Le camp réactionnaire a le vent en poupe en France, le RN et ses alliés comptent 143 députés à l’Assemblée nationale. Dans ce contexte, les organisations et militantes pour les droits des femmes sont en première ligne de la bataille.
Comment organisations et associations féministes ont-elles réagi à la séquence de la dissolution entre les élections européennes et législatives ? Comment mènent-elles leur combat contre les régressions et les conservatismes ? Un débat intitulé « Front féministe contre front réactionnaire » s’est tenu en septembre à l’Agora de la Fête de l’Humanité, réunissant quatre militantes féministes.
Comment vous et vos organisations féministes vivez-vous cette séquence politique depuis la dissolution ?
Suzy Rojtman, Porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes
L’arrivée de l’extrême droite aux portes du pouvoir n’a pas été une grande surprise. En 2017, déjà, Marine Le Pen était au second tour de l’élection présidentielle. Nous avions monté alors le collectif pour les droits des femmes contre l’extrême droite, un collectif unitaire où il y avait des associations féministes, des syndicats et des partis politiques.
Nous avions créé un site pour démystifier la parole de l’extrême droite. Nous étions à peu près les seules à ce moment-là. Je voudrais souligner ici le mérite des associations féministes qui ont été capables, dès la dissolution de l’Assemblée nationale par Macron, de s’unir au-delà de leurs différences et de leurs spécificités, et d’agir sur le terrain.
Nous avons travaillé ensemble pour la grande manifestation contre l’extrême droite, en cohésion avec les syndicats et partis politiques. Car, nous avons une conscience très aiguë que ce sont les femmes, les immigrés, les minorités de genre notamment qui seraient les premières attaquées par le Rassemblement national.
Anne-Cécile Mailfert, Présidente de la Fondation des femmes
Ce qui nous a frappées quand même dans ces résultats est le score, inédit, des femmes qui ont voté pour Jordan Bardella et pour le RN. Si, dans le reste du monde, ce sont les femmes qui résistent le plus à la droite radicale, à l’extrême droite, aux ultraconservateurs, en France, depuis 2012, on observe une bascule du vote des femmes en faveur de l’extrême droite. Aux européennes, ces dernières ont autant voté que les hommes, voire plus pour la liste de Jordan Bardella.
Cela nous interroge, et nous devons comprendre pourquoi. C’est un peu comme si les dindes votaient pour Noël, excusez-moi l’expression. Qu’est-ce qui amène ces femmes à voter pour un mouvement politique qui est contre leurs propres intérêts. Des chercheuses se sont penchées sur le sujet. Le « gender gap », la différence entre le vote des femmes et celui des hommes pour l’extrême droite, est dû, partout dans le monde, à quatre facteurs principaux. Ces quatre facteurs sont en train de se réduire en France.
Le premier élément est la structure du marché du travail. Les ouvriers, frappés par la mondialisation, sont très poreux aux discours de l’extrême droite. En France, nous assistons à une précarisation, un prolétariat du tertiaire. Bref, un appauvrissement des emplois majoritairement féminins, particulièrement dans le service public. Un service public qui était plutôt protégé jusqu’à présent, ce qui est de moins en moins le cas. Le service public ne garantit plus la sécurité et un pouvoir d’achat satisfaisant. Le deuxième catalyseur qui expliquait le barrage du vote des femmes contre l’extrême droite était, paradoxalement, la religion.
Les femmes âgées sont plus poreuses au discours religieux catholique. Jusque-là, ces discours, notamment ceux du pape, bienveillant en faveur de l’immigration, aidaient à faire barrage. Sauf que, actuellement, il y a une crispation identitaire des milieux catholiques, notamment par un rejet de l’islam et des musulmans. Cette barrière-là n’opère plus. Le troisième levier, ce sont les idées féministes.
Elles ont compté face au discours conservateur de Jean-Marie Le Pen. C’est moins évident avec une Marine Le Pen, femme divorcée, chef de famille monoparentale, qui aime les petits chats, qui ne s’oppose pas officiellement et directement à l’avortement. Sans oublier un Jordan Bardella qui dit qu’il sera le premier ministre des droits des femmes. Leur stratégie est de venir pilonner une des barrières au vote des femmes. Enfin, quatrième et dernier point, les stéréotypes de genre.
