Européennes 2024 : « L’Europe ne doit pas décider sans vous »

Ils sont jeunes, ont la vie devant eux, mais cherchent quel sens lui donner. Ils s’intéressent à la politique, mais se sentent éloignés de la campagne des européennes. Ils ont pourtant beaucoup de choses à dire, de combats à porter. Selma, Carmen, Robin, Clem et Constant ont ainsi rencontré Léon Deffontaines, candidat PCF, pour un dialogue à bâtons rompus sur ce que peut et doit faire l’Europe.

 

Constant, 20 ans, est salarié agricole et travaille dans deux fermes pour toucher au final un Smic, ce qui est peu comparé aux heures de travail et à sa pénibilité. Il s’interroge sur l’avenir de son métier. Selma, 16 ans, a adhéré cette année à l’Association France Palestine Solidarité, désireuse de s’engager pour la paix au Proche-Orient alors que les bombes pleuvent sur Gaza. Clem, 26 ans, est militante à Action Justice Climat et s’oppose au capitalisme sauvage qui détruit la planète. Robin, 26 ans aussi, est cheminot, et ne comprend pas pourquoi le rail est privatisé et découpé en petits morceaux. Carmen, 16 ans, cherche à lutter efficacement contre les inégalités entre les femmes et les hommes. Et chacun d’entre eux se demande ce que l’Union européenne pourrait bien faire quant à ces combats. C’est dans ce cadre qu’ils ont rencontré Léon Deffontaines, candidat PCF aux élections du 9 juin.

Vous sentez-vous représentés dans les débats européens ? Retrouvez-vous votre vie quotidienne dans cette campagne ?

Clem Il y a un manque de pédagogie générale. On a beau suivre les médias, on ne sait même pas qui sont les députés européens, quels sujets relèvent de l’UE, à quoi ça sert… Il y a 80 personnes sur chaque liste, mais on ne les connaît pas. Rien n’est fait, ou si peu, pour nous intéresser à cette campagne. C’est pourtant une nécessité. J’ai le sentiment qu’il y a d’un côté une course médiatique à la petite phrase, et de l’autre des débats beaucoup trop techniques. L’opposition entre différents projets de société passe à la trappe. Quant aux jeunes, quels que soient leurs engagements, pour le climat, le social ou la Palestine, ils sont de plus en plus caricaturés et réprimés

Selma Je ne me sens pas représentée lors des débats télévisés entre les candidats. Ils s’envoient au visage des attaques personnelles plutôt que d’aborder le fond. Sur les réseaux sociaux, la vision est très réduite. Soit on a le Rassemblement national, soit on a la France insoumise. On comprend que les premiers veulent faire peur aux gens au sujet de l’immigration, et que les seconds veulent donner de l’argent à tout le monde. Mais on saisit mal les enjeux.

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Carmen Au lycée, on parle très rarement des questions européennes. Donc, je ne me sens pas concernée. L’UE, ce n’est pas très concret dans nos têtes. Il faudrait clairement renforcer l’instruction civique.

Robin Autour de moi, beaucoup de jeunes auront le droit de voter pour la première fois le 9 juin, mais ça leur semble inimaginable de se rendre au bureau de vote. Il faudrait montrer à la jeunesse ce que ces élections peuvent changer dans nos vies au quotidien. Cela pourrait motiver plus de monde.

Léon Deffontaines Merci à tous. C’est important pour moi d’entendre ça. J’ai l’impression que tout est fait pour que personne ne s’intéresse à cette élection. De mon point de vue, ce ne sont pas tant les jeunes qui se désintéressent de l’Europe que les responsables européens qui se désintéressent de la jeunesse et de sa réalité. Quand ils parlent de la jeunesse, ils ont toujours le programme Erasmus à la bouche, alors que seulement 5 % d’une classe d’âge part en Erasmus…

Ce qui intéresse la jeunesse, c’est aussi les réformes du BAC, la précarité étudiante, l’accès à une formation et un emploi, des salaires décents, la crise climatique… Or, tous ces sujets sont liés à l’Europe. On n’imagine pas à quel point. Vous, par exemple, quel sujet pourrait vous amener à vous intéresser à ces élections ?

Que peut l’Union européenne pour les salaires et l’égalité salariale ?

