Les salariés et les employés se sont beaucoup abstenus. Mais quand ils ont voté, ils ont été nombreux à choisir l’extrême droite. Le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, et la candidate du NFP à Matignon, Lucie Castets, livrent leur analyse et dessinent des pistes pour la gauche et les syndicats.

Sans tirer des leçons en profondeur de la séquence électorale, « le sursaut ne sera qu’un sursis », prévient Sophie Binet. Le Rassemblement national (RN), entre les mains duquel s’est placé le nouveau gouvernement, reste en embuscade, prêt à conquérir le pouvoir. Il prospère sur les divisions du monde du travail orchestrées par le capitalisme contemporain.
Réunis au stand du Conseil national du PCF, à la Fête de l’Humanité, les deux responsables politiques et la syndicaliste alertent sur l’urgence de rassembler pour obtenir des victoires et appellent la gauche à se réconcilier avec les classes populaires.
Nous nous posons aujourd’hui la question de reconquérir le monde du travail face au RN. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Sophie Binet, Secrétaire générale de la CGT: Grâce à une mobilisation remarquable aux élections législatives, nous avons évité le pire. Cependant, sans une véritable prise de conscience, ce sursaut ne sera qu’un sursis. La CGT tire la sonnette d’alarme depuis longtemps, mais se sent isolée.
Lors de notre Comité confédéral national, nous avons décidé de placer la lutte contre l’extrême droite au cœur de notre stratégie syndicale, car elle menace non seulement le pays, mais aussi notre syndicalisme de lutte des classes. Emmanuel Macron a pu ignorer les urnes grâce à un accord avec le Rassemblement national (RN).
Pourquoi a-t-il pu se permettre de passer en force malgré notre magnifique mobilisation contre la réforme des retraites ? Parce qu’il savait que, en cas de motion de censure et de dissolution, la tripartition de la vie politique empêchait une alternative. Pourquoi avons-nous été en difficulté pour élargir la grève pendant la mobilisation contre la réforme des retraites ? Parce qu’une partie du monde du travail vote de façon structurelle pour l’extrême droite, fragilisant notre capacité à élargir la grève.
L’extrême droite est notre premier ennemie, car elle divise la classe ouvrière. Aujourd’hui, 50 % des ouvriers et 42 % des employés se sont abstenus au second tour, et ceux qui ont voté préfèrent largement le RN au Nouveau Front Populaire (NFP). La gauche doit reconquérir le monde du travail, en parlant de relocalisation industrielle sans tomber dans le nationalisme, et en abordant les tensions entre social et environnemental.
Dans l’automobile, par exemple, le basculement à l’électrique tel qu’il est organisé par les grands constructeurs implique des destructions de dizaines de milliers d’emplois. Il faut aussi proposer un avenir crédible à ceux qui se tournent vers le RN par nostalgie, en rendant visibles les inégalités créées par le capital et en luttant contre le racisme et l’antisémitisme.
Les salariés du privé ne sont pas seuls à voter RN. Quel est l’état d’esprit des fonctionnaires ?
Lucie Castets, Membre du collectif Nos services publics, candidate à Matignon pour le NFP: Ces dernières années, on n’a vu les services publics qu’à travers le prisme budgétaire. Nous avons toujours dit à l’inverse qu’ils doivent répondre aux besoins des citoyens. C’est à partir de ce postulat que l’on doit les financer. Les agents, eux, ont un peu perdu la foi dans leur métier, le sens de leur travail, parce qu’on leur a fait comprendre qu’ils pouvaient être remplacés par des entreprises privées.
Leur rémunération a décroché par rapport aux salaires du privé, le point d’indice ayant été extrêmement peu revalorisé ces dernières années. Tout cela a nourri une forme de sentiment de déclassement, au sein de la fonction publique, qui a pu nourrir à son tour un vote RN chez les fonctionnaires. Le Rassemblement national a également porté un discours faussement favorable aux services publics.
Fabien Roussel, Secrétaire national du PCF: Les salariés, qu’ils soient du public ou du privé, sont fiers de leur travail et de leur engagement, mais se sentent méprisés et abandonnés. Ces dernières années, on leur a enlevé des droits. On a supprimé les CHSCT. Leur avis ne compte plus. Dans le Nord et le Pas-de-Calais, l’extrême droite a pris de nombreuses circonscriptions. Comme le souligne Sophie Binet, beaucoup d’ouvriers et d’employés se sont abstenus ou ont voté à l’extrême droite.
Ils expriment ainsi que la gauche ne leur parle plus, ne défend plus les usines et les ouvriers. Il y a eu les abandons, les trahisons des gouvernements de gauche. Ils ont vu les fermetures d’usines, les délocalisations. Des familles entières ont été brisées sur l’autel de la concurrence libre et non faussée. La gauche doit reprendre ce combat, reconstruire une stratégie industrielle respectueuse de l’environnement et des travailleurs.
Au PCF, nous portons ce projet, car produire des richesses dans notre pays est essentiel pour financer la protection sociale et la transition écologique. Mais il faut aller au-delà de taxer les dividendes : les salariés doivent avoir leur mot à dire sur la production et la distribution des richesses. Se réapproprier l’outil de travail est indispensable.
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La bataille contre la réforme des retraites va se poursuivre, avec une journée d’action le 1er octobre. Comment peut-on gagner ensemble ?
Sophie Binet : De nombreux salariés ont voté et se retrouvent avec un premier ministre issu d’un parti ayant obtenu moins de 5 %, qui gouverne grâce à un accord avec le RN alors qu’on s’est mobilisés pour le battre. Cela crée un sentiment de démobilisation. Pour contrer ce fatalisme, nous devons obtenir des victoires concrètes, notamment l’abrogation de la réforme des retraites. Une majorité de députés est prête à le faire.
