Stéphanie Roza : « La focalisation sur la race et le genre fait aujourd’hui écran aux questions sociales »

Philosophe spécialiste des Lumières et des précurseurs du socialisme, Stéphanie Roza vient de publier « La gauche contre les Lumières ? » (Fayard, 2020) dans lequel elle revient sur l’émergence, au sein de la gauche intellectuelle, d’une critique radicale contre les principes fondateurs des Lumières, au risque de jeter le bébé avec l’eau du bain. À l’heure où le rapport à l’universalisme, à la science ou au progrès sont au cœur du débat public, nous avons souhaité nous entretenir avec elle.

Le Comptoir : Dans votre livre, vous analysez la manière dont s’est développée dans une partie de la gauche, à partir des années 1970, une critique radicale contre l’universalisme, le rationalisme et le progressisme des Lumières. En quoi s’agit-il d’une rupture avec les critiques qui avaient déjà pu être observées depuis le XIXe siècle ?

Stéphanie Roza © Celine Nieszawer

Stéphanie Roza : Dès le XIXe siècle, il y a déjà des critiques du machinisme mais qui ne sont pas forcément dirigées contre le progrès en tant que tel. En revanche, au début du XXe siècle, des syndicalistes révolutionnaires en rupture de ban par rapport au mouvement socialiste et la Deuxième Internationale, comme Georges Sorel et un certain nombre d’intellectuels regroupés autour de la Revue socialiste, développent une critique très radicale du progrès. Ce dernier est accusé d’être une valeur portée par la République bourgeoise qui compromet le mouvement ouvrier avec la bourgeoisie républicaine. S’il s’agit d’une critique radicale de l’héritage des Lumières, ce n’est pas une critique du rationalisme. Sorel prend soin de distinguer le rationalisme des Lumières, critiquable car lié au progressisme, du rationalisme de Pascal au XVIIe siècle qui constitue à ses yeux le bon rationalisme. Continuer la lecture de Stéphanie Roza : « La focalisation sur la race et le genre fait aujourd’hui écran aux questions sociales »

En souvenir d’Anahita Ratebzad, dirigeante socialiste et mère de la libération des femmes afghanes

Anahita Ratebzad, debout à droite, s’entretient avec un groupe de militantes. | Famille Ratebzad via Twitter

Je suis à la recherche du livre collectif paru aux éditions sociales dont j’avais écrit le chapitre consacrée aux femmes de Biélorussie et du Tadjikistan. C’est dans le cadre de ce reportage qui avait duré sept semaines qu’il m’avait été donné la possibilité de rencontrer des femmes tadjiques et afghanes. Elles m’avaient étonnée par leur force et leur foi dans le communisme, ce qui n’était pas toujours évident ces années-là quand on se rendait dans l’URSS en proie à la perestroïka. Si quelqu’un a ce livre pourrait-il me le prêter, je l’ai perdu comme tout ce que j’ai écrit, y compris les reportages que je faisais pour Révolution et mêmes les photos qu’avait faites de moi Willy Ronis. Cela m’aiderait à réécrire cet indispensable témoignage sur ce que les femmes d’Asie centrale ont accompli. En attendant ce texte pose les jalons de la véritable histoire des femmes afghanes. Ces femmes ont été trahies par le capital et ses alliés mais elles l’ont été aussi par certains partis communistes dont le PCF de Robert Hue, Marie-Georges Buffet et Pierre Laurent, Patrick Le Hyaric qui ont inventé un féminisme petit bourgeois qui niait le combat historique des femmes communistes. Nous en sommes encore là.. (note et traduction de Danielle Bleitrach)

 PAR TIM WHEELER

Tous les journaux et les émissions de télévision en ce moment sont remplis d’histoires sur l’avenir sombre qui plane sur les femmes et les filles afghanes alors que les talibans reprennent le contrôle de leur pays. Le Guardian a publié à la fin de la semaine dernière un article d’une femme afghane anonyme qui a déclaré qu’elle cachait maintenant les deux diplômes universitaires qu’elle avait obtenus, à la recherche d’une burqa pour couvrir chaque centimètre d’elle-même alors que les fondamentalistes des talibans détestant les femmes se rapprochent. Continuer la lecture de En souvenir d’Anahita Ratebzad, dirigeante socialiste et mère de la libération des femmes afghanes