Constant J’aimerais savoir ce que l’UE peut pour les agriculteurs. Comment peut-on rendre ce métier à nouveau attractif, comment peut-on aider les jeunes à s’installer ?

Léon Deffontaines C’est un sujet complètement européen. 40 % du budget de l’UE passe dans la politique agricole commune (PAC). Mais il faut tout changer dans cette PAC, et calculer les aides non pas selon la taille des exploitations mais selon le nombre de salariés qui y travaillent. Il faut aussi réorienter en partie cette PAC sur de l’aide à l’installation et à l’acquisition d’une exploitation pour les jeunes. Quand un agriculteur part à la retraite, celui d’à côté rachète bien souvent son terrain et on se retrouve à terme avec des fermes-usines disproportionnées, en monoculture intensive, qui ne répondent ni aux impératifs écologiques, ni à ceux de la souveraineté alimentaire.

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L’Europe doit aussi instaurer des prix planchers, car l’agriculture est le seul métier où l’on peut travailler à perte. Et il faut mettre fin à la concurrence déloyale en sortant de l’ensemble des traités de libre-échange, le dernier en date étant celui avec la Nouvelle-Zélande. On importe depuis un pays à 20 000 kilomètres de nos côtes du lait, du bœuf, du fromage, que l’on peut très bien produire en France et en Europe. Si nous voulons, enfin, défendre l’agriculture française, nous devons augmenter les salaires. Quand j’étais au Smic, la première chose que je regardais, ce n’était pas l’origine du produit, c’était les prix. Si on redonne du pouvoir d’achat aux Français, on verra qu’ils achètent davantage français et de meilleure qualité.

Robin Et que peut l’UE pour les salaires ? Peut-on imaginer l’instauration d’un Smic européen ?

Léon Deffontaines Je ne pense pas que le rapport de force actuel soit favorable à l’instauration d’un Smic européen d’un même montant dans tous les pays de l’UE. Ma crainte, c’est que le Smic français diminue, puisqu’il est plus élevé que la moyenne : en Hongrie ou en Bulgarie, il est entre 350 et 450 euros par mois. En revanche, je suis pour qu’il y ait la même règle partout, celle qui s’applique actuellement en Espagne : un Smic calculé à 60 % du salaire médian. Si cette règle, qui est la mieux-disante socialement, s’imposait, on aurait alors un nivellement vers le haut des salaires dans toute l’Europe.

Carmen Et que faire en Europe pour imposer l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, alors que les inégalités sont énormes ?

Léon Deffontaines Il ne suffit pas, hélas, de voter un texte pour que l’égalité s’applique du jour au lendemain, car il y a des métiers sous-payés qui sont très féminisés. Je pense aux métiers du care et aux services publics. Or, c’est l’État qui a la main sur les services publics, donc c’est là où nous avons le plus de prise pour effectuer des revalorisations salariales concrètes pour les femmes. Par ailleurs, je défends aussi la clause de « l’Européenne la plus favorisée ».

Il s’agit de prendre dans chaque État les mesures les plus avancées en termes de droit des femmes et d’en faire la norme pour toute l’Union. Certains pays sont bien plus avancés que nous, notamment sur les grilles salariales qui, certes, ne règlent pas tout, mais font qu’au moins ce n’est pas à la discrétion du patron de fixer les salaires.

Carmen Et quelle est votre position sur le droit à l’IVG, qui vient d’être inscrit dans la Constitution en France alors que ce droit recule en Hongrie ou en Italie. Je pense qu’il faut agir au niveau européen pour toutes les femmes du continent.

Léon Deffontaines Je suis d’accord. Il faut inscrire le droit à l’IVG dans la charte européenne des droits fondamentaux pour qu’il s’impose à l’échelle européenne. On m’attaque souvent car je refuse que l’UE impose tout aux États membres. Et c’est vrai que sur bien des sujets je défends la souveraineté de chaque État. Mais je fais des exceptions sur certains droits inaliénables, comme l’abolition de l’esclavage ou le droit à l’IVG, qui doivent s’imposer à tous. Quand bien même un pays deviendrait très autoritaire et réactionnaire, la charte l’empêcherait de légiférer contre l’IVG et contre les femmes, sous peine de sanctions.