Le 1er octobre constitue donc le début du match retour contre cette réforme. Il est aussi crucial de se battre pour des augmentations de salaire, des moyens pour les services publics et l’arrêt des licenciements dans l’industrie. La CGT avait rendu publique, pendant les élections européennes, la liste des 70 000 emplois en cours de suppression. La politique de Macron a non seulement vidé les caisses de l’État, mais aussi affaibli notre industrie.
Nous devons également anticiper une éventuelle dissolution et les élections municipales de 2026, où l’extrême droite ambitionne de remporter 1 000 villes. En 2027, Marine Le Pen sera à coup sûr au second tour. L’unité est indispensable pour gagner, mais elle reste encore fragile. Notre fonctionnement intersyndical peut livrer quelques enseignements utiles au niveau politique : il faut dépasser les logiques hégémoniques et construire une alternative.
Lorsque nous avons appelé au Front populaire dès le lendemain de l’élection, c’est parce que nous savions qu’il n’était plus possible de battre l’extrême droite seulement en disant non. Les alternatives doivent être en rupture avec le libéralisme et la politique macroniste. Enfin, la gauche doit redevenir le parti du travail et repenser les relations entre syndicats et politique.
La CGT est indépendante, elle n’est pas neutre. Elle travaille à repolitiser le syndicalisme, tout en restant indépendante. Nos rôles, syndicaux et politiques, doivent être complémentaires et respecter les contre-pouvoirs. Dans les prochains mois, nous allons également mener un travail de syndicalisation. Parce que, là où il y a des déserts syndicaux, l’extrême droite progresse.
Lucie Castets : Nous devons expliquer ce que serait la mise en œuvre du programme du RN. Il plongerait la France dans une austérité budgétaire sans précédent. Son programme économique, c’est moins 50 milliards d’euros par an pour les collectivités et l’État. Il asphyxierait nos services publics.
Le RN passe son temps à dénigrer les fonctionnaires et les travailleurs. Comment régule-t-on les entreprises ? Il faut des agents publics formés, compétents, en nombre suffisant. Le RN propose exactement le contraire. Il faut le dire, le répéter, chacun à sa place, dès qu’on en a l’occasion. Enfin, le programme du RN s’attaque aux valeurs fondamentales des services publics que sont la solidarité et l’universalité. La préférence nationale signifie l’exclusion de certains de nos concitoyens.
Le projet du RN, c’est une France où l’on n’accède pas aux mêmes services, où l’on n’a pas les mêmes droits en fonction de sa nationalité ou de son lieu de résidence. Ses propositions sur les binationaux ont montré son vrai visage aux Français. La gauche ne sera forte que si elle est unie. Et l’unité n’est pas l’uniformité. C’est un message adressé par tous les militants que j’ai pu entendre lors des universités d’été.
Vous êtes pour l’union de la gauche, et nous en prenons acte. Nous sommes battus mais pas abattus, et nous allons continuer à construire un avenir et un projet pour la gauche. Nous avons lutté contre la loi immigration, contre la réforme des retraites. Il faut aussi donner à voir à nos compatriotes ce que la gauche au pouvoir est capable de faire. Nous disons aux Français que la politique peut faire beaucoup. Nous allons vous montrer un chemin que nous construirons ensemble.
Comment réaliser l’unité du monde du travail ?
Fabien Roussel : Tout est fait pour nous diviser et nous opposer entre nous. En fonction du lieu d’habitation de chaque Français, de sa classe sociale ; entre ceux qui ont un travail et ceux qui n’en ont pas ; entre les habitants de pavillons à la campagne et les citoyens des banlieues ; en fonction des religions… nous ferons tout pour nous rassembler. Nous appartenons tous à la classe du monde du travail. Nous subissons tous les ravages du capitalisme et les choix économiques qui sont faits. Nous sommes le nombre et nous allons leur reprendre le pouvoir. L’union du peuple de France, c’est notre objectif. L’union du salariat, tout simplement.
Nous, communistes, voulons jouer notre rôle qui consiste à faire prendre conscience que nous sommes une force et que nous affrontons la même domination, celle du capital. Je parle souvent de la sécurité. J’entends que la gauche ne s’en occuperait plus. C’est la droite au pouvoir qui a complètement réduit les moyens de notre police nationale et de notre gendarmerie.
Les premiers à souffrir de l’insécurité, du trafic de drogue, ce sont les habitants des quartiers populaires. On doit être les défenseurs de ces familles, de ces quartiers, être aux côtés des élus qui se battent pour exiger l’augmentation des moyens de la police, des enquêteurs, des douaniers… Nous voulons rassembler les citoyens sur ces questions. En République, nous sommes tous égaux, tous citoyens.
Sophie Binet : L’extrême droite prospère aussi sur l’explosion du monde du travail organisée par le capital. Il a mis en concurrence les travailleurs entre eux en délocalisant, en filialisant, en multipliant les statuts… Dans une centrale nucléaire, par exemple, il y a vingt, trente ou quarante patrons différents. Dans ce contexte, pour nous, syndicalistes, récréer une communauté d’intérêts est beaucoup plus compliqué qu’avant.
Pour lutter contre l’extrême droite, il faut mettre fin à cette déstructuration du travail, lutter contre la précarité, responsabiliser les donneurs d’ordre. Nous pourrons ainsi rassembler les travailleurs contre un même patron pour gagner les mêmes droits.
Nous avons besoin d’un discours très fort sur la solidarité. En 1944, l’horizon commun de la Sécurité sociale dans le programme du Conseil national de la Résistance a permis une rupture avec le fascisme. Il faut rompre également avec le discours misérabiliste à l’égard du monde du travail. Quand on travaille, on a des droits.
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