
A69 : UNE AUTOROUTE CONTESTÉE QUI SYMBOLISE LES DÉRIVES DES CONCESSIONS AU PRIVÉ
Depuis plusieurs années, le projet d’autoroute A69 entre Castres et Toulouse divise l’opinion. À l’origine, ce projet visait à améliorer la liaison entre deux villes, l’une (Toulouse) étant un pôle économique majeur, l’autre (Castres) une ville moyenne enclavée. Mais les moyens choisis pour y parvenir ont suscité une opposition de plus en plus large et structurée. Derrière ce débat, c’est toute une conception du développement, de l’aménagement du territoire et de l’usage des fonds publics qui est remise en question.
Une alternative délibérément écartée
De nombreux citoyens, associations, élus locaux et experts en aménagement plaidaient pour une modernisation de la RN126, la route nationale reliant Castres à Toulouse. Le projet d’aménagement en 2×2 voies sécurisées, soutenu un moment par l’ancien président du conseil départemental du Tarn, plus respectueux de l’environnement et bien moins coûteux (environ 350 millions d’euros estimés contre plus de 500 millions pour l’A69), avait l’avantage d’être progressif, adaptable, et surtout public.
Cette solution était soutenue aussi par le Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) d’Occitanie, qui en 2017 alertait sur l’impact environnemental du projet autoroutier. Le PCF y était aussi favorable et certains de ses militants du sud du Tarn avait émis également l’idée à un moment donné d’une étude de route aménagée vers le sud-estafin de désenclaver totalement le sud du Tarn dans les deux sens. Mais les partisans de la privatisation ont fini par l’emporter, renforcés par un lobbying intense des entreprises de travaux publics et des groupes autoroutiers.
Une victoire des lobbys autoroutiers
La concession autoroutière a été attribuée à la société Atosca, filiale du groupe NGE (Nouvelle Génération d’Entrepreneurs), avec un contrat de 55 ans. Autrement dit, ce groupe privé va percevoir des péages pendant plus d’un demi-siècle, en échange d’un investissement largement subventionné par des aides publiques et des facilités d’expropriation. Le tarif annoncé avoisinera 17 euros aller-retour pour 54 km, un coût très élevé pour des salariés modestes ou des entreprises locales qui utilisent cette voie régulièrement. Et des élus n’excluent pas pour engraisser la société concessionnaire d’envisager un programme de plusieurs millions d’euros de subventions pour tenter de baisser le tarif des usagers. Autrement dit les contribuables paieraient les capitalistes qui pourraient baisser leurs tarifs de péage afin d’accroître le trafic !
Cette logique n’est pas nouvelle : elle s’inscrit dans la suite de la privatisation massive du réseau autoroutier français décidée en 2005. Depuis, les sociétés autoroutières affichent une rentabilité record, souvent supérieure à 20 % par an, alors même que les investissements dans l’entretien du réseau national secondaire stagnent.
Le discours écologique du pouvoir à géométrie variable
La construction de l’A69 nécessite la destruction de 400 hectares de terres agricoles, zones naturelles et forêts, dans une région pourtant concernée par le changement climatique, la perte de biodiversité et la raréfaction des ressources en eau. Ironie amère : le gouvernement, si prompt à invoquer la “transition écologique”, s’est montré inflexible face aux oppositions, allant jusqu’à criminaliser l’action de militants écologistes.
Certes, un grand chantier génère de l’emploi à court terme. Mais faut-il pour autant ignorer les conséquences à long terme, notamment la dépendance accrue à la voiture individuelle du fait notamment de l’insuffisance de transports publics rapides et la perte de terres nourricières, de surfaces bio-génératrices ? Là encore, la logique du capital l’a emporté sur celle de l’intérêt général social et environnemental.
Une gauche à reconstruire autour des travailleurs
Le débat sur l’A69 a révélé une fracture au sein même des forces progressistes. D’un côté, les défenseurs sincères de l’environnement issus des métropoles mais éloignés des réalités sociales et des souffrances des populations rurales , et de l’autre, des travailleurs ruraux ou périurbains qui se sentent oubliés et méprisés comme on l’a vu lors de la révolte des gilets jaunes. Les contradictions entre ces deux mondes, que la gauche devrait unir, ont été instrumentalisées par la droite libérale et l’extrême-droite, qui, malgré leur hostilité historique au syndicalisme ou au droit du travail, apparaissent sur ce dossier comme les « défenseurs du travail » puisqu’ils ont organisé une manifestation populaire pour la reprise du chantier après la décision du tribunal de le suspendre.
Ce paradoxe est le fruit d’une déconnexion croissante de certains partis de gauche comme EELV et LFI davantage centrés sur les luttes sociétales que sur la question sociale, la précarité, les conditions de travail et la souveraineté économique. Leurs actions si elles ont recueilli un soutien militant voire une sympathie chez des électeurs de gauche n’ont pas convaincu, au contraire, et loin de là, une majorité des habitants concernés.
Une proposition concrète : exiger la gratuité de l’A69 et le retour de l’ouvrage dans la sphère publique
Désormais, une nouvelle bataille s’impose : exiger la gratuité de l’A69, comme c’est le cas pour l’autoroute entre Albi et l’entrée de Toulouse. Si cette infrastructure est construite avec l’argent des contribuables et au nom de l’aménagement du territoire, elle ne doit pas être une source de profits pour quelques actionnaires : c’est d’ailleurs sur cette base d’une politique de classe que le mouvement d’opposition aurait dû développer son action pour empêcher le rapt du bien public et la concession au grand capital . Il est inacceptable que le service public de mobilité devienne un outil de captation financière, d’autant que les profits générés ne sont pas réinvestis dans le réseau national, mais partent dans les poches de fonds d’investissement.
Il faut redonner un sens concret à l’intérêt général
Le cas de l’A69 illustre une tendance lourde de notre époque : le recul de l’État stratège et planificateur au profit de la logique d’un marché fondée sur la suraccumulation capitaliste . Pourtant, les infrastructures de transport devraient relever du bien commun, et non d’une logique marchande.
En ce sens la gauche, notamment les communistes et toutes les forces progressistes, ont une responsabilité historique : retrouver le lien avec les classes populaires, défendre une transition écologique, non punitive ni moralisatrice, socialement juste et économiquement efficace, et combattre la prédation du capital sur nos ressources collectives.
C’est à ce prix que l’on pourra refonder une politique d’aménagement équilibrée, démocratique et réellement au service des territoires.
Jean-Paul LEGRAND
28/05/2025
En savoir plus sur MAC
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Une réflexion sur « A69, Et le service public là-dedans , il est où ? »