Féminicide : une femme victime toutes les 7 heures

Cette année, elles sont déjà 145 à avoir perdu la vie sous les coups de leur conjoint, de leur ex, de leur fils… La réalité des chiffres et le manque de moyens alloués aux associations contredisent les grands discours du gouvernement. Pour les féministes, qui appellent à manifester samedi, « l’heure n’est plus à l’alerte mais à l’action ».

« Toutes les sept heures, il y a une femme que son conjoint ou ex-conjoint tue, tente de tuer, conduit à se suicider ou à tenter de se suicider », précise la lettre publiée jeudi de l’Observatoire national des violences faites aux femmes.
© Vincent Motron / L’Humanite

 

Samedi 1er janvier. Il est minuit passé lorsqu’un homme appelle les secours du Nord. « J’ai fait une bêtise », dit-il comme un gosse qui aurait cassé son jouet. Le corps roué de coups d’Isabelle, 51 ans, aide à domicile, est découvert par les pompiers au domicile familial, à Hautmont, dans le Nord. Son compagnon vient de la tuer. Isabelle devient la première victime de féminicide en 2025, seulement trois heures après le début de la nouvelle année.

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Lundi 17 novembre. Une femme de 72 ans est retrouvée mortellement blessée à l’arme blanche chez elle, à Hirson, dans l’Aisne. C’est son fils, interpellé par la police le lendemain, qui l’a poignardée. C’était il y a quatre jours. Elle n’est pourtant pas la dernière victime en date. Une femme de 32 ans a été tuée par arme à feu jeudi matin à Besançon (Doubs) et son ex-conjoint a été placé en garde à vue pour « assassinat ». « Les matricides sont des féminicides », rappelle #NousToutes, qui décompte 144 féminicides depuis le début de l’année. 145 avec le meurtre de jeudi.

Chaque jour, plus de trois femmes victimes de féminicide conjugal

En France, chaque jour, plus de trois femmes sont victimes de féminicide ou de tentative de féminicide conjugal, selon les données de la mission interministérielle pour la protection des femmes (Miprof), publiées jeudi 20 novembre et portant sur 2024. « Toutes les sept heures, il y a une femme que son conjoint ou ex-conjoint tue, tente de tuer, conduit à se suicider ou à tenter de se suicider », précise la lettre de l’Observatoire national des violences faites aux femmes, qui dépend de la Miprof.

Au total, cela a concerné 1 283 femmes l’an dernier, contre 1 196 en 2023, selon ce rapport publié à quelques jours du 25 novembre, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.

À travers ces chiffres, toujours la même réalité, glaçante : des femmes continuent de mourir en raison de leur genre. Le 8 septembre, le meurtre d’Inès Mecellem par son ex-compagnon, à Poitiers (Vienne), crée un émoi national.

« Inès s’est retrouvée isolée, seule face au danger »

Travailleuse sociale, la jeune femme de 25 ans était très impliquée dans le tissu associatif, aidant notamment les réfugiés dans leurs démarches administratives. C’est comme ça qu’elle rencontre Habib. Mais la belle histoire se transforme vite en cauchemar.

Violences verbales, sexuelles et physiques… En avril 2025, elle le quitte et se réfugie chez sa mère. L’homme la suit dans la rue, la menace de mort. Inès a peur. Elle décide de porter plainte. En un mois et demi, elle ira six fois au commissariat.

Alors qu’il la traque une énième fois en centre-ville, elle utilise son téléphone grave danger (TGD), un dispositif qui permet d’alerter rapidement la police. L’homme est interpellé. Mais plutôt que d’être placé en garde à vue, il est aussitôt relâché. Deux jours plus tard, il tue Inès de plusieurs coups de couteau, alors qu’elle était venue récupérer des affaires chez elle.

Recherché pour assassinat, il est toujours en fuite. La famille d’Inès a porté plainte pour non-assistance à personne en danger contre le commissariat de Poitiers. Elle réclame des réponses à cette question qui tourne en boucle : pourquoi, mais pourquoi la police a-t-elle relâché cet homme ?

« Inès s’est retrouvée isolée, seule face au danger », s’insurge Sylvaine Grévin, présidente de la Fédération nationale des victimes de féminicides (FNVF). « Elle avait pourtant fait tout ce qu’il fallait en déposant plainte et en tentant de se protéger ».

« Le mot féminicide n’est toujours pas reconnu dans le Code de procédure pénale »

Mi-octobre, alors que venait de se clôturer le procès de Cédric Jubillar, condamné à trente ans de réclusion criminelle en première instance pour le meurtre de sa compagne, Delphine, la FNVF tirait la sonnette d’alarme. En seulement dix jours, huit meurtres de femmes avaient été commis.

