La lutte contre les dérives sectaires a-t-elle les moyens de ses ambitions ?

Un projet de loi visant à renforcer l’action contre les nouvelles formes de « gourous » et autres « maîtres à penser autoproclamés », en forte augmentation, est à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Des témoins de Jéhovah distribuent des brochures dans la rue.
AFP / Loïc Venance

 

Une fois le diagnostic posé, il faut améliorer l’arsenal juridique, l’information et la formation. Sans oublier d’accompagner les victimes

Catherine Katz, Magistrate, présidente de l’Unadfi et ancienne secrétaire générale de la Miviludes

L’argent seul ne sert à rien. C’est le volontarisme pour améliorer la situation des victimes et l’information du grand public qui est essentiel. Nous avons besoin d’un engagement fort. Les dérives sectaires sont un phénomène particulier : si on ne le connaît pas, on ne le voit pas. Personne n’est à l’abri. Si on veut éviter le piège, il faut être informé de son existence. Il faut donc informer et former plus encore les enquêteurs, les policiers, les magistrats, les assistantes sociales, les enseignants, les éducateurs, bref, les primo-intervenants… pour accompagner ce parcours de combattants pour les victimes.

Le projet de loi présenté en commission des Lois au Sénat allait dans le bon sens, en introduisant de nouveaux délits, dont le délit autonome de maintien dans un état de sujétion et un délit de provocation à l’abandon de soins. La philosophie générale du texte a été fondamentalement modifiée par des amendements en commission des Lois. Le harcèlement des lobbyistes pro-sectes en est, peut-être, l’explication.

Juridiquement, le texte initial était pourtant essentiel pour faciliter le travail des associations qui recueillent la parole des victimes. Il reconnaissait les souffrances et introduisait les nouveaux délits. Je reprends à mon compte cette formule : « Quand un gourou est cru, la victime est cuite. » Et les gourous sont encore trop souvent crus tandis que les victimes peinent à l’être. Et elles sont de plus en plus nombreuses. Il ne s’agit pas de simples faits divers mais bel et bien d’un phénomène de société préoccupant. Le dernier rapport de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) fait état d’une augmentation de 34 % des signalements en un an et d’un doublement depuis 2015. Une hausse qui avait commencé avant la crise du Covid et a été accentuée par celle-ci.

Une fois le diagnostic posé, il faut trouver les moyens de répondre. La stratégie de la secrétaire d’État à la Citoyenneté visait à mieux mobiliser les pouvoirs publics. Les groupes sectaires sont nombreux, leurs lobbys puissants. Compte tenu de l’accélération du phénomène sectaire et de la gravité de certaines situations, tout ce qui peut concourir à renforcer l’arsenal juridique visant à protéger les personnes doit être encouragé, car l’instruction et le procès sont un temps d’écoute et de réparation. Juridiquement il faut donc monter d’un cran.

Il est impératif que l’État et les deux assemblées tendent à rééquilibrer, ensemble, les forces en facilitant les actions devant les juridictions, en donnant notamment aux associations les moyens d’agir efficacement. Il est essentiel qu’elles s’inscrivent dans la même dynamique que celle des services de l’État. Si les associations d’aide aux victimes de l’assujettissement sectaire doivent pouvoir obtenir un agrément pour les accompagner en justice, l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi) doit pouvoir conserver l’entier périmètre de sa reconnaissance d’utilité publique, afin de poursuivre dans les meilleures conditions ces missions menées depuis vingt-sept années.

Judiciariser n’est pas suffisant. Il est nécessaire d’accueillir, écouter, orienter. Un soutien aux psychiatres et psychologues est urgent

Delphine Guérard, Psychologue et experte auprès des tribunaux

Renforcer l’arsenal juridique, mieux accompagner les victimes sont les objectifs de l’État. Depuis vingt-quatre ans que je travaille sur le sujet, les dérives sectaires se multiplient de façon préoccupante dans le champ de la santé. Toutes sortes de pseudo-thérapeutes s’autoproclament, dévoient des techniques et inventent leur méthode. Le titre de psychothérapeute étant protégé, ils sont devenus praticiens, coachs… Leurs méthodes dites innovantes ont des répercussions très graves, leurs pratiques sont très violentes et dangereuses : ils créent de véritables traumatismes, font décompenser psychiquement, certaines personnes se retrouvent en psychiatrie ou commettent des actes suicidaires.

Avec la loi About-Picard, ces pseudo-thérapeutes peuvent être condamnés pour abus de l’état de vulnérabilité créé par une mise en état de sujétion. Avec le nouveau délit, ils seront condamnés pour mise en état de sujétion. Aliéner, décerveler, assujettir avec divers procédés est enfin reconnu comme forme de violence extrême. Mais, il faut bien définir ce qu’est une mise en état de sujétion ainsi qu’un état de sujétion. Faire perdre le contact avec la réalité, amener à se dissocier de ses émotions, de son corps, apprendre à ne plus penser, induire de faux souvenirs de traumatismes, endoctriner sont autant de procédés qui créent cet état. Judiciariser n’est pas suffisant. Plus le champ de la santé se dégrade plus les pseudo-thérapeutes prospèrent. Donner aux psychiatres et aux psychologues les moyens de travailler, de créer des structures, d’améliorer la qualité de leur service est une urgence.

Autre préoccupation de l’État, l’accompagnement des victimes. Bon nombre de sortants de sectes ne se reconnaissent pas victimes et, lorsqu’ils perçoivent les violences subies, très peu désirent ou peuvent engager une procédure judiciaire. Ainsi, l’accompagnement ne peut se réduire à de la victimologie. D’autant qu’ils sont encore sous emprise. Ils ont besoin d’aide psychologique avant tout. Et puis, il y a ceux qui, sortis depuis des années, n’arrivent toujours pas à reprendre leur vie en main. Plus de dix ans après, ils souffrent de ne pouvoir s’engager dans une vie amoureuse, de rester désocialisés… Il est important d’encourager ces personnes à consulter le plus tôt possible et de les aider à trouver des spécialistes compétents, pour ne pas engager n’importe quelle thérapie.

Le travail psychothérapeutique consiste à dégager de l’emprise, des traumatismes, de retrouver confiance en soi et en sa faculté de penser, et de revenir sur les problématiques préexistantes à l’entrée dans la secte. Un annuaire regroupant les professionnels devrait être accessible. L’État finance les associations spécialisées pour assurer leurs moyens afin de remplir leur mission. Accueillir, écouter, orienter vers une prise en charge adéquate ne s’improvise pas. Les situations sont complexes et graves, les équipes ont besoin de formation continue et de supervision. Le travail est lourd de responsabilités.


Pour aller plus loin

Rapports annuels de la Miviludes sur le site miviludes.interieur.gouv.fr

À Lire

L’Emprise sectaire. Psychopathologie des gourous et des adeptes de sectes, de Delphine Guérard, Dunod, 2022.

Le Nouveau Péril sectaire, de Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre, Robert Laffont, 2021

 


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