Comment Macron piétine l’héritage du Conseil national de la Résistance

Emmanuel Macron se réfère régulièrement aux Jours heureux du Conseil national de la Résistance, mais depuis 2017, il les démolit. Droit à la retraite, modèle démocratique et social, répartition des richesses, intérêts de la nation… Le chef de l’État mène une entreprise de casse programmée des conquis du CNR, dont la première réunion s’est tenue il y a 80 ans, le 27 mai 1943.

Manifestation à Lyon, lors du déplacement d'Emmanuel Macron pour les commémorations du 8 mai dernier. © Emrah Oprukcu/Nurphoto via AFP

Manifestation à Lyon, lors du déplacement d’Emmanuel Macron pour les commémorations du 8 mai dernier. © Emrah Oprukcu/Nurphoto via AFP

 

Le président de la République a commémoré, en catimini, les 80 ans de la première réunion du Conseil national de la Résistance (CNR). Emmanuel Macron n’a même pas pris la parole pour célébrer l’événement. Il n’a pas non plus respecté la véritable date de la réunion, le 27 mai 1943, mais préféré se rendre le 24 mai au 48, rue du Four, à Paris.

Sans doute avait-il mieux à faire trois jours plus tard. La réunion constitutive du CNR à cet endroit représente pourtant une date essentielle dans l’histoire de notre pays : les forces de la Résistance se donnaient alors pour objectif de vaincre l’Allemagne nazie, mais aussi de rétablir la République sur des bases démocratiques et sociales d’une ambition rare qui ont façonné notre modèle de société. Devant pareil souvenir, le président s’est contenté de déposer une gerbe. Un geste à la fois insuffisant, vu l’importance de la date, et insincère, vu la politique menée par Emmanuel Macron.

Depuis son élection en 2017, le chef de l’État s’emploie en effet à saper pierre après pierre les fondamentaux du programme du CNR. À tel point que sa feuille de route semble lui avoir été dictée par Denis Kessler, ancien vice-président du Medef, qui en 2007 écrivait que « le modèle social français est le pur produit du CNR. Il est grand temps de le réformer. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du CNR ». Et c’est bel et bien tout ce qu’Emmanuel Macron abîme, qu’il s’agisse de notre démocratie, du droit du travail, de notre Sécurité sociale et des intérêts supérieurs de la nation.

Une OPA hypocrite

Pire, dans un communiqué, l’Élysée se permet en toute hypocrisie de saluer le travail du CNR non seulement dans la lutte contre l’occupant nazi, mais aussi pour son programme : « Autour de cette table furent prononcées des paroles qui donnèrent forme à la France d’aujourd’hui », est-il écrit. « Le CNR, dès son origine, portait l’ambition prophétique d’une IVe  République qui instaurerait un vrai suffrage universel, ouvert aux femmes, nationaliserait l’énergie, fonderait la Sécurité sociale, libérerait la presse des forces de l’argent. »

Cette entreprise de destruction n’empêche pas le président de la République de clamer « nous sommes les héritiers du CNR, et de celui qui lui donna naissance, au prix de sa vie », allusion à Jean Moulin. Ce n’est pas une première de sa part. Au début de la crise du Covid en 2020, il promet ainsi aux Français : « Nous retrouverons les jours heureux. » En 2022, il crée le Conseil national de la refondation, dont l’acronyme est CNR

« Le président de la République, sentant bien que les Françaises et les Français demeurent attachés à des acquis républicains arrachés de haute lutte, au prix du sang versé, tente de réviser l’histoire, s’indigne le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel (lire l’entretien page 5). Il voudrait faire passer pour un progrès une politique qui en est la négation. »

Une démocratie malmenée

Que prévoyait le programme du CNR, baptisé « les Jours heureux », en matière de démocratie ? « Une véritable démocratie économique et sociale », en « rendant la parole au peuple français ». Mais Emmanuel Macron gouverne contre ses concitoyens, comme le montre la réforme des retraites, rejetée par 74 % des Français, et même 90 % des actifs.

