PCF / Medef : une élection, deux projets que tout oppose
Présidentielle À gauche, Fabien Roussel. À droite, Geoffroy Roux de Bézieux. Chacun dans son coin, PCF et Medef ont présenté, lundi, leurs propositions pour le scrutin d’avril. Deux visions du monde.
Hasard du calendrier, le PCF et le Medef ont présenté, lundi, à la même heure, leurs propositions pour la présidentielle. Deux projets que tout oppose, quand bien même Geoffroy Roux de Bézieux a tenté de coller à l’air du temps sans renoncer à ses fondamentaux, parsemant la présentation de son programme de concepts estampillés « nouveau monde », depuis l’incontournable « souveraineté industrielle » – « il y a encore cinq ans, le mot n’existait pas au Medef », a souri le dirigeant patronal –, jusqu’à la très consensuelle « croissance responsable ».
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« La coïncidence tombe bien car elle met en exergue deux projets diamétralement opposés. Nous ne considérons pas que le travail est un coût qui mérite d’être réduit, c’est la richesse de la France et le cœur du programme de Fabien Roussel », expose Ian Brossat, le directeur de campagne du candidat communiste.
Car, au-delà du ripolinage sémantique, le projet de société ébauché par le Medef ne change pas, avec la même sacralisation de la politique de l’offre : le prochain quinquennat devra accorder de nouveaux cadeaux fiscaux aux entreprises. Par ailleurs, le Medef passe à la moulinette notre système de protection sociale, jugé trop « coûteux », avec les plus fragiles pour premières victimes.
Le Medef passe à la moulinette notre système de protection sociale, jugé trop « coûteux ».
Le tout, alors même qu’un sondage Ipsos-Sopra Steria, publié dimanche 23 janvier, montre à quel point pouvoir d’achat et inégalités arrivent en tête des préoccupations des Français : 42 % des sondés font de la crise sociale le principal enjeu pour l’avenir du pays, suivie par la crise environnementale (33 %) et puis, bien plus loin, la « crise identitaire » (25 %). Dans ce contexte, place du Colonel-Fabien, le candidat du PCF à l’Élysée veut mettre en débat « des réformes positives, heureuses » : « augmentation générale des salaires », « droit universel à l’emploi », « semaine de 32 heures et retraite à 60 ans » y figurent en bonne place, financés par une tout autre répartition des richesses et une rupture avec la toute-puissance du marché.
« La France de la déprime, de la punition, je n’en veux plus. Je veux la France des jours heureux, qui propose des solutions, fait en sorte que les classes populaires puissent enfin croire dans la prospérité », a-t-il assuré tout en mettant « au défi le Medef ». « J’invite Geoffroy Roux de Bézieux à discuter avec moi des solutions pour que chacun de nos jeunes trouve un emploi, une formation et un salaire ! » a lancé le député du Nord, avant de livrer quelques-unes des 180 propositions qui constituent son projet.
Salaires : modération vs augmentation
MEDEF
Les aspirations salariales pour échapper aux fins de mois impossibles et aux restes à vivre indigents ne semblent pas être parvenues jusqu’au 55 de l’avenue Bosquet. Au siège du Medef, le sujet du pouvoir d’achat est tout bonnement snobé pour presque tout le monde. Pas de coup de pouce pour le Smic ni de réévaluation automatique de toute la grille des rémunérations. Et tant pis pour les travailleurs tombés dans la « trappe aux bas salaires », dont le net en fin de mois, lié aux exonérations Fillon, n’évoluera jamais. Quant aux privés d’emploi, ce n’est pas mieux : l’assurance-chômage doit intervenir en cas d’accident de parcours et non plus selon les droits cotisés.
Pour le partage de la valeur créée dans les entreprises, le patronat en reste à sa vision étriquée de l’intéressement et de la participation, jusqu’à présent réservés aux travailleurs des grandes entreprises, ou de tout autre mécanisme qui génère de nouvelles exonérations et défiscalisations, comme la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (Pepa) pour les PME de moins de 50 salariés. Et, comme le marché du travail demeure le seul juge de paix, le Medef appelle à attirer ou conserver les « meilleurs talents », via une nouvelle « baisse de 20 % des charges sociales salariales sur les emplois entre 2 et 4 fois le Smic ».