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La Hongrie, par exemple, rend aujourd’hui obligatoire le fait d’écouter les battements du cœur du fœtus avant une procédure d’avortement… Il faut aussi contraindre les États membres à garantir l’effectivité du droit à l’IVG sur l’ensemble de leur territoire. Car on voit bien que certains pays s’attaquent à ce droit en coupant les subventions à des centres ou à des associations comme le planning familial. Et nous avons nous-mêmes en France des déserts médicaux où l’accès à l’IVG est menacé à force de coups portés contre les services publics.

« Pour moi, l’objectif de sobriété n’entre pas en contradiction avec l’augmentation de la qualité de vie. »

Clem J’ai lu intégralement le programme du PCF pour les européennes, et le mot « sobriété » n’y figure pas du tout. Dans un projet de société idéale, pour moi, c’est un mot essentiel. Pourquoi avoir fait le choix de mettre en avant la production ? Il faut relocaliser les industries, mais avant tout réduire la consommation en général…

Léon Deffontaines On demande déjà aux classes populaires de plus en plus d’efforts. Elles subissent des coupures de chauffage, d’accès à l’énergie, et voient leur mobilité se réduire. Moi, je souhaite que chacun puisse se chauffer, se déplacer, s’épanouir, découvrir le monde, remplir son frigo, tout en respectant les impératifs environnementaux. Je pense donc que l’objectif de « sobriété » entre en décalage avec ce à quoi aspirent nos concitoyens. Une grande partie d’entre eux subissent déjà la sobriété. Or, la réponse, ce n’est pas qu’il faut moins consommer, c’est qu’il faut mieux consommer. Il ne s’agit pas de moins produire, mais de produire plus et mieux.

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Nous avons réfléchi au PCF à un plan climat qui nous permettrait d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Notre plan prévoit de répondre à l’impératif environnemental tout en produisant plus. Notre objectif est de décarboner l’énergie en passant par le nucléaire, dans le cadre d’un mix avec les énergies renouvelables. Nous voulons rapprocher la production de la consommation, réindustrialiser le pays, engager des grands travaux, faire la rénovation thermique des bâtiments, développer le ferroviaire pour que le train soit une alternative à l’avion et aux camions…

Clem Le mouvement climat a réussi à mettre la question climatique à l’agenda politique. Les gens savent que quelque chose de grave est en train d’arriver. Mais le pouvoir cherche à faire passer les écolos pour des marginaux qui veulent s’éclairer à la bougie. C’est une caricature. Je ne dis pas qu’il faut contraindre les classes populaires. Pour moi, l’objectif de sobriété n’entre pas en contradiction avec l’augmentation de la qualité de vie. C’est un écueil dans lequel il ne faut pas tomber. La sobriété, ce n’est pas obliger les classes populaires à se priver encore plus : il vaut mieux restreindre les classes les plus riches.

Léon Deffontaines Là, je suis d’accord : je suis pour plus de sobriété pour les ultrariches, et plus de consommation pour les classes populaires. Prendre l’avion tous les week-ends ne fait pas partie de notre projet de société. Je souhaite que les travailleurs puissent vivre dignement de leur travail, se chauffer, partir en vacances avec leur famille. Et pour ça, il faut produire davantage.

Robin Au sujet de l’écologie, je veux dire en tant que cheminot que c’est une honte politique que l’Europe et la France malmènent le ferroviaire. Un train transporte l’équivalent de 50 camions. Le fret, c’est la solution écologique qui en plus crée de l’emploi. Quels sont les leviers au niveau européen pour empêcher sa destruction ?

Léon Deffontaines L’ouverture du fret à la concurrence imposée par l’UE a eu pour conséquence de diminuer considérablement la part du transport de marchandises par voie ferroviaire. Pour arriver à la neutralité carbone en 2050, il faudra assurer au moins 25 % du transport de marchandise par le rail. On est seulement à 10 % aujourd’hui. Nous avons besoin d’un fret ferroviaire public puissant, et donc de remettre en cause le démantèlement de Fret SNCF. Il faut aussi rattacher les corridors ferroviaires à nos ports et docks.