Le président refuse tout référendum, et n’a même pas laissé s’exprimer les députés, représentants de la nation, en imposant sa réforme à coups de 49.3, en plus de contourner la Constitution pour la faire adopter. Le programme du CNR garantissait de plus « la liberté d’association, de réunion et de manifestation », quand la Macronie réprime violemment les manifestations, quand elle ne les interdit pas, et va même jusqu’à empêcher les citoyens de se rendre devant les membres du gouvernement avec des casseroles en organisant des barrages filtrants.

Le CNR défendait enfin la « liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères ». Rien à voir avec ce que laisse faire Emmanuel Macron, qui soutient la concentration capitalistique et la toute-puissance des milliardaires dans ce secteur pourtant essentiel et ne moufte pas devant Vincent Bolloré, qui a transformé CNews en chaîne d’extrême droite.

Une Sécurité sociale rabougrie

Les résistants réunis autour de Jean Moulin le 27 mai 1943 se sont ensuite entendus, notamment grâce à l’apport de la CGT et du PCF, pour bâtir « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État », ainsi qu’une « retraite leur permettant de finir dignement leurs jours ».

À partir de 1945, Ambroise Croizat, ministre communiste du Travail et de la Sécurité sociale, étend sur cette base le droit à la retraite et aux soins à tous les Français, améliorant considérablement leurs conditions de vie. Qu’organise Emmanuel Macron ? Une régression par rapport à l’existant en voulant faire passer l’âge de départ légal de la retraite de 62 à 64 ans.

Dans sa loi intitulée de « plein-emploi », qui doit être présentée début juin, il souhaite de plus conditionner le RSA à une activité, après avoir considérablement réduit les durées et les montants des indemnités pour les chômeurs inscrits à Pôle emploi, rompant ainsi avec la nature solidaire de la Sécurité sociale.

Un droit du travail affaibli

Les Jours heureux se donnaient pour objectif la « sécurité de l’emploi, la réglementation des conditions d’embauchage et de licenciement », et aussi « le droit d’accès, dans le cadre de l’entreprise, aux fonctions de direction et d’administration, pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l’économie ».

De leur côté, les ordonnances de 2017 d’Emmanuel Macron facilitent largement les licenciements et diminuent les pouvoirs des salariés dans l’entreprise, via une attaque ciblée contre les instances représentatives et les élus du personnel.

Le CNR insistait aussi en faveur d’un « rajustement important des salaires et la garantie d’un niveau de salaire qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine ». Emmanuel Macron, lui, se montre incapable d’augmenter le Smic et les salaires, quand les dividendes, eux, explosent avec 59,8 milliards d’euros en France en 2022, soit une augmentation de 4,6 %.

Les intérêts de la nation bradés

La défense d’une « organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général » figurait aussi au programme du CNR. Emmanuel Macron, à ce rythme et en dix ans de mandat, aura supprimé « 500 milliards d’euros de recettes fiscales », selon le sénateur socialiste Patrick Kanner.

Des milliards qui auraient pu servir à assurer la transition écologique, à éradiquer la pauvreté et à améliorer nos services publics, notamment nos hôpitaux et nos écoles. Mais ces 500 milliards sont pour la plupart partis dans les poches des plus aisés et fortunés, avec la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), l’instauration d’une flat tax, la suppression de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) ou encore la pérennisation d’un Cice non conditionné qui sert davantage les actionnaires des grandes entreprises que l’emploi et l’activité économique.

Le CNR programmait aussi « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques ». La Macronie, elle, ne voit de salut que dans la privatisation et la libéralisation de l’ensemble des secteurs, des transports, de l’industrie, des médicaments et de l’énergie. Loin des nationalisations bancaires et industrielles opérées par le gouvernement après la Libération.

Personne ne s’illusionne sur le jeu du président de la République. Mais le fait qu’Emmanuel Macron s’en soit emparé à plusieurs reprises pour détourner le CNR révèle également l’actualité de celui-ci de manière indéniable. Car, comme le soulignait l’historien Laurent Douzou dans l’Humanité en juin 2022  : « Les principes qu’il égrène peuvent redonner un sens, individuellement et collectivement, à la vie sociale. » 


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