PCF
C’est la « première mesure » qu’il mettrait en œuvre une fois élu, c’est aussi celle qui arrive en tête de son programme dans un chapitre consacré à la « révolution du travail » : « la hausse généralisée des salaires ». Fabien Roussel veut faire de la lutte contre « la vie chère et pour le pouvoir d’achat le cœur de la présidentielle ». À commencer par l’augmentation des pensions de retraite à 1 200 euros au minimum et du Smic à 1 500 euros net « tout de suite ». Le député défend aussi une « conférence salariale » avec « l’ensemble des branches professionnelles » en vue d’une « augmentation générale ». Le candidat communiste – dont le parti s’est prononcé de longue date pour limiter de 1 à 20 les écarts de salaire au sein d’une même entreprise – annonce également son intention d’imposer « par décret le salaire minimum dans les 40 branches qui aujourd’hui ne l’appliquent pas ». « En six mois dans les services publics et en un an dans les entreprises privées, il n’y aura plus d’inégalité salariale entre hommes et femmes », promet le candidat, alors qu’elle s’élève en moyenne à 16 % malgré quatorze lois ces quarante dernières années… Pour y parvenir, un administrateur judiciaire sera nommé dans les entreprises défaillantes. Quant aux étudiants, ils bénéficieront d’un revenu entre 850 et 1 000 euros par mois, selon leur situation.
Emploi : loi du marché vs relocalisation
MEDEF
Voici une bonne nouvelle pour les 7,9 % de travailleurs privés d’emploi : le chômage n’est plus un problème. « On est entré dans une logique de baisse des chiffres sur une longue durée pour des raisons démographiques », estime Geoffroy Roux de Bézieux. Pour le président du Medef, la « mère des batailles » relève des « compétences » : tout le système d’emploi et de formation doit être orienté vers les besoins de main-d’œuvre des entreprises, condition sine qua non de la « compétitivité » de demain. Tout commence dès la formation initiale, par un lien plus étroit entre l’éducation nationale et l’enseignement supérieur avec les entreprises. L’apprentissage (et ses aides publiques) doit devenir la grande porte d’entrée des jeunes sur le marché de l’emploi (objectif « 2 millions d’alternants »). Quant à la gestion des « mobilités professionnelles », Pôle emploi conserve ses missions, mais sous étroite supervision des régions, avec contractualisation sur des objectifs territoriaux.
L’apprentissage doit devenir la grande porte d’entrée des jeunes sur le marché de l’emploi.
Garder les Français au travail plus longtemps demeure le grand dessein patronal. Pas les fonctionnaires – qui pourraient voir leur poste supprimé après une grande revue des dépenses publiques classant les « utiles », d’un côté, les « mauvaises », de l’autre –, mais tous les autres du privé. « Leur temps de travail au cours de la vie est inférieur à celui de nos voisins », déplore Geoffroy Roux de Bézieux, qui appelle donc à une nouvelle réforme des retraites.
PCF
« Je suis ch’ti, je vis dans le bassin minier qui a vu ses usines se délocaliser, en laissant du chômage et de la pauvreté. C’est terminé », assure Fabien Roussel. Car le candidat entend « bloquer les délocalisations ». Face au « grand déménagement industriel de la France (qui) se poursuit », il propose d’ « investir autant que de besoin » afin de « maintenir les emplois et les compétences ». Affichant l’objectif « d’éradiquer le chômage », il défend la mise en place d’un « droit universel à l’emploi », par opposition au « revenu universel » qui ne serait « rien d’autre qu’un revenu d’assistance garanti ».
Le candidat communiste prévoit la création de 500 000 postes dans les services publics.
En parallèle de la construction d’un « nouveau service public de l’emploi », il s’agirait de « commencer tout de suite par les jeunes » avec un système « zéro jeune au chômage » : « Nous trouverons une solution pour chacun, mais pas une solution à 500 euros avec un emploi précaire pour six mois comme le propose Macron. » Outre la relocalisation des productions industrielles et « 100 000 emplois d’utilité publique » dans les associations, le candidat communiste mise aussi sur les services publics : la création de 500 000 postes y est prévue, dont 100 000 à l’hôpital et 90 000 dans l’enseignement. Dans ce secteur, un dispositif de prérecrutement des jeunes serait mis en place, avec une formation rémunérée contre « un engagement de dix ans au service de l’État ». « Quand on dit que je suis le candidat préféré de la droite, ils n’ont pas dû bien lire mon programme », s’amuse le député.