Moissac: Le contrôle de Police dérape in DDM + Communiqué de presse du PCF

Tarn-et-Garonne : obligation de port du masque: le contrôle de police dérape à Moissac

Françoise Fontanier en train de se relever, entourée des deux agents de la police municipale.
Françoise Fontanier en train de se relever, entourée des deux agents de la police municipale. Photo DDM

C’est en plein centre-ville, qu’un contrôle de police pour non-port du masque a mal tourné vendredi dernier. Une policière est tombée à terre et a déposé une plainte.

Que s’est-il passé vendredi dernier à l’angle de la rue Sainte-Catherine et de la rue de la République? Contrôlée par la police municipale, Françoise Fontanier, présidente de l’association Le Nouvel Amphi, a été maîtrisée au sol par l’un des agents. Une scène inhabituelle qui n’a pas manqué d’attiser la curiosité des passants. Une plainte a été déposée par la policière, tandis que Françoise Fontanier en aurait l’intention également.

Deux versions des faits s’affrontent en effet, et demandent une enquête approfondie.

Un contrôle pour non-port du masque Continuer la lecture de Moissac: Le contrôle de Police dérape in DDM + Communiqué de presse du PCF

RN/FN.: Un « verdissement » sur fond identitaire #moissac #lopez

Autour de la question du localisme, Andrea Kotarac (à gauche) et Hervé Juvin, ont articulé le virage idéologique de l’extrême droite. © Alain Robert/SIPA

Historien des idées au CNRS, spécialiste de l’extrême droite et de l’écologie politique, Stéphane François analyse les tentatives du parti de Marine Le  Pen de se doter d’un corpus idéologique en matière d’écologie. Entretien

Pourquoi et comment le RN – et le FN avant lui – tente-t-il de développer un discours écologique, alors qu’il a toujours été sceptique sur les questions environnementales et notamment le changement climatique ?

Stéphane François Les tentatives d’élaboration d’un discours écologique sont très récentes en fait… les premières datent des années 1990, lorsque Bruno Mégret était le numéro 2 du parti. Mais Jean-Marie Le Pen était sceptique et voyait dans l’écologie une « préoccupation de bobos ». Et, de fait, l’écologie était absente des programmes du parti. Il y a eu une deuxième tentative en 2011, lorsque Marine Le Pen devint présidente du FN. Elle chargea Laurent Ozon de piloter le comité d’action présidentielle « écologie ». Celui-ci était un vieux militant écologiste, il a dirigé une collection chez Sang de la Terre et était responsable du Recours aux forêts, la revue écologiste de la Nouvelle Droite. Sauf que ses propos sur le massacre d’Utoya l’ont poussé à démissionner de ce parti… La question écologique n’est redevenue importante que ces dernières années, avec l’arrivée à la fois d’identitaires, très portés sur le localisme, et d’Hervé Juvin, ancien barriste devenu proche de Corinne Lepage.

Discours en hommage à Jean Jaurès – 31 juillet 2021 par Patrick Le Hyaric

Mesdames, Messieurs les élus,

Chers amis,

Chers camarades,

Merci à chacune et chacun d’entre vous d’avoir à nouveau répondu présent à ce traditionnel hommage à Jean Jaurès, assassiné ici même il y a 117 ans.

Un hommage que nous rendons chaque été contre l’oubli et les récupérations.

Un hommage que nous rendons pour entretenir la flamme de la République sociale, laïque et démocratique.

Une célébration qui, au-delà de la mémoire de Jaurès, entretient l’héritage du mouvement ouvrier, socialiste et communiste, de ses acteurs et actrices qui arrachèrent les conquêtes sociales et démocratiques sans lesquelles la République serait un vain mot.

« Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? » demandait Jacques Brel. Cette question obsédante, lancinante, nous la posons toujours.

