ArcelorMittal, Vencorex… pour combattre la désindustrialisation, la nationalisation (re) fait son chemin à gauche + ITW video de F. Roussel

La question des nationalisations revient en force avec les scandales industriels d’ArcelorMittal et de Vencorex. Une ambition soutenue par une majorité de Français et partagée à gauche, même si le poids de la puissance publique dans l’économie reste discuté.

 

Le mot n’est plus tabou : nationalisation. Et les initiatives de la gauche s’enchaînent en ce sens. Les députés Stéphane Peu (PCF) et Aurélie Trouvé (LFI) y sont allés de leur proposition de loi pour nationaliser les sites français d’ArcelorMittal. Suivis de près par le numéro un du PS, Olivier Faure, pour qui le président « aurait pu annoncer que la nationalisation temporaire est possible », comme il l’a déclaré sur TF1 le 15 mai.

Autant de réponses à une situation industrielle inquiétante. ArcelorMittal a annoncé la suppression de plus de 600 postes dans le Nord et l’Est et fait la grève des investissements nécessaires à la décarbonation du site de Dunkerque. En Isère, Vencorex vient de passer sous pavillon chinois et les dirigeants du PS, du PCF, des Écologistes et des insoumis demandent là aussi une prise de contrôle public de ce fleuron de la chimie.

Malgré l’unité et la volonté partagée de restaurer un « État stratège », l’engouement pour les nationalisations n’est pas partagé par tous à la même hauteur. Les Écologistes ont déposé une proposition de loi qui se borne à une mise sous tutelle sans prise de contrôle du capital, un dispositif qui existe chez nos voisins britanniques. Ainsi, ce texte porté par Charles Fournier vise à « pouvoir réagir vite et mettre sous gestion publique temporaire une entreprise dès lors qu’elle a un caractère stratégique », expose le député.

« Il faut défendre l’appareil productif pour éviter un décrochage définitif »

Cela passe par la nomination d’un administrateur public pendant vingt-quatre mois, le temps d’un changement d’actionnaire, d’une reprise par les salariés ou d’une nationalisation. Julien Gokel, le député socialiste de Dunkerque, concerné par la situation du site d’Arcelor, envisage un dispositif similaire et « travaille à présenter un texte de gauche de manière transpartisane, qui permettrait de protéger les activités qui sont de l’intérêt de la nation ».

L’idée est de « permettre à l’État, qui n’est pas bien outillé aujourd’hui, d’agir immédiatement ». Si la nationalisation n’a pas été envisagée a priori, c’est qu’elle a « un coût », assure-t-il. Et de poursuivre : « Les installations de Dunkerque valent bien plus que le milliard d’euros évoqué. » Par ailleurs, une « administration provisoire est une alternative réversible à la nationalisation », expose le député socialiste. Autrefois cœur des projets, les nationalisations font donc l’objet de toutes les prudences dans une partie de la gauche.

Les communistes plaident pour une nationalisation comme élément d’un projet de société qui répond aux enjeux sociaux et écologiques. « Le pays est à l’os concernant sa capacité industrielle. Nous sommes aux dernières places en Europe et ne pouvons nous permettre un pas de plus en arrière. Il faut défendre l’appareil productif pour éviter un décrochage définitif », défend Aymeric Seassau, responsable nouvelle industrialisation pour le PCF, qui s’inquiète que seuls 13 % de la population active travaillent encore dans l’industrie.

L’objectif est que la nationalisation permette de structurer des filières, dont la sidérurgie, et « réponde aux enjeux climatiques par une relocalisation des productions et une économie des ressources ». Des entreprises publiques doivent également permettre de produire ce dont « nous avons besoin pour la transition écologique elle-même », insiste Aymeric Seassau.

Il estime par conséquent qu’il faut « mettre sous contrôle certaines entreprises stratégiques ». Le PCF n’a pas encore défini précisément quelles sont ces firmes à nationaliser. Mais « il est temps de réunir le Conseil national de l’industrie pour redéfinir quelles sont les filières stratégiques et planifier le développement industriel » en partant « des besoins » des populations. Le secteur des télécommunications, où « 90 % de notre matériel électronique sont importés », doit faire l’objet d’une attention particulière, précise Aymeric Seassau.

