La gauche met Macron au défi d’une cohabitation

Les forces progressistes hors LFI ont réclamé, ce mardi, à Emmanuel Macron, la nomination d’un gouvernement de gauche, dont la feuille de route serait notamment l’abrogation de la réforme des retraites. Les insoumis, eux, demandent le départ du chef de l’État.

Les partis de gauche hors-LFI exhortent Emmanuel Macron à nommer un Premier ministre de gauche au lieu de dissoudre à nouveau l’Assemblée nationale. 

Le premier ministre le plus éphémère de la Ve République, désormais négociateur, a été chargé de recoller les morceaux du vase qu’il a lui-même cassé. Mais alors que Sébastien Lecornu s’arrache les cheveux, depuis sa démission, pour savoir dans quel nuancier de droite s’inscrira le prochain exécutif, un autre scénario est désormais de retour sur la table : la nomination d’un premier ministre de gauche, dans le cadre d’une cohabitation.

C’est la proposition adressée à l’Élysée par une partie de la gauche, sans La France insoumise (LFI), ce mardi 8 octobre, à la suite d’une réunion entre écologistes, socialistes, communistes, Génération.s, Debout et l’Après. Manière de rappeler Emmanuel Macron à son péché originel : le refus de nommer le Nouveau Front populaire (NFP) au gouvernement après sa courte victoire aux législatives de 2024. « Nous sommes prêts à gouverner ensemble pour mener une politique sociale, écologiste et de justice fiscale où nous redonnerons toute sa place au Parlement », écrivent les partis signataires dans un communiqué commun.

Avec pour feuille de route quelques lignes déjà esquissées : la taxe Zucman, l’abrogation de la réforme des retraites et le renoncement au 49.3. « Nous avons à cœur de respecter les aspirations des Français. L’électeur de gauche veut un gouvernement de gauche qui abroge la réforme des retraites, défend le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel. Cette exigence répond aussi aux revendications de l’intersyndicale. »

« Macron n’a pas 15 000 solutions, il est isolé dans son propre camp, abonde Johanna Rolland, première secrétaire déléguée du PS. Un ancien premier ministre, Gabriel Attal, dit qu’il ne le comprend plus ; un autre, Édouard Philippe, appelle clairement à sa démission. » La proposition intervient alors que Sébastien Lecornu doit recevoir, ce mercredi, dans la dernière ligne droite de ses tractations, les socialistes, les communistes et les écologistes, après avoir reçu Place publique mardi dans la soirée.

Parmi les signataires de cet appel à laisser la gauche gouverner, il y a ceux qui y croient et ceux qui y croient moins. Sans renier la stratégie. « C’est improbable que Macron nomme quelqu’un de gauche à Matignon, mais on s’est mis d’accord pour porter ce scénario pendant quarante-huit heures, histoire de ne pas laisser penser que la solution ne résiderait qu’à droite », glisse un participant de la réunion de mardi midi.

LFI critique cette approche

Une stratégie critiquée par LFI : « Cette proposition vient du PS, qui a décidé de faire sans nous. Elle ne nous concerne donc pas, d’autant qu’on en est plus là de la crise politique : Macron doit partir », explique le coordinateur national du mouvement, Manuel Bompard. « C’est sans matérialité. Personne ne peut encore croire que Macron nommera la gauche », complète le député Antoine Léaument.

Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon mène une diplomatie parallèle, centrée sur l’hypothèse d’une dissolution mais surtout d’une destitution-démission du chef de l’État, scénario crédibilisé, selon eux, par les propos récents d’Édouard Philippe et les enquêtes d’opinion, qui indiquent que 75 % des Français veulent désormais voir le président renoncer au pouvoir.

Une première réunion avait auparavant eu lieu ce mardi, à l’appel de LFI et à l’adresse de toutes les forces du NFP. Les Écologistes y sont allés, mais pas le PS ni le PCF, à l’exception du député communiste Nicolas Sansu, venu au nom du groupe GDR, qui a affirmé par là son « désaccord » avec le choix du secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, de rompre avec le cadre du NFP. Les participants s’y sont mis d’accord sur le principe de « censurer toute politique de continuité avec le macronisme » et sur le fait de « permettre de présenter des candidatures porteuses du programme du NFP dans toutes les circonscriptions ».