Environnement : greenwashing vs écologie populaire
MEDEF
La Convention citoyenne pour le climat est l’exemple à ne plus suivre. Pour remettre de l’ordre dans la transition écologique, que le patron des patrons désigne là encore comme « la mère des batailles », le Medef appelle à un retour du « rationnel » dans les débats, avec l’apport de l’expertise de ceux qui savent, en premier lieu les chefs d’entreprise. Car, c’est promis, plus aucun d’entre eux, ou presque, n’est climatosceptique. Et si des scandales, comme le dieselgate, ont eu lieu, c’est du passé
Le patronat s’en remet à l’expertise des chefs d’entreprise.
Les patrons ne sont donc plus contre planifier les transitions, mais avec de la visibilité et selon un « principe général, dixit Geoffroy Roux de Bézieux : le calendrier de la transition doit être compatible avec la technologie ». Ce qui n’encourage pas l’audace. Décarboner l’appareil productif ? D’accord, notamment avec une relance du nucléaire. Instaurer une taxe carbone aux frontières ? D’accord, mais pas au prix de la sacro-sainte compétitivité des sociétés et avec une fiscalité avantageuse pour encourager les investissements. La carotte, oui ; le bâton, non merci.
PCF
Les relocalisations, insiste le candidat PCF, c’est aussi bon pour la planète : « Si nous sortons de notre trajectoire en matière d’émissions de gaz à effet de serre, c’est notamment à cause de nos importations. » Pour faire baisser la facture d’électricité et pour « sortir des énergies fossiles », Fabien Roussel promeut l’idée d’un « mix énergétique 100 % public », avec la nationalisation d’EDF et d’Engie, s’appuyant sur le renouvelable et le nucléaire avec la construction de six EPR. La question d’une alimentation de qualité – bio et circuit court – fait aussi figure de priorité afin que chacun puisse « manger sain et à sa faim », alors que « 5 millions de Français dépendent de l’aide alimentaire ». Pour cela, le candidat propose un fonds alimentaire de 10 milliards d’euros, la refonte de la PAC et l’objectif de 100 000 agriculteurs de plus d’ici à 2030. « S’il y a le feu à la planète, il faut y mettre les moyens, mais cela ne doit pas se faire contre les classes populaires », a-t-il martelé en plaidant pour une « prime de conversion de 10 000 euros » pour l’achat d’un véhicule propre, pour la gratuité des transports ou encore la rénovation énergétique de 700 000 logements par an. Pour dégager des moyens suffisants, il propose un « pacte pour le climat et l’urgence sociale en Europe » abondé, « comme le proposent les chercheurs du Giec », à hauteur de 6 % du PIB.
Travailler plus vs Travailler tous
MEDEF
Sans surprise, le patronat cherche à nous faire travailler plus longtemps… Mais, pour une fois, il n’est pas question de toucher à la durée légale de la semaine de travail, Geoffroy Roux de Bézieux estimant que les 35 heures ont été suffisamment « assouplies » depuis vingt ans. En revanche, le Medef plaide pour une augmentation du temps de travail durant l’année, avec une facilitation du recours aux forfaits-jours « sans négociation d’un accord d’entreprise ». Par ailleurs, le patronat veut nous faire travailler plus longtemps durant notre existence, avec sa réforme des retraites en deux volets : paramétrique et systémique. Sur le premier volet, l’objectif est l’augmentation progressive (trois mois par an) de l’âge légal de départ de 62 à 65 ans, à l’instar de ce que propose la candidate LR, Valérie Pécresse. Dans le même temps, pour toucher une pension à taux plein, un retraité devra avoir cotisé 44 annuités (contre 43 aujourd’hui pour les générations nées en 1973 et après). Les salariés exerçant des métiers pénibles seront évidemment les premiers pénalisés par cet allongement : le Medef assure qu’il faudra en tenir compte, sans donner davantage de précision. Le volet systémique de la réforme prévoit le dynamitage des régimes spéciaux, un mot d’ordre partagé aussi bien par LR que par Emmanuel Macron.