Pourquoi ont-ils perpétré ce crime qui laissa le mouvement ouvrier orphelin d’un de ses plus brillants représentants, et démuni face au tsunami de bombes, de gaz, de feu, de fer et de sang qui allait s’abattre sur l’Europe ?

Tuer Jaurès c’était, pour les forces nationalistes qui armèrent le bras de son assassin, remplir un double contrat : mettre à genoux le mouvement socialiste était une condition nécessaire pour engager les hostilités qui allaient, au nom des rivalités impérialistes et coloniales, détruire le vieux continent et engloutir la jeunesse paysanne et ouvrière dans d’innommables charniers. Cette jeunesse qui, reprenant le flambeau de ceux qui y restèrent, releva la tête grâce au mouvement communiste qui, comme une fleur au milieu des cendres, donna espoir et vigueur aux ouvriers et paysans de tous pays.

Célébrer Jaurès aujourd’hui, c’est aussi se souvenir de l’effort gigantesque mené par le mouvement ouvrier pour que la République sorte de l’étroit carcan dans lequel elle était maintenue par la bourgeoisie française, pour progresser et devenir indissociablement sociale et démocratique.

Quand la République devient un signifiant vidé de toute sa substance révolutionnaire, sociale et démocratique, quand elle est réduite en un « mot gourdin » que l’on assène sur la tête des classes populaires pour qu’elles se conforment à un ordre injuste, c’est le principe même de la souveraineté populaire qui tend à s’évanouir au profit de la souveraineté actionnariale et patronale.

Jaurès, déjà, observait la déchéance que provoquait la mainmise de la finance sur les affaires de l’Etat. Cette confiscation avait pour principale conséquence constatait-il, en plus de freiner les réformes sociales, de faire reculer la démocratie politique.

Lors de l’affaire de Panama qui allait éclabousser le pouvoir économique et politique au début des années 1880, le jeune député encore radical observait, je le cite, « que la puissance de l’argent avait réussi à s’emparer des organes de l’opinion et à fausser à sa source, c’est-à-dire dans l’information publique, la conscience nationale ». Il observait ainsi « qu’un Etat nouveau, l’Etat financier, a surgi dans l’Etat démocratique, avec sa puissance à lui, ses ressorts à lui, ses organes à lui ».

L’histoire ne bégayerait-elle pas ?

N’est pas ce le point où nous sommes aujourd’hui rendus ?

Celui où l’Etat se déleste de ses missions sociales et démocratiques pour n’être réduit qu’au rôle de béquille du capital ? Mieux, un Etat qui ne garantit plus l’intérêt général, mais qui se met à un point tel à disposition du capital, que ses compétences, sa force, ses lois servent chaque jour un peu plus les puissances d’argent ?

« Ce que nous défendons contre ces manœuvres louches des banquiers arrivés au pouvoir, ce n’est pas le prolétariat ouvrier seul, c’est l’ensemble des forces productrices de notre pays. J’ose dire que c’est aussi l’honneur du pays et de la France elle-même », clamait Jaurès dans sa plaidoirie devant la cour d’assises de la Seine en défense du journaliste Gérault-Richard, accusé d’outrages à Jean Casimir-Perier, ancien banquier devenu président de la République. Décidément, l’Histoire bégaye bel et bien…

Le taux vertigineux d’abstention qui s’accroit de scrutins en scrutins, indique la profondeur du malaise, le poids du divorce entre le peuple et ses représentants, entre les citoyens, leurs institutions, entre les travailleurs et la politique telle qu’elle est aujourd’hui menée. De démocratique, notre République tend à n’avoir plus que le nom.

Ce que l’on nous a vendu comme « fin de l’Histoire » ou « absence d’alternatives » ne sont, au fond, que les noces célébrées entre le capitalisme et l’Etat. Le citoyen, les travailleurs et travailleuses tantôt réduits au rang de consommateurs, tantôt à des forces de travail exploitables à merci ne l’acceptent plus et le font savoir, même en quand ils utilisent le silence des urnes. Un silence qui, du reste, n’a aucune portée révolutionnaire car il ne modifie en rien les rapports de force en leur faveur. 