Les hommes sont beaucoup plus attirés par des figures de pouvoir très virilistes. C’est le cas en Argentine avec Javier Milei. Un dirigeant qui est vraiment dans la virilité, dans la masculinité. En France, il y a une stratégie inverse, une autre posture. Jordan Bardella dit qu’il va protéger les femmes et Marine Le Pen, évidemment, en rajoute. Si on veut contrer le RN dans les années à venir, il faut intégrer des analyses féministes à toute approche politique. Nous devons avoir une attention spécifique sur l’emploi des femmes, nous devons continuer à défendre les droits des femmes.
C’est absolument essentiel parce que c’est le vote des femmes qui pourrait faire barrage. J’ai trouvé pauvre la partie sur les droits des femmes dans le programme du Nouveau Front populaire (NFP). Les forces d’extrême droite, elles, ont de gros lobbies derrière, des moyens colossaux, économiques et médiatiques.
Mariam Sissoko, Fondatrice de l’association Puissance de femmes
D’abord, un mot sur l’association Puissance de femmes. Elle a été créée, il y a un an et demi, pour donner de la voix, de la visibilité aux femmes, aux héroïnes invisibles. On ne les voit pas, mais elles agissent et ont de l’impact positif dans les territoires fragiles, là où il y a un manque de financement, un manque de reconnaissance, un manque d’accompagnement. D’où ce réseau Puissance de femmes afin d’avoir plus d’impact toutes ensemble.
L’extrême droite, on l’a vue venir à travers sa médiatisation, sa dédiabolisation. C’est la peur qui nous a vraiment rassemblées et mises en action au premier tour. Nous avons eu peur en tant que femmes, en tant que mères, de ce qui allait arriver à nos enfants, à nous, citoyennes et citoyens. Très rapidement, avec la Fondation des femmes, nous avons accompagné des associations qui mènent des actions concrètes sur le terrain.
Une caravane s’est déplacée dans plusieurs départements, des ateliers ont été animés pour sensibiliser au droit de vote. Notre ambition est vraiment de donner plus de pouvoir d’agir aux femmes pour qu’elles soient plus indépendantes, car nous savons très bien que, avec l’extrême droite, l’émancipation des femmes sera freinée. C’est la raison pour laquelle nous agissons localement en Île-de-France. Nous travaillons à nous implanter dans tous les territoires fragiles de France.
Sarah Durocher, Présidente du Planning familial
Un grand mouvement s’est mobilisé car le RN est le premier ennemi des droits des femmes et des personnes LGBTQIA +. Nous sortons d’une période qui a connu une grosse vague transphobe en France et en Europe. La montée du RN, ce sont aussi les attaques contre les antennes du Planning familial. Des élus RN proposent régulièrement de supprimer ses financements au Planning. Cela dit, attention, on ne peut se contenter de dire que le RN a perdu.
Son groupe a quand même 143 députés. Nous nous sommes interrogées sur nos lacunes, nos insuffisances. Le Planning familial reçoit 400 000 personnes par an, dont une majorité de femmes. Nous avons un rôle à jouer, sortir de l’entre-soi et aller vers des personnes qui ne sont pas forcément informées, qui sont un peu éloignées du droit, qui ne se sentent pas légitimes à se mobiliser. Lors du mouvement des gilets jaunes, on a vu pour la première fois des femmes seules sur les ronds-points.
Le Planning familial, mouvement d’éducation populaire, est dans le top 3 des associations ciblées par le RN. Il y a donc eu une vraie mobilisation des associations, des bénévoles, des salariés du Planning pour aller tracter, aller voir chaque personne pour expliquer combien le projet du parti lepéniste est contre le droit des femmes, contre les LGBTQIA +, contre les personnes exilées, contre les plus pauvres.
On l’a vu en Pologne, l’extrême droite s’est attaquée à l’avortement. Pareil avec Trump aux États-Unis. C’est le cas dans plusieurs pays d’Europe, dont l’Italie, où la PMA est remise en cause. N’attendons pas les prochaines élections pour nous mobiliser le plus largement possible, instaurer un rapport de force. Quand la gauche et quand les politiques s’adressent aux femmes en tant qu’électorat, il y a un réveil et ce sont elles qui font basculer l’opinion.
Quels outils féministes actionner contre l’extrême droite ? Chacune de vous, dans son association, mène des actions différentes. Comment instaurer un rapport de force pour faire basculer l’opinion ?
