
Thalia Denape, économiste, membre du conseil national du PCF
Denis Durand membre du conseil national du PCF, codirecteur d’Économie&Politique
Jean-Marc DURAND membre du conseil national – PCF
Yves DIMICOLI
Si Bayrou a pris le risque d’être renversé à l’Assemblée le 8 septembre, c’est que la colère populaire explose contre son gouvernement illégitime, qui se livre à une attaque sans précédent contre les personnes (salarié·e·s, retraité·e·s, bénéficiaires de prestations) et contre les biens communs que sont nos services publics.
Il tente de justifier cette amputation sans précédent de 44 milliards sur le budget (14 milliards d’euros de baisse des dépenses et 30 milliards d’euros parce qu’on ne suivrait pas l’inflation), déclarée « non négociable », en agitant la peur de la dette. Ce faisant, le Premier ministre, qui fait du chantage sur la dette pour imposer ses solutions et n’accepter aucune autre, nous met tous en danger.
Emmanuel Macron doit nommer un Premier ministre de gauche. Mais, contrairement aux excès de concessions et débuts de reniements du PS, ce doit être pour mettre en œuvre une politique en phase avec les engagements du NFP, tout particulièrement le socle de son programme économique. C’est aux « modérés » de prendre leurs responsabilités pour soutenir ce programme afin de sortir le pays des difficultés et de faire barrage à l’extrême droite.
Le péril, c’est la finance, pas la dette !
La dette n’est pas en soi le problème. Elle n’est que le symptôme des difficultés et la conséquence d’une politique de désindustrialisation et de destruction des services publics.
Le problème, c’est donc d’une part le niveau des taux d’intérêt, d’autre part l’utilisation de la dette. L’un et l’autre nourrissent la finance et mettent à bas le pays. Les banques, les fonds de pension et fonds d’investissement pompent chaque année des intérêts croissants avec la hausse des taux : 66 milliards en 2025, premier poste budgétaire devant la Défense et l’Éducation nationale, ce qui ampute notre capacité à nous financer ! Si la dette vampirise le pays aujourd’hui par les remboursements d’intérêts, c’est parce que les gouvernements la mettent dans les mains des marchés financiers.
Si la dette pose un problème, ce n’est pas parce qu’elle atteint 3 303 milliards ; c’est parce qu’elle est largement utilisée pour des dépenses inefficaces voire perverses, dont les 211 milliards d’aides à des entreprises qui n’hésitent pas à licencier et délocaliser, pratiquent des bas salaires et qui, en plus, dans le cas des réductions de cotisations sociales et fiscales, contraignent l’État à emprunter sur les marchés financiers pour compenser. Utilisées contre l’emploi et la transition écologique, pour gonfler les dividendes et accompagner les délocalisations, ces aides sapent les bases d’une croissance économique saine, fondée sur des activités réelles utiles. C’est pourquoi le poids de la dette s’accroît par rapport au PIB.
Au contraire, nous avons besoin d’avances monétaires à taux faible, nul ou négatif, pour développer le pays et son activité, donc pour des dépenses utiles à un développement qui réponde efficacement aux enjeux économiques, sociaux et écologiques de notre temps ! Baisser les dépenses publiques, c’est affaiblir le pays et aggraver sa situation financière ! C’est continuer les politiques qui nous ont conduit là. C’est accélérer la récession qui vient.
Vouloir réduire les déficits par la baisse des dépenses publiques relève non seulement d’une violence sociale inouïe, mais d’une hérésie économique. Dans le passé, c’est toujours par un développement du pays et un accroissement des dépenses, y compris par dette en mobilisant les banques publiques, que l’on s’est sorti des difficultés d’endettement. Ainsi a-t-on procédé après 1945. Les services publics apportent une contribution majeure à l’efficacité économique : détruire leurs emplois, saborder leurs missions, réduire leur qualité ne peut qu’affaiblir le potentiel de croissance et de développement, c’est-à-dire la base des recettes fiscales, ce qui aggravera les déficits budgétaires dans une spirale sans fin de régression. Le choix de l’économie de guerre et du doublement du budget militaire d’ici 2027 ne peut que renforcer ce cercle vicieux austérité-dette. Ne pas changer les critères d’affectation de ces aides publiques revient à laisser toute liberté aux grands actionnaires et ne peut que conforter les délocalisations et le cancer financier contre l’emploi et l’écologie.