« Dans une société paralysée, l’idéal social serait comme une fleur emprisonnée et stérile », prévenait Jaurès en 1911 du continent sud-américain où il donnait d’importantes conférences. Quand les institutions ne correspondent plus aux attentes populaires, quand le divorce se consume entre le peuple et ses représentants, quand l’évolution même des rapports sociaux se heurte aux privilèges, aux prébendes, aux dominations installées, c’est tout l’idéal social qui se meurt.

Voilà le but ultime et absolu des puissances d’argent : détruire dans l’œuf toute forme d’alternative au système de prédation des êtres humains et de la nature qui prévaut et nous menace désormais gravement.

C’est la raison pour laquelle la République est tant dénaturée, attaquée, vidée de ses contenus transformateurs, alors que l’issue aux actuelles impasses appelle un processus post-capitaliste, un processus communiste de transformations structurelles, sociale, démocratique, écologique. C’est Engels qui écrivait « la République démocratique est la seule forme politique dans laquelle la lutte entre la classe ouvrière et la classe capitaliste peut d’abord s’universaliser et puis arriver à son terme par la victoire décisive du prolétariat »

Fidèle au concept d’« évolution révolutionnaire » qu’il emprunte à Marx et en historien scrupuleux de la Révolution française, Jaurès avait saisi l’importance de la démocratie politique, nécessaire prélude à la démocratie sociale et à la société qu’il appelait alternativement socialiste ou communiste.

Aujourd’hui ,l’heure est à redoubler d’efforts dans les combats pour la reconquête et la conquête de nouveaux droits sociaux et démocratiques, qui impliquent de sortir de cette monarchie présidentielle, pour faire respecter un parlement élu à la proportionnelle, pour démocratiser les médias, pour que les travailleurs disposent de nouveaux pouvoirs d’intervention dans l’orientation et la gestion de leurs entreprises et services publics ; Oui , il est urgent de créer les conditions pour que le peuple puisse prendre son destin en main.

Aujourd’hui, de divers côtés, on se gargarise du mot « République ». Tout le monde se réclame d’elle, jusqu’à ses ennemis d’hier.

« Quand les hautes cimes ardentes et éclatantes s’éteignent », écrivait Jaurès en conclusion de son Histoire socialiste de la Révolution française, « quand la Révolution démocratique et populaire de 1793 et de 1794 pâlit et s’éclipse, quand la généreuse Révolution de 1848 est brutalement supprimée, on peut croire que la nuit est complète ; mais ceux qui regardent au fond des esprits, au fond des âmes, s’aperçoivent que dans la conscience ouvrière l’idéal survit secrètement, et à la moindre ouverture des évènements, la lumière jaillit de nouveau ». Il ajoutait aussitôt : « grande leçon pour tous les gouvernements de répression, quels qu’ils soient et de quelque nom qu’ils s’appellent. »

Loin de désarmer, c’est à cet espoir, assis sur l’histoire d’un peuple qui a défait les tyrannies et fait les révolutions, que nous nous raccrochons toujours. Le peuple français refuse la mise au pas capitaliste, le profilage de son pays aux normes du marché mondialisé, la dépossession de sa souveraineté.

Il le refuse confusément et ses colères ne trouvent pas encore de prolongements dans le sillon progressiste qu’il a toujours su tracer.

Les potentiels débouchés pour qu’émerge un puissant rassemblement populaire se perdent dans les méandres d’un jeu politique verrouillé, cadenassé que le pouvoir économique et politique organise autour d’une monarchie présidentielle renforcée.