Et faire le TGV Lyon-Turin, car il permettra de supprimer un million de camions sur les routes. Mais faire un tunnel et ne pas avoir de cheminots formés pour conduire les trains, parce que le fret de la SNCF a été démonté, ça ne sert à rien. Il faut une politique globale qui tourne le dos aux règles absurdes actuelles de l’UE. Sur l’électricité par exemple, EDF a l’obligation de vendre 25 % de sa production à des fournisseurs alternatifs. Ces derniers vont la revendre ensuite trois à quatre fois plus chère. Et parfois, ils la revendent à EDF… Cela n’a aucun sens. Nous sommes enfermés dans des règles dogmatiques qui n’existent que pour le marché.

Comment mettre fin à la colonisation israélienne et construire enfin la paix au Proche-Orient ?

Selma : La situation en Palestine tourne au désastre. Concrètement, si vous êtes eurodéputé, que pourrez-vous faire pour obtenir un cessez-le-feu, pour mettre fin à la colonisation israélienne et construire enfin la paix au Proche-Orient ?

Léon Deffontaines À l’échelle européenne, il est possible de dénoncer l’accord d’association commerciale avec Israël. Leur économie dépend en grande partie du commerce avec l’Europe. Elle n’est pas en capacité d’être autosuffisante et l’UE est sa première destination pour l’exportation. Je propose que tant qu’Israël ne respecte pas le droit international, alors on cesse tout commerce avec eux. On ne reprendra qu’après un cessez-le-feu à Gaza, qu’après la fin de la colonisation en Cisjordanie et la libération des prisonniers politiques palestiniens, dont Marwan Barghouti.

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Israël doit permettre à l’État palestinien de vivre dans les frontières de 1967. L’UE doit donc arrêter d’aligner sa politique sur celle des États-Unis. Et chacun de ses États membres doit reconnaître l’État palestinien. La Macronie dit qu’il faudra le faire « en temps voulu ». Mais cela veut dire quoi ? Quand toute possibilité d’un État palestinien aura été rayée de la carte ? Cela fait cinquante ans que l’on nous explique que ce n’est pas le moment, et cinquante ans que la situation se dégrade… La France doit agir dans la foulée de l’Espagne, de l’Irlande et de la Norvège. Les Palestiniens nous disent d’ailleurs que la position de la France peut faire la différence, car c’est un État leader dans l’UE, reconnu internationalement comme pays des droits de l’homme. Si la France passe à l’acte, cela ouvre le champ des possibles et même les États-Unis seraient en difficulté.

Selma Beaucoup de jeunes autour de moi vont voter pour le RN, qui joue sur leurs peurs et leur désigne un ennemi. Moi, à l’inverse, j’aimerais condamner les actions menées par Frontex, qui coule les bateaux de réfugiés en Méditerranée…

Léon Deffontaines Il faut créer des voies légales d’immigration pour que ceux qui émigrent sur le continent européen le fassent de manière sécurisée. Qu’ils ne soient pas obligés de payer des passeurs, d’être réduits en esclavage, d’embarquer sur des bateaux de fortune… La question n’est pas d’accueillir moins, mais d’accueillir plus et surtout d’accueillir mieux. La politique d’intégration ne peut pas se résumer à distribuer des titres de séjour en comptant, par exemple, sur des associations pour l’apprentissage du français. Nous devons également régulariser les travailleurs en situation irrégulière qui produisent et cotisent sur notre sol. Si nous voulons intégrer, c’est le b.a.-ba.

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Jordan Bardella dit « zéro immigration ». Il se fiche de nous ! Le RN ne veut pas de régularisation précisément parce qu’il veut une main-d’œuvre à bas coût pour le patronat. En réalité, ils veulent des migrants sur le territoire, mais sans droits et payables au lance-pierre. C’est important de dénoncer leur double discours. L’autre grand sujet occulté du débat, c’est la coopération. L’UE doit aider au développement, permettre d’électrifier l’Afrique, de développer son économie, ses universités… Ce sera mutuellement bénéfique aux deux continents.

Carmen : Vous pensez que les programmes d’aide à l’Afrique ont un effet à l’heure actuelle ?

Léon Deffontaines Pas du tout. On installe nos propres usines sur des terres africaines pour y piller les richesses. Cela rentre dans les critères d’aides au développement, mais c’est tout le problème : ils sont tournés vers l’exploitation et l’extraction des ressources. On doit soutenir économiquement ces pays afin qu’ils puissent développer leurs services publics et leurs infrastructures. Faire de la coopération dans l’intérêt de tous. Et mettre fin au pillage. C’est aussi ça qui se joue le 9 juin.

 


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