Le RN est dans la même logique d’austérité que Bayrou. Il propose moins 25 milliards au lieu de 44, pour justifier son opposition, et dupe le monde en faisant croire, de façon cyniquement mensongère, que les « Français » n’en souffriront pas !
Les cadeaux fiscaux aux grandes entreprises et aux ultra-riches se combinent à la casse des services publics, de l’industrie et au cancer financier. La baisse des dépenses publiques est d’autant plus inadmissible qu’une partie de la dette vient des réductions de recettes sous forme de cadeaux aux grandes entreprises et aux ultra-riches, dont : la suppression de l’ISF, la réduction du taux de l’impôt sur les sociétés (IS), l’instauration de la flat tax qui plafonne le taux de prélèvement sur les revenus du capital, des facilités nouvelles sur la TVA déductible, la suppression de la taxe professionnelle puis de la CVAE, etc.
L’État au service d’un capital égoïste et qui brade le pays !
Le Medef soutient activement le budget Bayrou qu’il a fortement inspiré. Ce patronat des grandes entreprises, avec leur financiarisation, leurs restructurations et délocalisations, a détruit 2 millions d’emplois industriels en 20 ans et fait de la France l’un des pays les moins industrialisés d’Europe, dans son obsession de la baisse du coût du travail et un pays en difficulté sur les compétences et les qualifications. Par la voix de Patrick Martin, président du Medef, il justifie le choix de certaines entreprises d’investir aux États-Unis et la capitulation patronale dans la guerre économique de Trump, en arguant d’une insuffisance d’efforts financiers en direction du capital, dans un « toujours plus » décomplexé. Le capitalisme français entend aujourd’hui préserver ses profits dans une position de servitude volontaire à l’impérialisme américain et au cancer financier. Telle une bourgeoisie compradore, il ne s’intéresse au territoire français que pour en extraire des ressources pour ses profits, depuis les aides financières jusqu’à la recherche publique en passant par toutes les capacités technologiques et informationnelles, et en s’appuyant sur une intensification inouïe de l’exploitation des travailleurs, génératrice de souffrances extrêmes pour toutes les catégories du salariat.
À cette alliance État/capital contre la société tout entière, il faut opposer une riposte portant des réponses systémiques, une alliance État/société contre le capital.
Pour sortir des difficultés, il faut développer le pays : ses services publics, qui permettent une mieux-vie et appuient le potentiel d’efficacité ; sa production industrielle et de services efficace et écologique.
Pour cela,
il faut dépenser plus : accroître les dépenses publiques pour l’embauche et la formation dans les services publics ainsi que pour les revenus (salaires des agents publics et revenus sociaux).
Financer autrement les dépenses en libérant l’État de la tutelle des marchés financiers.
(1) Donc, créer un Fonds d’avances pour les services publics, financé à bas taux (zéro voire négatif) par le pôle public bancaire (BPI, Caisse des dépôts, Banque postale). Son refinancement à 0 % par la BCE est compatible avec les traités européens actuels, c’est la bataille politique à mener par les gauches en France et en Europe. Il ouvrira la voie à la création d’un fonds européen de développement économique, social et écologique pour les services publics.
(2) Dépenser autrement : pré-recruter et former massivement des agents publics (éducation, hôpital, recherche, transport ferroviaire, énergie, …) ; changer les critères des aides publiques aux entreprises : soumettre les aides publiques aux entreprises à des conditions sur l’emploi, la formation, l’environnement, sous contrôle et suivi par les salariés et leurs représentants.
(3) Engager une refonte de la fiscalité : faire cesser la dégressivité fiscale. Pour les ménages comme pour les entreprises, le taux de prélèvements des « gros » est plus faible que celui des « petits » : il faut au contraire reconstruire une équité fiscale fondée sur une fiscalité directe et progressive. Utiliser pénalisation et incitation sur les entreprises, en instaurant des taux d’impôt sur les bénéfices différents selon que l’entreprise a développé l’emploi et l’investissement écologique ou non.
