enfin, le PCF défend un revenu étudiant garanti, avec un minimum fixé à 850 euros, qui peut aller jusqu’à 1 000 euros en fonction de la situation de logement.

Sur ces points, les forces de gauche sont d’accord. Au pouvoir, on mettrait en place ces mesures. Et pour les étudiants dont les parents issus du monde ouvrier ont des revenus très modestes, je veux des mesures spécifiques, avec des formations payées en échange de contrats d’engagement dans les services publics. Il y a 500 000 emplois publics à pourvoir dans ce pays, on a de quoi faire !

Kader, chauffeur VTC en Seine-Saint-Denis : Macron nous a vendus aux algorithmes américains, nous sommes les tâcherons du numérique. Les travailleurs des plateformes, en Europe, ce sont 60 millions de personnes. On est en train de changer complètement de modèle économique. Je fais un plein d’essence tous les deux jours, avec un réservoir de 60 litres. Je roule 15 heures par jour et je n’atteins pas le Smic. Je suis père de famille, quand est-ce que je m’occupe de mes enfants ?

Le problème de fond, c’est qu’on déshumanise la société et les rapports entre les individus. Ces plateformes ont leur siège aux États-Unis et ne paient pas d’impôts en Europe ou en France. Elles n’ont qu’un objectif : pomper nos richesses et nous exploiter au maximum. Lorsque nous disons « l’Humain d’abord », ça veut dire que c’est l’être humain qui doit être au cœur du projet.

J’ai rencontré des VTC ou ceux qui travaillent pour des plateformes de livraison. J’ai d’abord appris que leur souhait n’est pas d’être salariés ou de revenir sur le principe des plateformes et de cette liberté qui peut leur être proposée, ils demandent des garanties sur la valeur de la course, les conditions de travail… des garanties sociales, en somme.

Au Sénat, le groupe communiste a déposé une proposition de loi pour mieux protéger les travailleurs des plateformes. Elle pose une série de principes et de règles pour que les grands groupes garantissent un prix minimal dès le premier kilomètre, des congés payés, des cotisations pour la protection sociale. Je suis pour une égalité de traitement en termes d’impôt, de cotisations, de taxes sur les salariés des plateformes comme pour les taxis.

Pascal, 52 ans, éleveur de vaches à viande : Comment fait-on pour que les producteurs et les éleveurs puissent vivre de leur travail ?

Les agriculteurs sont rattrapés par les banques, menacés de faillite dans leur exploitation, quand ce ne sont pas des catastrophes climatiques qui leur tombent dessus. Ils souffrent essentiellement d’une économie entièrement mondialisée, d’importations de produits qui viennent de l’extérieur et qui les mettent en concurrence déloyale. Les importations de viande en 2022 ont encore augmenté de 11,7 %. Je dis donc : le porc allemand, le mouton anglais, le bœuf néerlandais, le poulet belge, dehors !

C’est très franchouillard, mais c’est ce que demandent les agriculteurs. On me caricature en disant que je défends la viande, je défends le droit pour mon pays de produire la viande que nous voulons consommer. En manger moins, pour toutes sortes de raisons touchant au climat, à la santé, mais en manger un peu quand même, et de chez nous. Je demande aussi à ce que le budget de la PAC ne soit pas baissé. Et que nos banques prêtent aux agriculteurs à taux zéro. Qu’on arrête également de transformer les terres agricoles en terres à bâtir.

Andrée : Je vis dans une cité populaire mais mon loyer représente la moitié de mon budget total. Les bailleurs et l’État proposent une augmentation de 3,5 %. C’est impossible pour les habitants des cités de s’en sortir. Il y a une colère. Mais, de plus en plus, y compris chez certains de nos adhérents, la faute est rejetée non pas sur le gouvernement mais sur le voisin, surtout s’il s’appelle Mohamed. Comment peut-on faire pour casser cette montée des idées d’extrême droite ?

D’abord, les locataires voient non seulement les loyers augmenter, les APL baisser, mais aussi maintenant leurs factures d’énergie qui explosent. J’invite les organisations comme les CNL à hausser le ton, à organiser la grève des loyers s’il le faut. Et la lutte, nous allons la mener avec tous les locataires, tous. Se battre ensemble, c’est déjà créer un lien entre nous et arrêter de penser que c’est de la faute du voisin. C’est quelque part en faire une question de classe.