« Les outils existent pourtant : le bracelet anti-rapprochement, le téléphone grave danger, l’éloignement, le placement en détention provisoire, les contrôles… Mais finalement, on fait encore et toujours porter sur les épaules de la victime la responsabilité de sa survie. On va lui dire : on vous donne un téléphone grave danger, faites en bon usage », souffle Sylvaine Grévin, qui dénonce « un manque de moyens criant ». « Les services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), chargés des contrôles, ont chacun une soixantaine de personnes à suivre. Dans ces conditions, comment peut-il ne pas y avoir des trous dans la raquette ? »

La responsable d’association, sœur de Bénédicte, tuée en 2017 par son ex-compagnon, évoque pêle-mêle la lenteur judiciaire, le défaut de coordination entre justice et police, les plaintes classées sans suite (86 % dans les affaires de violences sexuelles, 90 % pour les viols) et un manque notoire de volonté politique. À titre d’exemple, rappelle Sylvaine Grévin, « le mot féminicide, aujourd’hui largement reconnu dans la société, ne l’est toujours pas dans le Code de procédure pénale ».

L’assassinat de Chahinez Daoud : symbole d’une France aux institutions défaillantes

Lorsque survient la mort tragique de Chahinez Daoud, brûlée vive en public par son ex-mari en 2021, Sylvaine Grévin en est persuadée, tout va enfin changer. Les politiques publiques vont forcément s’accélérer. Les mécanismes de lutte contre les violences se débloquent. « Et puis non, rien… » soupire-t-elle.

Ce crime abject devient pourtant le symbole d’une France meurtrie par les féminicides. Le 4 mai 2021, vers 18 heures, la mère de famille de 31 ans quitte son pavillon à Mérignac, près de Bordeaux, pour récupérer ses enfants à l’école. À peine franchi le pas de la porte, son ex-mari, dont elle est en instance de divorce, lui tire une balle dans chaque jambe. Elle l’implore au sol devant les yeux médusés d’un voisin. Il l’asperge d’un liquide inflammable et met le feu à son corps. Chahinez meurt brûlée vive.

Une enquête de l’inspection générale des services va pointer plusieurs fautes : le criminel comptait sept condamnations dans son casier judiciaire. Il avait déjà été condamné pour des violences sur son ex-compagne, qui avait eu le courage de porter plainte à trois reprises. La troisième fois, la plainte est mal enregistrée par un policier qui venait lui-même d’être condamné pour violences conjugales…

« Rien n’est fait pour protéger immédiatement une femme qui sort du commissariat »

« Quand une femme porte plainte, que l’homme est prévenu, sans mesure pour l’éloigner, tous les feux sont au vert pour le féminicide », alerte l’avocate Michèle Dayan, présidente de Lawyers for women. Or, « rien n’est fait pour protéger immédiatement une femme qui sort du commissariat », constate, amère, Sandrine Bouchait, présidente de l’Union nationale des familles de féminicides.

« Il n‘y a pourtant rien à inventer », poursuit celle qui, elle aussi, a perdu sa sœur du fait d’un féminicide, en 2017. « Il suffit de reprendre ce que les voisins font de bien. Comme en Espagne, où le dispositif VioGén se met en place dès l’instant où une femme porte plainte. »

Une protection impliquant tous les acteurs concernés : police, juge, procureur, services sociaux, médecin… se déclenche en temps réel dès la plainte déposée. En seize ans, l’Espagne a réussi à faire diminuer de plus d’un tiers le nombre de féminicides conjugaux. La recette miraculeuse n’existe pas, « ils y ont mis les moyens », reprend Sandrine Bouchait qui précise que, contrairement à la France, là-bas, le bracelet anti-rapprochement est obligatoire.

Des peines requises plus sévères mais une baisse des subventions pour les associations

Les deux associations le constatent : de bonnes nouvelles existent, malgré tout. D’abord, l’accueil des femmes dans les commissariats s’est amélioré, même si demeurent des inégalités territoriales.

Les peines requises sont souvent plus sévères. En mars, Mounir Boutaa, le meurtrier de Chahinez Daoud, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Et le traitement des féminicides dans les médias s’est nettement amélioré. Avec quelques bémols pourtant : « Pour les féminicides concernant des femmes de plus de 60 ans, en constante augmentation, les médias vont temporiser, réduire la part de responsabilité de l’époux : elle avait Alzheimer, il n’en pouvait plus… » note Sylvaine Grévin.

Beaucoup repose encore sur les seules épaules des associations, déjà exsangues. Mais celles qui accompagnent les familles de victimes ne bénéficient d’aucune subvention. C’est le cas de la FNVF qui, en 2021, a pourtant sorti un guide destiné aux familles impactées. Une première.

Sylvaine Grévin revient tout juste du CHU de Lille, où elle tenait un colloque de sensibilisation. Sandrine Bouchait, elle, est encore à Poitiers en soutien à la famille de Patricia Gomit, alors que se déroule le procès pour meurtre de son ex-conjoint.

Un boulot à temps plein dont les deux femmes se seraient certainement passées si leurs sœurs, comme tant d’autres, n’avaient pas été victimes d’hommes « qui veulent posséder leur femme comme ils possèdent leur bagnole », soupire Sandrine Bouchait.


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