Égalité femmes-hommes : on a tous à y gagner
Salaires Ce vendredi, dès 9 h 10, les femmes commenceront à travailler gratuitement, selon les calculs de la newsletter féministe les Glorieuses. S’attaquer aux inégalités de revenus profiterait pourtant à l’ensemble de la société.
Et si, ce vendredi, les femmes restaient au lit ? Plus d’auxiliaires de vie pour nourrir à domicile les personnes âgées, plus de sages-femmes pour accoucher ce jour, plus de caissières pour compter vos achats… En 1975, c’est ainsi que les Islandaises ont protesté pour dénoncer un écart de salaire de 25 % entre les hommes et les femmes, et l’importance de ces dernières dans la société. Ce vendredi-là, les hommes furent contraints d’emmener exceptionnellement leurs enfants à l’école, les avions restèrent cloués au sol, faute d’hôtesses de l’air, et les femmes au foyer (qui travaillaient gratuitement) rendirent leur tablier pour aller manifester. Dix ans plus tard, elles descendirent à nouveau dans la rue pour réclamer l’égalité salariale. En 2005, rebelote. Mais cette fois-ci, elles se mirent à calculer : ramené au temps de travail, à salaire équivalent à celui des hommes, à quelle heure les femmes ne seraient-elles plus payées ? Et elles quittèrent toutes le travail à 14 h 8. Aujourd’hui, l’Islande est considérée comme le pays le plus égalitaire au monde, selon le Forum économique mondial. Mais l’égalité réelle n’est pas encore atteinte…
Les femmes gagnent 22 % de moins
Cette comptabilité choc a inspiré plus d’un mouvement social en France. En 2016, de nombreuses associations féministes et des syndicats appelaient à s’arrêter le 8 mars, date internationale de la lutte pour les droits des femmes, à 15 h 40. Car, chaque jour, c’était l’heure à laquelle les salariées commençaient à travailler gratuitement. D’autres, comme la newsletter économiste et féministe les Glorieuses, calculent cela sur l’année. En 2022, c’est donc ce vendredi 4 novembre, à 9 h 10, que les femmes ne seront plus payées jusqu’en 2023. En moyenne, en Europe, les travailleuses gagnent 15,8 % de moins que leurs collègues masculins, selon l’agence Eurostat. Et au niveau international, selon le Forum économique mondial, il faudrait attendre encore cent ans pour voir l’écart s’effacer totalement.
En France, pays auquel certains reprochent pourtant une soi-disant « religion » de l’égalité, les femmes sont toujours aussi mal payées : même si les inégalités économiques se sont un peu résorbées en vingt ans, leur revenu salarial restait inférieur de 22 % à celui des hommes en 2019, selon les derniers chiffres de l’Insee. Un tiers de cet écart s’explique par les différences de durée de travail. D’abord, parce que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à interrompre leur carrière ou à réduire leur temps de travail à l’arrivée des enfants ; ensuite, parce qu’elles travaillent en moyenne trois fois plus souvent à temps partiel que les hommes. « C’est la question de l’indépendance économique des femmes qui est posée, relève Sophie Binet, secrétaire générale de l’Ugict-CGT. Dans les trois quarts des couples, elles gagnent moins que les hommes : si elles veulent se séparer, en cas de violences conjugales par exemple, elles n’ont pas les moyens financiers de le faire. »
Un gain pour l’ensemble de la société
En règle générale, la question de la lutte contre les inégalités économiques est souvent vue sous le prisme exclusif des « coûts » : le patronat rechigne à augmenter les salaires des femmes, au nom du gain financier que représente pour les entreprises cette forme de dumping social. Les féministes, au contraire, insistent sur les retombées financières positives que générerait une égalité réelle. Les études en la matière ne manquent pas, rappelle Rachel Silvera, économiste, maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre et codirectrice du réseau Mage : « Il y a quelques années, la Cnav (Caisse nationale d’assurance-vieillesse) avait calculé ce que l’égalité salariale lui rapporterait en termes de cotisations annuelles nettes supplémentaires. Le montant du gain atteignait 11 milliards d’euros par an pour les premières années, puis 5,5 milliards d’euros par an ensuite (ce différentiel s’expliquant par l’augmentation des pensions à verser). » Des chiffres non négligeables, à l’heure où l’exécutif s’émeut des niveaux de déficits publics…
De même, il est tout à fait possible de calculer le coût financier que représentent les inégalités de revenus entre les hommes et les femmes. « Les chercheurs Jean et Nicole Gadrey ont mesuré l’écart de revenu, à niveau de diplôme égal, explique Rachel Silvera. Par exemple, à bac +3, les femmes gagnent 31,6 % de moins que les hommes. Résorber ces inégalités rapporterait 246 milliards d’euros de revenus supplémentaires, dont 113 milliards de cotisations sociales ! » Autrement dit, ces sommes profiteraient bien à l’ensemble de la société et pas « seulement » aux principales intéressées.