Du côté de La France insoumise, on propose, depuis la réactualisation de son programme l’an passé, de « constituer des pôles publics dans les secteurs stratégiques : médicaments, transports et mobilité, banque, énergie, armement ». Et pour développer l’éolien maritime, on entend nationaliser si besoin les activités de General Electric et Siemens Gamesa.

Retenir la leçon du Covid

Pour les communistes et les insoumis, la nationalisation n’est donc pas qu’un moyen de faire face à un plan de suppression d’emplois, mais bien un levier politique. « C’est un moyen d’action assumé. Elle s’inscrit dans une volonté plus globale de mettre au pas le système capitaliste mondialisé », avance Clémence Guetté, coordinatrice du programme de la FI, qui en fait un des outils de la « planification démocratique ».

L’épisode de la pandémie de Covid et la dépendance à la production étrangère pour les masques et respirateurs sont cités à gauche pour justifier une mainmise publique. L’autre raison est l’avidité du capital. « Les bénéfices des sociétés d’autoroutes sont un scandale, avec des hausses de prix sans commune mesure avec les investissements nécessaires », avance Clémence Guetté, partisane d’une « renationalisation du secteur ».

La Big Pharma

Depuis vingt ans, le nombre de pénuries de médicaments a été multiplié par 20, jusqu’à en concerner plus de 3 600 en 2022. Forcément : 80 % des principes actifs qui les composent sont produits en Chine, 40 % des médicaments finis que nous consommons sont importés. Un plan de relocalisation a bien été mis en place après le Covid pour rapatrier la production… de 5 % des médicaments stratégiques. Mais, dans le même temps, notre géant Sanofi continue de céder ses filiales du quotidien, comme Opella (Doliprane) en mars. Le remède ? La création d’un pôle public qui orchestrerait la recherche et la production, en nationalisant s’il le faut et en s’appuyant sur les deniers de l’assurance-maladie.

Certains syndicats posent également la question des nationalisations. La Fédération nationale des industries chimiques-CGT est favorable à la nationalisation de ses branches professionnelles dans le cadre d’une planification écologique et environnementale. « Cela permettrait d’être économe en ressources », explique Françoise Baran, membre du secrétariat du syndicat. En cas d’électrification massive, des entreprises nationalisées permettent, mieux que des entreprises privées, de réduire plus facilement les capacités de raffinage de carburant, de reconvertir les sites concernés et de se concentrer « sur les besoins » des citoyens, et non des seuls capitalistes. De plus, la nationalisation permettrait de garder la recherche et les activités productives en France.

Du côté des communistes, l’argent est le nerf de la guerre.

Le PCF souhaite mettre en place un véritable pôle public bancaire en y ajoutant la nationalisation d’une banque commerciale. Cela permettrait d’accroître les dépôts disponibles pour des prêts aux entreprises et particuliers. Le pôle pourrait « proposer un crédit conditionné à nos entreprises, en vérifiant que l’argent aille bien aux salaires, au développement de l’appareil de production », ainsi qu’à la transition écologique, expose Aymeric Seassau. Grâce à ce pôle, le PCF entend instaurer un fonds doté de 200 milliards d’euros pour une nouvelle industrialisation.

Le PS privilégie les renationalisations

Si les nationalisations dans l’urgence peuvent être envisagées par les socialistes et écologistes, ces derniers n’en font pas ou peu un levier de politique publique structurante. La question s’est posée lors des négociations sur le programme du Nouveau Front populaire (NFP) l’été dernier. En conformité avec le contrat de législature qu’elle proposait à ses partenaires, la délégation communiste a demandé « des nationalisations bancaires démocratiques » et de « nationaliser les entreprises stratégiques » pour la construction de nouvelles filières industrielles.

