Crise d’orientation dans un groupe de presse aussi central que Bayard, activisme de milliardaires zélés comme Bolloré ou Stérin, attaques virulentes contre le pape ou la hiérarchie épiscopale, jugés trop « progressistes »… Les signaux se multiplient : à mesure qu’ils deviennent minoritaires dans le pays, une partie non négligeable des catholiques français, notamment les plus jeunes, cède aux sirènes des droites extrêmes.

C’était quelques jours avant la révélation par « l’Humanité » de l’embauche d’Alban du Rostu au sein de la direction du groupe de presse et d’édition Bayard. Après l’annonce mi-novembre du rachat surprise, aux côtés de Vincent Bolloré, d’une école de journalisme, l’ESJ Paris, voilà que l’ex-bras droit du milliardaire Pierre-Édouard Stérin, à l’origine du plan Périclès pour faire gagner les droites extrêmes dans les têtes et dans les urnes, venait d’apparaître dans l’organigramme interne, placé au service du nouveau président du directoire, François Morinière.
Alors contacté par nos soins, un journaliste du groupe, central dans le monde catholique en France avec ses titres phares comme la Croix, le Pèlerin et, pour la jeunesse, J’aime lire, Astrapi ou Okapi, voit la terre céder sous ses pieds. « On ne peut pas laisser Bayard tomber dans les mains de l’extrême droite », souffle-t-il, au diapason avec une majorité de ses collègues qui, en une semaine, feront reculer les actionnaires de la congrégation des assomptionnistes.
Sur le moment, sidéré, il ne cache pas son pessimisme. « Nos lecteurs vieillissent et les jeunes catholiques sont beaucoup plus radicaux que leurs aînés : ils n’aiment pas l’œcuménisme, l’ouverture à l’étranger, les débats et le consensus, tout ce qui faisait l’équilibre de notre ligne éditoriale. Pour eux, ceux qui défendent les chrétiens aujourd’hui, ce sont des figures comme Bolloré et Stérin en France, ou Trump dans le monde… Et plus vraiment le pape François, ou Bayard ! »
À Bolloré la propagande, à Stérin le financement de la « rechristianisation »
Crise dans le microcosme de la presse catholique, révélateur dans le macrocosme de l’Église en France. Tandis qu’Alban du Rostu avance dans le Point qu’il venait chez Bayard sans rôle éditorial, juste pour « ouvrir des parcs « Petit Ours brun » », Fabien Lejeusne, supérieur provincial d’Europe des assomptionnistes, tente de rassurer dans un courrier adressé aux auteurs jeunesse, pas complètement convaincus, même après le recul du groupe : « Il n’y a pas de bascule idéologique, nous nous tenons au milieu de la nef, ni traditionalistes, ni progressistes, ni extrême droite, ni extrême gauche. »
L’ennui, c’est qu’à mesure que cette nef se vide de ses fidèles, de gros ours bruns rabattent, à coups de milliards d’euros, la doctrine sociale de l’Église sur leurs propres névroses et, comme le souligne le politiste Yann Raison du Cleuziou, qui a notamment codirigé la précieuse somme « À la droite du Père, les catholiques et les droites de 1945 à nos jours » (le Seuil, 2022), les fidèles qu’ils appellent « observants », calés sur les positions les plus conservatrices, gagnent en visibilité et en influence, quand les autres courants se rétractent…