Au-delà de l’aspect strictement comptable, la revalorisation des salaires des femmes aurait des répercussions bénéfiques pour l’ensemble du pays, dans la mesure où ces dernières sont sur-représentées dans les métiers dits essentiels. « Nous pensons qu’il est primordial d’augmenter les salaires et de créer des emplois pérennes dans les secteurs du soin et du lien, estime Delphine Collin, du collectif femmes-mixité de la CGT. L’utilité sociale de ces professions (garde d’enfants, prise en charge des personnes âgées…) n’est plus à démontrer, de même que les faibles niveaux de revenus : nous avons réalisé une consultation en ligne, auprès de 14 métiers, qui montrait que ces femmes auraient besoin de 500 euros par mois supplémentaires en moyenne. »
Une question politique
À gauche, tous les chemins mènent à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Quand le PS promet une grande « loi de programmation sociale » sur le sujet, le communiste Fabien Roussel entend mettre autour de la table syndicats de salariés et patronaux pour augmenter la rémunération des métiers occupés essentiellement par des femmes (infirmière, caissière, assistante maternelle, aide-soignante ou aide à domicile). Quant à Jean-Luc Mélenchon (FI), il défend le principe d’une « prime d’égalité salariale » pour les salariées travaillant dans les entreprises non respectueuses de la loi sur l’égalité de 1972. « Cela fait cinquante ans que la loi existe et a été votée. Nous avons assez attendu, il est temps de passer en force ! » a fait valoir l’insoumis.
De même, l’idée de garantir le respect, dans des délais courts, de l’égalité salariale femmes-hommes est largement brandie. Les entreprises ont un an pour mettre en œuvre l’égalité salariale, faute de quoi un administrateur judiciaire le fera à la place de l’employeur, propose le PCF. « Il y a 14 lois en France non appliquées, car non contraignantes. Ma première mesure sera de les faire appliquer », a développé Fabien Roussel. Il est aussi favorable à l’application systématique de la méthode Clerc, du nom de ce syndicaliste de la CGT métallurgie, afin de favoriser l’égalité professionnelle. Le principe visant à renforcer les sanctions financières a été repris par la France insoumise dans son programme présidentiel 2022.
À gauche, tout le monde s’accorde à dire également qu’il faut lutter contre les emplois à temps partiel. Jean-Luc Mélenchon a déclaré au magazine Elle : « On augmente la cotisation comme si c’était une cotisation à temps plein, vous allez voir si ça ne dissuade pas tout le monde de faire appel à un temps partiel. » De son côté, EELV mise sur le renforcement de l’accès à la formation pour toutes les salariées travaillant à mi-temps, la création d’un service public de la petite enfance. Une disposition partagée par la France insoumise, qui propose l’ouverture de « 500 000 places » de garde, en crèche ou à domicile. Tous réclament un alignement du congé paternité sur le congé maternité à seize semaines. Fabien Roussel explique que « ce congé aura pour conséquence de lutter contre les discriminations à l’embauche que nombre de femmes subissent ».
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