De la maternelle au lycée, la situation est vite devenue explosive depuis la rentrée pour les élèves, les familles et les personnels. Une réalité que le ministre de l’Éducation nationale a de plus en plus de mal à masquer.
On a beau essayer, on ne trouve pas. On ne trouve pas d’autre mot pour qualifier tout ce qui remonte des écoles, collèges et lycées depuis le 3 janvier que celui-ci : le chaos. Et cela va bien au-delà des seuls problèmes posés par cette évolution du protocole sanitaire annoncée à la dernière minute, la veille de la rentrée – qui plus est dans un média privé et payant.
La très haute contagiosité du variant Omicron met tout le pays à rude épreuve, mais, à l’école, elle s’abat sur un système où des années d’austérité, d’affaiblissement dans tous les domaines démultiplient ses effets. Un peu comme à l’hôpital, un grand service public lui aussi en souffrance, lui aussi au bord de l’explosion. Ce n’est ni un hasard ni une coïncidence.
Quand il pleut, il est fréquent que les cours soient annulés…
Illustration en Seine-Saint-Denis. Jeudi 6 janvier, les enseignants des quatre collèges de Bobigny, la ville-préfecture aux plus de 50 000 habitants, étaient en grève. Parce que, dans ce département qui est le plus jeune et le plus pauvre de France métropolitaine, ils craquent.
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Submergés par la vague Omicron, mais pas seulement. Ainsi, quand on dit que le collège Pierre-Sémard craque, il faut l’entendre au sens littéral : cet établissement de construction récente mais en bois est en proie aux termites et s’effondre littéralement. Quand il pleut, il est fréquent que les cours y soient annulés.
Le collège Auguste-Delaune, pour sa part, a été bloqué dès lundi par les parents d’élèves et des professeurs, avec en tête des préoccupations, les problèmes de violence qui s’y posent depuis trop longtemps. Même motif au collège République, déjà en grève une semaine avant les vacances de Noël.
La vie scolaire sur le point de craquer
Anne Régnier est professeure de mathématiques (et membre du syndicat CNT) dans le quatrième collège de la ville, Jean-Pierre-Timbaud. Mercredi après-midi, elle a pris le temps de nous décrire la situation de son établissement face à l’épidémie – celle que connaissent, en vérité, la plupart des collèges et lycées de France.
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Au cœur du réacteur : la vie scolaire. CPE (conseillers principaux d’éducation) et AED (assistants d’éducation, les anciens surveillants) y assurent entre autres le pointage des absences et des retards ainsi que l’information aux familles – y compris pour la gestion des cas Covid et cas contacts –, la surveillance des entrées et sorties, de la cantine, des couloirs, des toilettes, de la cour, des salles d’étude… « Aujourd’hui, sur neuf AED, nous n’en avions qu’un seul, et il était cas contact, raconte l’enseignante. Nos deux CPE sont encore là, mais elles commencent à fatiguer. Ce sont elles qui assurent les entrées et sorties, du coup. » Pour la cantine, la direction de l’établissement se trouve dans l’obligation de « réquisitionner » le personnel administratif.
Oui, le ministre ment
Bien entendu, la vie scolaire n’est pas la seule touchée par les absences. Sur une quarantaine d’enseignants, une dizaine manque à l’appel, positifs ou cas contacts. Remplacés ? « On n’a jamais vu un remplaçant depuis le début de l’année ! » s’esclaffe Anne Régnier. Jean-Michel Blanquer aurait-il donc le front de mentir aux députés quand il leur assurait, ce même mercredi : « Nous sommes en ce moment en mesure de remplacer, avec bien entendu des exceptions, il y en a, je le reconnais » ? Oui, le ministre ment, car ses « exceptions » sont la règle. C’est particulièrement vrai en Seine-Saint-Denis, où, si l’embauche de contractuels est extrêmement courante, c’est pour les mettre sur des postes à l’année, rarement sur des remplacements.
Résultat : à Timbaud, quand un professeur manque, les élèves ne peuvent se rendre en étude, faute d’AED. « Ils se retrouvent tous dans la cour, qu’il pleuve ou qu’il vente, parfois à deux cents, pendant une heure, deux heures, surveillés par une seule personne », reprend la professeure de maths, qui relaie l’inquiétude de ses collègues : « Il n’y a pas assez de monde pour gérer les cas contacts, appeler les familles, leur répondre, les renseigner sur la procédure… La sécurité sanitaire des enfants et des personnels ne peut pas être assurée. »
Les retards individuels s’accumulent
La complexité de la procédure visant à maintenir l’apparence du dogme de l’« école ouverte », chère au ministre, avec son test PCR ou antigénique suivi d’autotests à J + 2 et J + 4, a aussi des conséquences pédagogiques : les élèves cas contact quittent la classe et reviennent… au compte-gouttes, le temps de faire les tests ou d’observer les périodes d’éviction. « Depuis le début de la semaine, je n’ai eu aucune classe en effectif complet, toujours quatre ou cinq absents au minimum », témoigne la professeure. La progression pédagogique est retardée, les retards individuels s’accumulent.