PCF
« Travailler tous, travailler moins, travailler mieux. » Voici ce que propose Fabien Roussel au sujet du temps de travail, avec la retraite à 60 ans à taux plein et la semaine de travail de 32 heures « sans perte de salaire ». « Cette mesure restituera aux salariés les gains de productivité qu’ils réalisent », expose le candidat. L’idée est de renouer avec le partage du travail entre tous, sachant que la productivité a été multipliée par trente au siècle dernier. Cela permettra aussi de réaliser des embauches, de faire des économies d’assurance-chômage et de rassembler davantage de cotisations sociales… tout en offrant un autre rapport à la vie, qui assure le développement de l’économie, de la culture, du sport, des loisirs et du tourisme. « L’allongement de la durée de vie doit améliorer l’existence au lieu d’allonger le temps de travail », note Fabien Roussel, qui propose des pensions de retraite à 75 % du revenu net d’activité, dans le public comme dans le privé, en comptant les dix meilleures années (ainsi que les six derniers mois de traitement indiciaire dans le public). La carrière complète ira de 18 à 60 ans « avec prise en charge des cotisations pour les périodes de non-travail (chômage, formation, études, congé parental, maladie, invalidité) », et des départs anticipés pour les métiers pénibles et les carrières longues.
Impôts : cadeaux fiscaux vs partage des richesses
MEDEF
Le robinet des ristournes fiscales était ouvert en grand durant tout le quinquennat d’Emmanuel Macron : le Medef n’a aucune envie de refermer les vannes. Dans son programme, le patronat réclame de nouveaux cadeaux en direction des entreprises. Geoffroy Roux de Bézieux salue la réforme de l’impôt sur les sociétés, qui doit tomber à 25 % cette année (contre 33 % au début du mandat d’Emmanuel Macron), mais presse le futur pouvoir de diminuer les impôts de production : taxe foncière, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), etc. Le Medef a même défini un objectif chiffré : tous ces prélèvements devront avoir baissé de 35 milliards d’euros d’ici à 2027. Par ailleurs, le patronat voudrait une nouvelle baisse des cotisations patronales, compensée par une hausse de la CSG et de la TVA, afin « d’améliorer notre compétitivité ». Autrement dit, ce sera à l’ensemble de la collectivité de financer ce nouveau cadeau fait aux entreprises.
PCF
« Reprendre le pouvoir sur l’argent qui coule à flots pour certains », c’est l’un des principaux objectifs de Fabien Roussel. « En 2017, 358 198 redevables à l’ISF ont déclaré un patrimoine net taxable de 1 028 milliards d’euros. Imaginez le pognon qu’ils doivent avoir aujourd’hui après tous les cadeaux fiscaux de ce gouvernement ! » pointe le candidat, qui prendra « 100 milliards sur les 1 000 », notamment via le triplement de l’ISF. « Soit 10 %, ça leur laisse de quoi voir venir », sourit-il. Pour « sortir de la soumission aux marchés », il s’agirait aussi d’en finir avec la règle des 3 % des traités européens et de permettre à la Banque centrale européenne (BCE), « qui a injecté 1 800 milliards d’euros dans l’économie » pendant la pandémie, de prêter directement aux États.
Fabien Roussel entend s’attaquer aux « vraies charges qui pèsent sur les entreprises ».
Afin de lutter contre l’évasion fiscale, le député souhaite instaurer le « prélèvement à la source des bénéfices des multinationales » et proposer une COP fiscale « au même titre qu’il y en a une pour le climat ». Quant aux entreprises, le candidat propose un « nouvel impôt sur les sociétés », modulé en fonction de leur politique sociale et environnementale. Contrairement à la droite et au Medef, qui veulent multiplier les exonérations de cotisations, Fabien Roussel entend s’attaquer aux « vraies charges qui pèsent sur les entreprises. Celles qu’imposent les banques avec des taux d’intérêt élevés, ou les assurances qui se font des montagnes d’or avec des primes insupportables ». Pour cela, la nationalisation de la BNP, de la Société générale et d’Axa figure en bonne place dans son programme
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