(4) Renforcer et développer la cotisation sociale, pour financer une bonne retraite à 62 ans, puis à 60 ans (voire plus tôt, selon les cas), en instaurant une cotisation nouvelle sur les revenus financiers des entreprises, en renforçant la contribution des revenus financiers des ménages, et en instaurant une modulation du taux de cotisation à la hausse pour les entreprises qui taillent dans l’emploi ou la masse salariale.
Voilà un cahier de revendications immédiates pour le mouvement social !
Voilà un programme de travail pour se rencontrer entre partis de gauche, associations et organisations syndicales du nouveau Front populaire et au-delà !
Plus généralement,
- Pour développer les activités nécessaires au bien-être social et au défi écologique, il faut commencer à agir tout de suite sur les choix de production, d’embauche, de recherche, de formation, d’investissement des entreprises en s’appuyant sur l’exercice de nouveaux pouvoirs par les salarié·e·s et leurs représentants, par les citoyen·ne·s et leurs élu·e·s.
- Pour stopper l’hémorragie industrielle : instaurer un moratoire sur les licenciements, mettre en place des comités de sauvetage pour chaque site menacé de fermeture, constitués des syndicats, élus locaux, directions d’entreprise, services de l’État, pôle financier public, avec un droit de tirage sur le crédit bancaire pour financer des solutions alternatives, allant jusqu’à la nationalisation si besoin.
- Pour faire reculer les logiques capitalistes des entreprises : mettre en place la sélectivité du crédit et une modulation fiscale incitative. En cas de création d’emplois, de décarbonation des processus, d’économies de capital et d’énergie, un accès à des crédits bancaires bonifiés pour réduire leur taux jusqu’à 0 % ou moins, un IS (impôt sur les sociétés) et des cotisations sociales au taux normal. En cas de destruction d’emplois, de délocalisations, d’investissements financiers, des surcoûts sur les taux d’intérêt, l’IS, et les cotisations sociales.
- Pour le pouvoir d’achat : dégeler le point d’indice des fonctionnaires et les retraites ; SMIC à 2 000 euros bruts ; pour les entreprises, convoquer une conférence sociale « salaires, emplois, formation ».
- Pour riposter à la politique hégémonique de Trump : taxer les exportations de capitaux en direction des États-Unis ; remettre en cause la négociation d’Ursula von der Leyen sur les achats forcés aux USA ; refuser l’augmentation des budgets militaires exigée par l’OTAN et quitter son commandement militaire ; prendre des initiatives avec les BRICS pour une monnaie commune mondiale qui fasse reculer l’hégémonie du dollar.
Quel rassemblement pour des avancées significatives ? Les mobilisations qui s’annoncent peuvent changer la donne, si elles convergent sur des solutions progressistes et surmontent les divisions entretenues par les forces de droite et d’extrême droite avec leurs discours sur l’immigration, l’assistanat des fainéants, etc. Il faut donc en faire un intense moment politique, à la hauteur du caractère systémique de la crise actuelle et des solutions de progrès à lui apporter. Pour dégager le chemin de politiques alternatives, il ne suffira pas de soutenir les mots d’ordre et les agendas syndicaux, il faut créer les conditions du rassemblement de la gauche politique, sociale et associative en mettant entre les mains de notre peuple le débat sur les questions et les solutions. Un an après la signature du programme du NFP, qui, avec ses limites, pouvait fournir une base pour proposer des objectifs à viser en commun et des moyens pour les atteindre, nous appelons les forces de gauche à la responsabilité de remettre l’ouvrage sur le métier, au courage de confronter publiquement les points de vue sur les améliorations à y apporter, avec l’intervention des citoyennes et des citoyens mobilisés contre le budget Bayrou.
Nous sommes disponibles pour informer, éclairer la compréhension, l’intervention citoyenne sur ces enjeux économiques et politiques, pour des débats dans les localités comme dans les entreprises. La recherche d’une issue politicienne à la crise actuelle, qui pour les uns mise sur des élections rapprochées au temps de campagne raccourci, et pour les autres se projette à Matignon dans le cadre d’une alliance au centre, est une impasse pour la gauche, lourde de risques pour notre pays.
Nous appelons l’ensemble des forces syndicales, associatives et politiques progressistes qui s’étaient déjà entendues sur le programme du nouveau Front populaire, et au-delà, à reprendre le chemin d’un large rassemblement pour le redressement du pays, sans lequel la porte du pouvoir s’ouvrira toute grande à l’extrême droite.
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