On voit des cas d’élèves qui viennent alors qu’ils sont symptomatiques, parce qu’ils ont peur de prendre du retard !
Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU
Répétons-le : le cas de Bobigny n’est ni caricatural ni exceptionnel. Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, le confirme : « Nos retours de terrain nous montrent une désorganisation totale, des établissements proches de l’implosion, où ça craque à tous les niveaux. » D’autant que, dans le secondaire, rappelle-t-elle, « depuis cinq-six ans, on ne remplace plus les absences de moins de quinze jours, ce qui aggrave les inégalités dans les apprentissages ».
Le report des épreuves de spécialité du bac demandé
Son syndicat, le premier dans le secondaire, demande d’ores et déjà le report des épreuves de spécialité du bac, prévues dans sept semaines de cours, à partir du 14 mars : « Les élèves concernés ont déjà passé la moitié de leur année de première en hybride, là, les cas positifs et les cas contacts partent, reviennent… il y a une évidente rupture d’égalité devant ces examens, dont le maintien entretient en plus une pression sur ces jeunes. On voit des cas d’élèves qui viennent alors qu’ils sont symptomatiques, parce qu’ils ont peur de prendre du retard ! »
Dans le primaire, ce n’est guère mieux. Le retard et le flou dans les consignes aggravent la désorganisation. Guislaine David, porte-parole du syndicat Snuipp-FSU, cite ainsi le cas de cet enseignant qui, avec un élève positif lundi, et sans réponse de sa hiérarchie ni de l’ARS sur l’attitude à tenir, a dû, pour éviter de créer un cluster, se résoudre à envoyer à 22 h 30 un mail aux parents de deux classes pour annuler le départ en classe de neige prévu le lendemain matin ! « Les directeurs, qui sont en classe de 8 h 30 à 16 h 30 comme les autres, ne peuvent pas gérer l’administratif, les cas contacts, les familles. Ils passent le peu de temps dont ils disposent à chercher des infos sur Internet… »
Certains recteurs se disent prêts à recruter… des parents d’élèves
Plus encore que dans le secondaire, les allers-retours des élèves positifs ou cas contacts handicapent la progression de la classe entière. Et le remplacement des professeurs absents est à peine mieux assuré : « Il arrive qu’on doive confier les classes aux Atsem (agents municipaux) ou aux AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap), relève Guislaine David, mais ce n’est pas réglementaire. Et les personnels municipaux ne sont pas épargnés par le Covid, donc le nettoyage-désinfection des locaux commence à avoir du mal à être assuré. On doit gérer un conflit permanent entre le protocole et la réalité. »
Alors que certains recteurs se disent prêts à recruter des contractuels à bac + 2, voire des… parents d’élèves titulaires d’un master, elle relève une contradiction béante : « Le ministre répète partout l’importance de l’école, des apprentissages, pour lutter contre les inégalités. En vérité, on recrute des gens juste pour garder les élèves, afin que les parents manquent le moins possible le travail ! »
Le ministre, « c’est un David Copperfield de bazar »
Cette réalité, sous-tendue par des années d’économies sur le dos de l’école – le Snes a calculé que les 7 500 postes supprimés depuis 2017 dans le secondaire équivalent à la disparition de 166 collèges –, c’est celle que le ministre connaît parfaitement, mais devant laquelle il joue les illusionnistes. « C’est un David Copperfield de bazar », tacle Rodrigo Arenas, de la FCPE : « Il a fait quoi depuis le début de la pandémie ? Pas d’aménagement des programmes, des examens aménagés à la dernière minute, aucune anticipation, et les élèves le paient cash. Il parle d’école ouverte mais dans la réalité, il organise la déscolarisation des enfants. »
Mon école va craquer (SNUIPP)
NDLR de MAC: a l’heure ou nous écrivons ces lignes, Le SE UNSA, ET le SNUDI FO appellent eux aussi à la grève, Le SNES est réuni pour décider, plusieurs syndicats FSU appellent eux aussi, la CGT Educ aussi, la CGT nationale doit se déterminer…
Comme prévu, la situation épidémique atteint des sommets de contamination. Le ministre de l’éducation, lui, continue de faire le choix de maintenir les écoles ouvertes « quoi qu’il en coûte ». Il allège les mesures protectrices, notamment sur les fermetures de classe et l’isolement des élèves, désorganisant totalement l’école, mettant les personnels, les élèves et leur famille en danger et les enseignant·es en souffrance professionnelle. Le SNUipp-FSU considère que la situation n’est plus tenable et appelle les personnels à se mettre en grève le 13 janvier. Il propose aux autres organisations syndicales de s’y joindre.