Mariam Sissoko : Puissance de femmes a lancé plusieurs initiatives dans plusieurs départements, dont la Caravane, pour sensibiliser sur l’importance d’aller voter. La Fondation de France a débloqué des moyens pour accompagner les structures qui mènent ces actions de terrain. Il s’agit d’une petite dizaine d’associations. Parmi elles, je citerai l’association Tous ensemble dans le Val-d’Oise, l’association Cœur d’Épinay en Seine-Saint-Denis, qui a beaucoup mobilisé les jeunes des quartiers, notamment via des vidéos ; l’association Efapo, en Essonne. Grande surprise, plus de 2 000 personnes ont été touchées.
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Ces femmes, disiez-vous, considéraient rester invisibles, elles n’occupaient pas la place qu’elles devraient car on ne la leur donnait pas…
Mariam Sissoko : C’est la raison pour laquelle Puissance de femmes a été créée. L’association est née d’un ras-le-bol, d’une colère. Initialement pour soutenir les femmes qui étaient victimes de violences, qui se sentaient désœuvrées, isolées, pour les accompagner dans leur rôle parental. L’association, créée par ma mère il y a quinze ans dans les quartiers populaires de la ville de Longjumeau, s’est développée, mais sans moyens.
On sortait l’argent de notre poche pour mettre en place des actions. Ce n’était pas normal. J’ai constaté que c’était pareil dans d’autres départements : Hauts-de-Seine, Essonne, Val-de-Marne. Il y avait ce sentiment de ne pas être considérées, de ne pas être accompagnées par des organismes et des politiques publics. Nous accompagnons des mamans victimes de violences, dont les enfants ont été tués dans des rixes. Mais on ne nous donne pas les moyens d’agir. C’est comme si on n’existait pas.
Le bénévolat, c’est normal, mais il a des limites. Il a fallu prendre le taureau par les cornes. J’ai fait le tour de l’Île-de-France. Je suis allée à la rencontre de plusieurs femmes à la tête de structures associatives, mais toujours invisibles. Il fallait les rendre visibles.
Nous avons monté une exposition, itinérante, avec ces portraits de femmes engagées dans les territoires. Il y a eu ensuite les capsules vidéo, puis le palais de Tokyo, le Cese, le musée d’Orsay. Nous devons renforcer la solidarité féministe, dressé des ponts, établi des relais entre toutes les organisations et avec toutes les actrices engagées sur le terrain afin de créer de belles synergies.
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Suzy Rojtman : Le Collectif national pour les droits des femmes, lui, est né du mouvement social de novembre-décembre 1995. Il comprend des associations féministes, des syndicats et des partis. Notre combat s’inscrit dans la lutte des classes. Il y a un débat stratégique sur comment lutter contre l’accession de l’extrême droite au pouvoir ?
Nous pouvons et devons nous rassembler autour des revendications pour les droits des femmes. Elles ne sont pas, d’un côté, des ouvrières ou employées, de l’autre, prêtes à subir la précarité, les bas salaires, le temps partiel imposé, des violences, à devoir aller avorter.
Ce sont les mêmes femmes. Le RN, lui, ne défend pas les services publics, l’égalité salariale, les hôpitaux et maternités de proximité. Il ne s’intéresse pas aux violences faites aux femmes, sauf si c’est un immigré qui en est l’auteur. Si on arrivait à croiser nos arguments sur la question sociale et les droits des femmes, on marquerait des points dans le vote des femmes.
Cette année a été particulière pour les féministes, celle de l’aboutissement d’une longue bataille avec l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Que tirer de la phase de négociations politiques qui a été menée en coulisse ?
Sarah Durocher : Nous avons mené une vraie bataille collective. Au Sénat – où c’était plus compliqué avec la droite conservatrice –, les élues comme Mélanie Vogel (les Écologistes) et Laurence Rossignol (PS), ainsi que Laurence Cohen (PCF), avec ses réseaux, sont allées chercher des voix une à une. Il s’agit bien d’une victoire des féministes et d’une bonne partie de la société, et non pas celle d’Emmanuel Macron.
Si le RN et la droite conservatrice arrivent au pouvoir, il sera plus compliqué de s’attaquer à l’IVG. Mais la bataille n’est pas terminée, car sur le terrain, il y a de vraies difficultés avec la fermeture des services de proximité et les campagnes de désinformation contre l’avortement.
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