Dans le paysage, les rôles sont bien répartis. À Bolloré le conditionnement de l’opinion et la propagande : au-delà de « Paris Match » (désormais aux mains de Bernard Arnault) , Europe 1 et le « JDD », sa chaîne CNews a disputé à KTO la diffusion de la cérémonie religieuse des Holy Games sous la houlette de l’épiscopat français. À Stérin l’occupation de tous les terrains : à travers sa philanthropie, avec son Fonds du bien commun, mais aussi via des initiatives comme la Nuit du bien commun qu’il a cofondée, il finance à fonds perdu tout ce qui permet de « rechristianiser » le pays, des maisons de retraite aux patronages, en passant par les calvaires ou les écoles privées, sans oublier son projet Monasphère, abandonné devant les protestations, de créer des lotissements chrétiens…
Et des tas d’autres acteurs, plus modestes, prennent le relais, à droite et à l’extrême droite, pour taper comme des sourds sur le pape, jugé trop « progressiste » ou négligeant la « fille aînée de l’Église », sur les évêques décrits comme timorés, sur les curés qui, dans leurs homélies, ne parleraient jamais des sujets qui fâchent, comme l’avortement ou la fin de vie… Ou même sur le couturier Jean-Charles de Castelbajac qui a, selon ces voix, transformé la réouverture de Notre-Dame en « carnaval » en habillant les prélats avec ces couleurs chatoyantes, « de mauvais goût » et surtout en décalage avec la ligne liturgique du concile de Trente entre 1545 et 1563…
Un goût prononcé pour le culte le plus fastueux et rigide
Sans aller jusqu’à une nouvelle contre-réforme, les jeunes catholiques, devenant minoritaires et se vivant comme menacés par les musulmans, se constituent plus que jamais en contre-culture. Avec des codes vestimentaires, comme la soutane de retour chez les prêtres et pour les laïcs le sweat de la « Manif pour tous » ou les pantalons aux couleurs vives prisés dans les collectifs d’agit-prop réactionnaires (Hommen, Veilleurs, Sentinelles…). Mais surtout une fluidité totale entre des courants jadis séparés, avec un goût prononcé pour le culte le plus fastueux et rigide.
« Le vrai clivage n’est pas entre traditionalistes et charismatiques, mais entre ceux qui prennent le tournant du christianisme identifié et décomplexé et ceux qui restent dans l’Église des années 1980, où il faut s’excuser d’être chrétien », expliquait à « la Vie », il y a une dizaine d’années, l’abbé Grosjean, prêtre du diocèse de Versailles (Yvelines), qui fait figure d’ancêtre parmi les influenceurs cathos. Star de ces réseaux aujourd’hui, frère Paul-Adrien confirme, sur la base d’un « sondage » au sein de sa communauté numérique : « Ce que veulent les jeunes chrétiens en France, c’est plus de fermeté doctrinale, plus de sacré à la messe, et qu’on leur donne enfin les moyens d’être fiers de leur foi et de pouvoir le dire dans la société. »
Le temps joue en faveur de ces nouveaux « rebelles » de la foi, et ils le savent : alors que les séminaires diocésains subissent de plein fouet la crise des vocations, ceux des communautés, comme celle de Saint-Martin avec son décorum spectaculaire et ses moyens considérables – Proclero, son fonds d’investissement, détient des actifs d’une valeur de 100 millions d’euros –, font le plein et occupent désormais une place de premier rang dans les ordinations en France.
Une radicalisation encouragée sous Jean-Paul II et Benoît XVI
Moins nombreux mais plus visibles, les catholiques conservateurs cherchent toujours à frapper la rétine et les esprits. Ce qui ne va pas sans crispations dans tout le pays : à Solignac (Haute-Vienne), à Lagrasse (Aude) ou ailleurs, les prétentions expansives de religieux particulièrement intransigeants suscitent la colère des voisins des abbayes. À l’échelle nationale, les initiatives se multiplient pour réinstaller les catholiques conservateurs dans le débat et l’espace publics.
Pour les élites, il y a, depuis 2023, un « dîner des bâtisseurs », et de son côté le patronat chrétien se relance. Pour les masses, plus bourgeoises que jamais chez les pratiquants, les occasions de défiler ne manquent pas, de la prière de rue après la cérémonie jugée « blasphématoire » des JO aux sept routes de Notre-Dame cet été. Ces dernières années, un rendez-vous s’est imposé entre tous : le pèlerinage de Chartres, organisé autour de la Pentecôte par les traditionalistes de Notre-Dame de chrétienté et dont CNews a diffusé en direct la messe en latin qui l’a conclu. Un événement qui rassemble près de 20 000 participants.


« On est fondé à se demander qui sont vraiment les assistés dans notre pays », nous invite à penser Jean-Paul Delahaye, Inspecteur général honoraire et ancien Dgesco qui a placé la question de la pauvreté et de ses effets sur les élèves au centre du débat. Au prisme de ce sujet, il interroge et dénonce un système éducatif ségrégatif et inégalitaire. « En réalité, nous avons, sous l’effet du creusement des écarts sociaux et culturels, un système éducatif qui fonctionne par « Ordre », un peu au sens que cela avait sous l’ancien régime » affirme-t-il. Dans ce texte écrit à l’occasion d’un colloque national de la FCPE, il pointe la responsabilité et les effets des politiques menées.



« C’est une question démocratique fondamentale : voulons-nous une école publique forte et équitable, ou un système à deux vitesses où régneront la religion et l’argent ? » déclare Martin Raffet au sujet du financement public des établissements privés sous contrat. Martin Raffet est président de la FCPE Paris, il a saisi la Cour des comptes dans le cadre de la 3e campagne de participation citoyenne, « la transparence n’est pas une faveur, c’est une exigence démocratique » explique-t-il dans cet entretien au Café pédagogique.
Placée sous la tutelle du Ministère de l’Education nationale, l’UNSS représente plus de 9 200 associations sportives dans les collèges et lycées et près de 1,2 million d’élèves y sont licencié·es. Elle connaît une grave crise financière depuis 2022 et l’arrivée d’un nouveau directeur national et les responsables ressources humaines, finances et direction des sports qu’il a recruté·es. Un collectif de membres titulaires et suppléant·es de l’Assemblée Générale de l’UNSS remet en question la gouvernance, le modèle économique et le pilotage budgétaire mis en œuvre dans un courrier daté du 6 novembre 2024 adressé aux ministres de l’Éducation nationale et des Sports de la jeunesse. Le SNEP-FSU lance 