Comment se fait-il que le RN qui a environ 9 millions de voix et 37 députés élus au premier tour soit considéré comme un vainqueur potentiel, susceptible de “prendre le gouvernement” alors que le NFP qui a pratiquement le même nombre de voix et 31 députés élus au premier tour soit au contraire exclu de ce possible ? En fait cela relève du système de propagande et du système électoral… Nous voudrions montrer ce que cette manière de poser les problèmes a d’idéologique et dans le même temps reflète le poids des institutions et des forces médiatico politiques.
Au niveau des institutions celles-ci ont joué leur rôle de bloquer le changement…
L’afflux des électeurs a montré premièrement que ceux-ci avaient le sentiment pour la première fois d”avoir une alternative exigeant leur intervention. Mais cet afflux a rompu avec un mythe celui d’abstentionnistes étant une réserve pour le progrès social, en fait ceux-ci peuvent tout autant renforcer le parti qui leur présente l’alternative à savoir le RN que la force qui leur parait symboliser le rempart. Incontestablement cela a limité les dégâts du camp présidentiel.
L’afflux des électeurs a multiplié les triangulaires voire les quadrangulaires ce qui était totalement prévisible, et cette multiplication profite en premier lieu à la stratégie de Macron en le plaçant en arbitre, ce que chaque petite formation tente de jouer par le chantage au report.
Les candidats pour le second tour des élections législatives 2024 ont jusqu’à mardi soir pour s’inscrire.
La clé des triangulaires
Par le jeu du scrutin à deux tours, la Ve République a cette particularité de pouvoir fabriquer, pour l’Assemblée nationale, des majorités là où il n’en existe pas. A l’issue du 1er tour des législatives, 310 circonscriptions sont donc dans cette situation potentielle de triangulaire – voire quadrangulaire – dont 161 où le Rassemblement national et ses alliés d’extrême droite sont arrivés en tête.
Il est donc possible que cette situation entraîne de nombreux désistements à gauche et dans le camp macroniste. Le résultat du scrutin risque de se jouer en grande partie sur cette stratégie. Combien restera-t-il des 305 circonscriptions où trois concurrents peuvent se maintenir, et des cinq autres où quatre prétendants sont qualifiés ? Réponse mardi soir.
L’extrême droite est en première position et donc la plus susceptible de bénéficier de la dynamique
Ce qu’il faut comprendre, c’est que seuls les candidats ayant obtenu un nombre de voix égal à au moins 12,5 % du nombre d’électeurs inscrits au sein de la circonscription sont autorisés à se maintenir. Mais ils doivent impérativement formaliser leur candidature à la préfecture avant mardi à 18 h. Tout ce qui se passe dans ce laps de temps est une manière de peser sur les reports et de préparer en sous main des transactions entre adversaires apparemment irréconciliables. Il y a les retraits officiels et les exécutions au sein de son propre camp.
Or dans plus de la moitié des territoires qui échappent encore au duel, l’extrême droite s’est placée en première position, le plus souvent sous l’étiquette RN (134 candidats) et dans les autres cas d’un parti allié (27 candidats), selon un décompte de l’AFP à partir des chiffres du ministère de l’Intérieur. Dans ce cas de figure, les consignes sont claires à gauche : les candidats du Nouveau Front populaire arrivés troisièmes sont censés se désister au profit du deuxième, quel que soit son profil. Ce cas de figure concerne 90 circonscriptions, où la gauche devrait a priori s’effacer, dans la plupart des cas au profit de la coalition Ensemble pour la République (63) ou d’un candidat LR (14).
Mais dans 62 autres cas, le Nouveau Front populaire est sur la deuxième marche du podium, devant le camp macroniste. Dans cette configuration, la tendance est parfois à un désistement des candidats Ensemble et Horizons concernés, mais la ligne n’est pas clairement arrêtée, en particulier si cela ouvre la voie à des gens officiellement pestiférés ce qui pose problème parce que le gros des bataillons en situation d’être élu appartient à cette catégorie qui a joué souvent le jeu d’élimination d’autres candidats en particulier les communistes. En revanche dans la région parisienne comme dans certaines métropoles la même politique a été appliquée avec succès et les élus communistes auront plus de mal que tous les autres à défendre leur siège. En revanche, les verts ont agréablement surpris dans la plupart des cas même dans les limites qui ont toujours été les leurs.
Le vrai problème est dans la rupture assumée avec ce qui est l’offre habituelle qui a épuisé à la fois son potentiel d’attraction et la crainte de ce que représenterait “le fascisme”.
S’il y a un bougé dans la jeunesse et dans les couches de la petite bourgeoisie diplômée cela reste désorganisé et coupé des couches populaires. Mieux ou pire on a assisté à une sorte de stratégie à la Mao dans laquelle les campagnes rurales mais aussi prolétarisées ont subi un encerclement :
De la Gironde à la Creuse, le RN a réalisé un raz-de-marée en zone rurale, se confirmant dans ses fiefs et progressant dans des zones acquises à la gauche ou au camp présidentiel.
En Gironde, le RN domine largement dans les circonscriptions viticoles du Médoc, de l’Entre-deux-Mers, de Libourne et du Blayais, où la patronne régionale et vice-présidente du parti Edwige Diaz a été réélue dès le premier tour (53,33 %) – c’est la seule dans la région. Dans le Médoc (cinquième circonscription), Grégoire de Fournas (42,32 %) arrive en tête devant la socialiste Pascale Got (31,79 %) et le candidat Ensemble Stéphane Sence (18,59 %). Le RN est en tête dans les six conscriptions du département situées en dehors de la métropole, y compris dans le bassin d’Arcachon où Laurent Lamara obtient 36,83 % devant Sophie Panonacle (Ensemble) qui rassemble 31,75 % des voix. Cette stratégie a été de terrain reprenant au compte de ses militants des revendications locales essentielles dans des territoires qui s’estiment abandonnés.