Qu’importe l’absence de LFI, assurent de leur côté ceux qui réclament de gouverner demain. Les mélenchonistes ne seraient pas un obstacle : « Nous savons que la tâche ne sera pas facile. Mais je n’ai aucun doute sur le fait que certaines mesures pour lesquelles le gouvernement aura l’initiative, comme la taxe Zucman ou l’abrogation de la réforme des retraites, seront votées par LFI », assure Johanna Rolland.

En clair, les insoumis ne prendraient pas le risque de censurer un gouvernement qui appliquerait certaines mesures consensuelles à gauche. Ce que LFI aurait assuré, dans le huis clos des négociations récentes, selon plusieurs sources consultées par l’Humanité.

Le mouvement a en revanche refusé que cet engagement soit inscrit dans un communiqué. Bien qu’il ne croie pas en la nomination d’un premier ministre de gauche, Manuel Bompard précise : « Il faudrait examiner la base programmatique de ce gouvernement. S’il s’inscrivait dans la continuité des politiques macronistes ou qu’il comprenait des ministres macronistes, ce serait pour nous la censure. »

« On ne pourra pas faire l’économie de la gauche pour gouverner »

Les députés du bloc présidentiel seraient-ils prêts, eux, à accepter une cohabitation ? « On ne pourra pas faire l’économie de la gauche pour gouverner », a déjà alerté la ministre démissionnaire de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher. Reste à définir le périmètre acceptable de la prise en compte de la gauche, pour un camp peu habitué à lâcher du lest. Lundi soir, Gabriel Attal, Marine Tondelier et Olivier Faure se sont rencontrés, après les prises de parole des uns et des autres aux JT.

L’hypothèse d’un premier ministre de gauche aurait été évoquée, sans constituer en soi une ligne rouge ni une promesse de non-censure, selon l’entourage de la secrétaire nationale des Écologistes. « La discussion n’a pas porté sur un gouvernement de gauche, mais sur la proposition d’un négociateur formulée par Gabriel Attal », affirme de son côté un proche du secrétaire général de Renaissance.

Le camp Attal assure toutefois être ouvert à une rencontre avec les socialistes et les écologistes, en vue de former un gouvernement. Même avec un premier ministre de gauche, et même si la feuille de route passe par l’abrogation de la réforme des retraites, totem jusqu’ici intouchable pour les macronistes ? « On peut accepter un premier ministre de gauche uniquement s’il est socialiste, nuance une cadre du Modem. Et il y a peut-être un moyen de s’accorder sur un moratoire sur la réforme des retraites, mais pas une abrogation. C’est un sujet trop important pour le régler à la va-vite. »

Côté PS, l’hypothèse de siéger dans la même équipe que des macronistes est exclue. Le chemin pour arracher Matignon, puis des réformes ambitieuses sur le front social qui nécessiteront d’éventuels compromis avec la Macronie, est donc étroit. « Cela vaut le coup de tenter, argue un participant à la réunion en vue de proposer un gouvernement de gauche. Si le gouvernement chute sur l’adoption de la taxe Zucman ou les retraites, cela voudra dire que le RN et la Macronie ont pactisé contre une réforme sociale. Cela nous permettra d’affaiblir l’extrême droite. »

Du côté communiste, on estime que « le principal appui reste celui des Français, rappelle le sénateur Ian Brossat. 80 % d’entre eux veulent la taxe Zucman, le conditionnement des aides aux entreprises, l’abrogation de la réforme des retraites. Et les macronistes qui réclament de la stabilité devraient se justifier de faire tomber un gouvernement qui entend enfin les Français ».

Si Emmanuel Macron écartait cette hypothèse, alors la gauche devrait se préparer à une nouvelle dissolution. Et repartir pour un cycle de négociations douloureuses, en réalité déjà amorcé mais loin de garantir à ce stade l’union, pour éviter que l’extrême droite ne s’arroge une majorité à l’Assemblée. D’autant plus que la menace se précise.

Ce mardi, interrogé sur une législative partielle dans le Tarn-et-Garonne, dans laquelle s’affrontent une candidate PS et un candidat ciottiste soutenu par le RN, le président de LR, Bruno Retailleau, a balayé tout front républicain : « Pas une voix pour la gauche », a-t-il donné pour seule consigne.

Une alerte pour tout le camp progressiste, insiste la présidente du groupe écologiste, Cyrielle Châtelain : « C’est un premier pas vers la construction d’un bloc trumpiste : ils vont diaboliser la gauche dans son ensemble. Il faut arrêter de regarder ce qui se casse la figure et voir ce qui émerge. »


En savoir plus sur MAC

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Donnez votre avis

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.