« Nous nous sommes retrouvés seuls », témoigne Christian Picquet, membre de l’exécutif communiste. La délégation socialiste a notamment posé les problèmes financiers que cela poserait. Toutefois, le NFP prévoyait la création d’un pôle public bancaire, à partir des établissements publics déjà existants (CDC, La Poste, etc.) et d’un pôle du médicament, ce qui sous-entend la nationalisation de Sanofi.

Pour l’heure, du côté du PS, à de nouvelles nationalisations on privilégie des renationalisations de firmes privatisées. Lors de la niche parlementaire socialiste en 2023, Philippe Brun a obtenu de faire monter l’État à hauteur de 100 % au capital d’EDF. Mais la nationalisation d’autres entreprises n’est pas au cœur de la réflexion. « La gestion publique de l’eau, la nationalisation des infrastructures de transport et de distribution de gaz et d’électricité » figuraient dans le texte d’orientation d’Olivier Faure au congrès de Marseille en 2023.

Le mot « nationalisation » a disparu de son texte au congrès de Nancy cette année. Mais, « avec Boris Vallaud, nous défendons le concept de démarchandisation pour l’eau, l’électricité, le grand âge », fait valoir Julien Gokel. « Il ne faut pas qu’il y ait de barrière à la nationalisation. La question s’examine au cas par cas », estime-t-il.

L’énergie :

1er juillet 2007 : l’ouverture du secteur de l’énergie à la concurrence promettait une abondance de choix de fournisseurs pour des prix toujours plus bas. Près de vingt ans plus tard, si les fournisseurs de gaz et de l’électricité abondent, les prix n’ont jamais été aussi élevés et 20,6 millions de foyers restent cramponnés aux tarifs réglementés de l’électricité. Les logiques de marché sont si inopérantes que l’État a dû sauver EDF de la faillite en la nationalisant en 2023. Et 13 millions de personnes vivent dans la précarité énergétique. Réparer ce désastre de la libéralisation du secteur impliquerait de recomposer un monopole public du gaz et de l’électricité, afin de maîtriser les coûts de la transition énergétique sur le long terme.

De nouveaux critères de gestion, avec des objectifs de politique publique

Les nationalisations de 1981, issues du programme commun des socialistes et communistes, puis leur échec, ont laissé des traces. Faute de changement dans la gestion, elles n’ont ni empêché le déclin industriel ni transformé l’économie. Pis, pour les banques, le Crédit lyonnais a poursuivi une politique d’investissements risqués, qui a entraîné de lourdes pertes. « Une nationalisation permet de protéger une activité, mais rien ne garantit qu’elle soit efficace », modère le parlementaire écologiste Charles Fournier. Ainsi, dans le cas de l’acier et d’Arcelor, un passage au public ne « règle pas la question de la concurrence, du protectionnisme des marchés réservés », etc.

Au PCF, on défend de nouveaux critères de gestion, avec des objectifs de politique publique. « Nous sommes pour de nouveaux leviers d’intervention des salariés, afin qu’ils puissent faire des contrepropositions quand les choix ne sont pas les bons », prévient Aymeric Seassau. « Il ne suffit pas de nationaliser, comme en 1981, sans placer les entreprises nationalisées sous le contrôle des travailleurs, et plus largement du peuple tout entier », avance Clémence Guetté.

Car depuis l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, le monde a changé. « On doit impulser en France un mouvement citoyen sur les nationalisations, mais il faut viser la construction de multinationales publiques avec d’autres États. Le capital est mondialisé, la puissance publique doit aussi l’être », prévient l’ancien ministre communiste de la Fonction publique d’alors, Anicet Le Pors.

La gauche prend en compte cette dimension supranationale. « L’enjeu majeur est de se défaire du carcan de la concurrence imposé par la Commission européenne », assume Clémence Guetté. Aymeric Seassau défend des coopérations et rappelle que, « quand il s’agit de réindustrialiser, on n’arrête pas de parler d’un « Airbus de… ». Or, comment a été lancé Airbus ? Avec des États qui ont mis de l’argent public. Aujourd’hui, le capital est incapable de penser une industrie comme Airbus ». L’audace n’est pas du côté du capital.


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