Nous sommes tous des ouvriers du travail, je dis cela même pour certains chefs d’entreprise, comme des paysans, des artisans, qui sont étranglés. Nous devons rappeler qui sont les vrais profiteurs et mettre au centre du débat la question du travail. Quels que soient notre origine, notre âge, notre classe sociale, on a tous une place dans notre République et on doit ensemble réparer la France.

Nathalie : Aujourd’hui, on n’ose pas le dire en tant que soignants, mais il y a à l’hôpital ou à domicile des morts qui auraient pu être évitées… L’hôpital est en phase terminale, alors que le système de santé français était autrefois une fierté nationale. Que peut-on faire pour retrouver notre hôpital public ?

Notre système de Sécurité sociale a été affaibli, il faut lui redonner du souffle. Je suis pour demander aux Français, même par référendum, s’ils seraient prêts à cotiser 2, 3 ou 4 euros de plus si, ensuite, nous avons la garantie d’accès à la santé et un remboursement à 100 %, ainsi qu’un établissement de soins à trente minutes de chez soi partout en France. C’est un choix de société.

Redevenir fiers de notre système de santé publique passe aussi par supprimer la tarification à l’activité (T2A) et par la mise en place d’une véritable médecine préventive à l’école et dans les entreprises. Il faut aussi augmenter le nombre de médecins traitants, d’infirmières aux pratiques avancées (IPA) en facilitant les formations, et créer un plan de prérecrutement de 100 000 soignants. Comme lorsqu’on a mis en place ce système de Sécurité sociale, en 1945, la santé doit rassembler toute la nation. Donnons à la Sécurité sociale les moyens de relever cette ambition.

Kader : Lors des manifestations, en parlant politique avec les gens, je me permets de leur sortir une arme fatale : ma carte d’électeur. Si Macron est entré par les urnes, il peut sortir par les urnes…

Vous avez mille fois raison, cette carte électorale est indispensable pour les années qui viennent. Quand j’appelle à lutter, à se rassembler devant les préfectures, à faire la grève des loyers, c’est pour agir maintenant et ne pas reporter nos revendications.

Mais c’est par les élections que nous arriverons à changer démocratiquement le pays. Et, bien sûr, la deuxième carte qu’il faut, c’est celle du Parti communiste française, parce qu’elle aide à comprendre la société, à poser le bon diagnostic et à lutter ensemble. Quand le PCF était fort dans notre pays, qu’il faisait entre 15 et 20 % des voix, il y avait plus de conquêtes sociales, et moins d’extrême droite. Il faut redonner une influence au Parti communiste. Ce sera bon pour la France, ce sera bon pour la gauche.

Qui sont les cinq interviewers de Fabien Roussel ?

Andrée, 70 ans, retraitée et militante à la Confédération nationale du logement. Elle voit reculer les conditions d’accès à un habitat digne et s’inquiète des ravages de l’inflation.

Estelle, 23 ans, étudiante en Seine-et-Marne : après une licence en psychologie, elle a été obligée de travailler deux ans, puis de se réorienter en ressources humaines, faute de places en master de psychologie. Elle appelle à mieux soutenir financièrement les étudiants.

Nathalie, 36 ans, infirmière en Seine-Maritime : diplômée en 2010, elle est mère de deux enfants. Elle a participé à la lutte des « perchés », en 2018, et souhaite refaire du système de santé français une fierté nationale au service de tous.

Kader, 58 ans, chauffeur VTC en Seine-Saint-Denis : il a créé sa propre entreprise pour échapper à l’ubérisation. Il alerte les responsables politiques sur la transformation en cours du monde du travail.

Pascal, 52 ans, éleveur en Indre-et-Loire : Pascal aspire à ce que les agriculteurs puissent vivre dignement de leur travail. Excusé à la suite d’une urgence avec ses bêtes, ses questions ont été posées par la rédaction.


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Une réflexion sur « Fabien Roussel face aux lecteurs de l’Huma : « Rassemblons-nous devant les préfectures » »

  1. Je n’ai pas lu jusqu’au bout. Le problème, pour moi est de poser en première étape d’écrire au président de la République Bourgeoise. Il n’y a jamais rien eu à en attendre mais encore moins quand c’est Macron, plus valet du Grand Capital, même que Hollande. Quand Roussel comprendra-t-il (et il est loin d’être le seul dans ce qu’il est convenu d’appeler la gauche) que Macron est un ennemi de classe à combattre pied à pied, sans jamais de compromission comme la visite de 12 heures à l’Elysée ???

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