Des mesures inconséquentes
Au 5 janvier, la France dénombrait 332.252 nouveaux cas en 24h. Malgré une contagiosité accrue du variant Omicron, en particulier chez les 6-10 ans, et la fermeture de 9 200 classes et 47 453 cas confirmés d’élèves le 6 janvier, le Ministre ne prend pas la mesure de la situation et se félicite de garder les écoles ouvertes coûte que coûte. Faisant des paris risqués pour la santé, il allège les mesures de tests et d’isolement. Pourtant « sur le plan purement scientifique, il est demandé de faire un PCR ou un test antigénique à J0, ce qui est souvent inutile car le délai d’incubation est autour de cinq jours.[…] le test à J6 n’a pas été gardé alors que c’est celui qui est le plus significatif » explique Michaël Rochoy, médecin et membre du collectif « du côté de la science ».
Autre exemple du déni de réalité, l’approvisionnement en autotests gratuits en pharmacie n’a pas été anticipé, entraînant une pénurie qui les rend peu voire pas accessibles. Si l’annonce par le premier ministre de la fourniture de masques chirurgicaux aux personnels répond à la demande récurrente du SNUipp-FSU, elle reste à concrétiser rapidement puisque c’est maintenant que les écoles en ont besoin. La nécessité d’une fourniture également en masques FFP2 reste prégnante notamment pour les enseignant·es de maternelle et les AESH très proches des élèves. Et que dire des mensonges de Jean-Michel Blanquer sur la prétendue faible contamination des enseignant·es, sur l’équipement soit disant généralisé en capteurs de CO2 ou sur les masques FFP2 « réservés au soignant·es ».
Des écoles au bord de l’implosion
Les règles plus souples de cette rentrée, conjuguées au variant pour l’instant le plus contagieux que l’on connaisse, entraînent des absences désordonnées des élèves et des équipes éducatives (PE, AESH, ATSEM, personnels du périscolaire), qui impactent l’école dans son ensemble. Les enseignant.es, les directeurs et directrices, subissent ainsi un nouvel alourdissement des tâches et de leurs charges mentales : vérification des attestations sur l’honneur des parents, suivi logistique des isolements, tout en veillant à une forme de continuité scolaire…
Les injonctions contradictoires de dernière minute obligent à des ajustements permanents et épuisants. Le tout sous une pression sociale intense due à l’absence de règles permettant aux parents de garder leurs enfants à domicile sans perte de salaire. Le 6 janvier au soir, après la réunion au ministère, c’est ainsi un nouvel allégement du protocole des 3 tests qui est acté et toujours pas de prise en compte du nécessaire isolement des cas contacts intrafamiliaux de moins de 12 ans.
C’est juste plus possible !
Le ministre se vante de maintenir les écoles ouvertes pour habiller son choix politique de faire de l’école une garderie, pour permettre aux parents d’aller travailler, au mépris de la santé des personnels, de celle des enfants, de leurs familles. Et en réponse à l’engagement des enseignantes et enseignants, à la limite de l’épuisement, le président de la République conditionnerait une potentielle augmentation salariale à une augmentation de leur temps de travail ! Ce mépris est insupportable alors que les personnels portent l’école à bout de bras depuis deux ans.
Il est urgent de revoir les règles de fonctionnement avec le retour à la règle protectrice “1 cas positif = fermeture de la classe”, l’isolement des cas contacts intra-familiaux, une politique de tests préventifs hebdomadaires salivaires systématiques avec une campagne de conviction à mener auprès des familles. Dès maintenant les personnels doivent être équipé·es de masques chirurgicaux, et FFP2 pour ceux qui le souhaitent, des auto-tests doivent leur être fournis et les salles de classe et de restauration équipées en capteur de CO2. Il faut enfin élargir le vivier de remplaçant·es pour pallier les absences en abondant et recrutant les listes complémentaires ainsi qu’en recrutant des titulaires via un collectif budgétaire.
Par ses propos et ses actes, Jean Michel Blanquer a perdu toute légitimité comme ministre de l’Education nationale. Le SNUipp-FSU appelle les personnels à participer massivement à la grève du 13 janvier prochain pour faire cesser le mépris et les mensonges et porter les conditions d’une école secure sous Omicron. Il propose à toutes les organisations syndicales de l’éducation de se joindre à cette journée pour la sécurité sanitaire de nos écoles et le nécessaire recrutement de personnels.
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Infographie interactiveHospitalisations, nombre de personnes en réanimation, de décès, de personnes guéries… Suivez l’évolution de la situation sanitaire dans votre région depuis le déclenchement de l’épidémie.
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