Ce qui se confirme c’est ce contre quoi a tenté de lutter Fabien Roussel à savoir le fait que le vote RN était désormais celui majoritaire des ouvriers et des employés alors que le vote NFP concerne plutôt les diplômés et cadres. Certes Fabien Roussel, Léon Deffontaines et les députés communistes en péril sont victimes de règlements de compte caractéristiques de la NUPES, mais comme Ruffin, ils le sont plus encore paradoxalement de leur conscience d’une situation qui a besoin de nouvelles pratiques dans la reconquête des couches populaires. Le PCF de Fabien Roussel est victime de la difficulté de son pari pourtant juste sur le fond à savoir la volonté de reprendre pied dans ces couches populaires. Trente ans de dérive ne se rattrapent pas en jour et seulement sur des bases électorales. Le pari et l’objectif était juste et disqualifie ceux qui ont contribué à des manœuvres (radicales et de petits complots) contre le secrétaire du PCF mais le problème essentiel est ailleurs, il est dans la nécessité d’arracher au fascisme bon chic bon genre (qui n’a même plus besoin de drapeaux et de nazis comme le régime ukrainien) le mécontentement et la colère populaire.
Certes il y a eu des consignes mais ce genre de consigne ne fonctionne que quand il correspond à une dynamique et la dynamique est celle de cette récupération militante par le Rassemblement national. Les divisions “gauchistes”, groupusculaires fonctionnent sur ce fond-là. Tout cela témoigne d’une incapacité à partir du quotidien pour mettre à jour l’ennemi de classe et son recours au chaos, à la guerre. Les commentateurs internationaux ne s’y sont pas trompés, s’ils accordent un rôle certain au thème de l’immigration ils notent également le refus de l’alignement sur la guerre du consensus atlantiste et les problèmes d’une gauche qui leur parait avoir des comportements inexplicables de soutien voire d’assimilation dans leur rangs de gens qui sont synonymes de destruction des conquis sociaux et de répression. Le besoin général de “sécurité” sous toute ses formes devenant l’objet de transactions pour sauver les places.
Nous sommes donc dans une situation qui ne date pas d’aujourd’hui dans laquelle les contraintes institutionnelles et les abandons de la “gauche” comme de la “droite” accordent un bonus indéniable à la dynamique du Rassemblement National mais cette dynamique pourrait ne pas être irrésistible.
Nous sommes dans une période où chaque événement y compris le fait divers peut créer des mouvements dans l’urne et dans la rue mais qui a toute chance de se développer sur une longue période…
Dans un moment où la médiocrité des comportements, les coups de jarnac entre “partenaires” suscitent l’indignation comme la révélation de l’impuissance à trouver les clés du changement et il faut aussi se dire que ces insupportables combats internes d’egos déchaînés, les prises de position de sommet, tout cela n’est que l’écume inévitable de faits beaucoup plus structurels ceux des mouvement du capital, de l’hégémonie occidentale sur de plus longues périodes…
Si l’on admet que le “débat” aux Etats-Unis était révélateur de l’état de la “démocratie” qui se répercute sur toutes les élections, celle demain de la Grande-Bretagne, d’aujourd’hui des législatives en France, tout cela conditionnant la fabrication des “groupes” au parlement européen, on mesure que la “véritable horreur” ce dont on ne peut pas parler a été la politique étrangère… Que ce que les deux barbons Biden et Trump ont révélé, dans leur balbutiement, le “débat” français a soigneusement voulu qu’il soit occulté pour mieux maintenir le consensus français, l’alignement de toutes les forces de tous les prétendants sur les apories étasuniennes… les divisions communautaristes, les gesticulations impuissantes, les provocations qui masquent l’incapacité à autre chose qu’à la guerre !
Étonnez-vous qu’après de telles confusions l’adversaire soit le partenaire et que la préoccupation première des “antifascistes” ait été de faire perdre les communistes et Ruffin pour mieux soutenir en fait Glucksmann et les siens… Chaque “bloc” ayant à cœur de conquérir son homogénéité et se trouvant le leader le plus à même d’être crédible dans le consensus atlantique selon le modèle made in USA. C’est là le pourrissoir de la vie démocratique dans un système qui fait eau de toute part.
Refuser ce débat, créer les conditions de l’aveuglement sous prétexte de “sauver les meubles” ne peut comme on le voit au niveau de ces “trois blocs” que créer les conditions du fascisme au lieu de donner de la force à des résistances qui n’ont de sens que dans une perspective de changement.
Nous en sommes encore loin… et le plus problématique c’est que la seule stratégie est d’aller vers le socialisme, de voir qui est l’adversaire réel, d’accepter donc d’intervenir dans l’état de la situation concrète y compris dans cette dynamique accordée au fascisme et de la nécessité de l’affronter.
Le problème central est de savoir qui est aujourd’hui capable de prendre place dans ce mouvement pour recréer les conditions d’une force reprenant pied dans ceux qui ont le plus intérêt au changement non pour diviser mais pour rassembler. Ce qui manque c’est un parti communiste et des organisations de masse conscients des enjeux et actifs pour les surmonter dans la pratique.
Danielle Bleitrach
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