Dans ses évolutions, le capitalisme menace désormais jusqu’aux conquêtes que l’on croyait les plus solidement ancrées dans le patrimoine politique de notre société. Le suffrage se fait censitaire, les peuples vivent sous le joug d’états d’urgence qui, de sécuritaires, deviennent sanitaires, pénètrent le droit commun et suspendent indéfiniment l’état de droit, aussi imparfait soit-il  ; les multinationales du numériques et les Etats collaborent pour ériger une société de surveillance qui bride les libertés individuelles et collectives, comme en témoigne le scandale Pegasus, du nom de ce logiciel espion vendu par l’Etat d’Israël aux mains de despotes et qui s’est immiscé dans le téléphone de l’une de nos journalistes reporter, Rosa Moussaoui.

C’est bien le développement actuel du capitalisme qui menace les libertés individuelles et collectives. « Le socialisme, au contraire », disait Jaurès en 1895 dans un essai saisissant titré Socialisme et Libertés, « et j’entends le socialisme collectiviste ou communiste, donnera le plus large essor à la liberté, à toutes les libertés : il en est, de plus en plus, la condition nécessaire. »

A une bourgeoise retranchée derrière ses jouissances égoïstes et sa liberté d’exploiter, il rétorquait : « Ils oublient que l’humanité n’épuise pas en une forme sociale, c’est-à-dire en une forme particulière et passagère d’action, ses ressources de désir et de bonheur. Demain, de la grande humanité communiste, monteront de nouvelles espérances et de nouveaux songes, comme des nuées aux formes inconnues montant de la vaste mer. »

Non, l’Histoire n’est pas finie. Mais, prenons garde qu’en se réveillant et guidée par les intérêts capitalistes, elle ne balaie à nouveau l’humanité d’une furie guerrière comme lors du siècle passé.

Lorsque Jaurès nous met en garde contre un capitalisme « qui porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage », il pointe ces infernales contradictions qui laissent l’humanité à la porte de son histoire, dans une préhistoire faite d’inégalités, de privations, d’exploitation, de prévarications, de folles courses aux armements, de modifications climatiques et de saccages de la nature aux conséquences incalculables pour l’humanité, d’impérialismes desquels naissent les conditions de déflagrations guerrières.

« Il faut, disait-il, résoudre les contradictions d’une société qui, en «mettant le travail d’un côté, le capital de l’autre», ne peut qu’« enfanter le désordre et l’agitation». Cette contradiction ne peut être résolue que dans ce qu’il appelait « le travail souverain », juste et logique continuation d’une citoyenneté souveraine. Mais sans citoyens souverains, le travail et la production resteront, eux aussi, les esclaves de la poignée de ceux qui en disposent par d’iniques titres de propriété.

« Il faut assurer à tous, disait-il, les moyens de liberté et d’action. (…) Il faut donner à tous une égale part de droit politique, de puissance politique, afin que dans la Cité aucun homme ne soit l’ombre d’un autre homme, afin que la volonté de chacun concoure à la direction de l’ensemble et que, dans les mouvements les plus vastes des sociétés, l’individu humain retrouve sa liberté. Enfin, il faut assurer à tous un droit de propriété sur les moyens de travail, afin qu’aucun homme ne dépende pour sa vie même d’un autre homme, afin que nul ne soit obligé d’aliéner, aux mains de ceux qui détiennent les forces productives, ou une parcelle de son effort ou une parcelle de sa liberté. » Écrivait-il encore en 1898.

Les libertés individuelles, démontre Jaurès, ne peuvent être assurées que par l’établissement de libertés collectives. C’est en cheminant vers la République sociale que se fortifie la République démocratique jusqu’à se fondre l’une, l’autre dans un nouveau régime. Et, a contrario, c’est en abandonnant son ambition à pénétrer dans l’arène du travail et de l’économie selon ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité que la République rebrousse chemin et trahit ses vertus démocratiques.

« La République, insistait-il devant la chambre des députés en 1904 lors des débats sur la loi de séparation des églises et de L’Etat, la République n’est pas un dogme. Je dirais presque qu’elle n’est pas une doctrine ; elle est avant tout une méthode. Elle est une méthode pour obtenir la plus haute efficacité possible de toutes les énergies humaines par la plénitude de la liberté. »

Aujourd’hui, la République se fige, se dogmatise comme un instrument non plus de liberté, mais de contraintes. Que l’extrême droite qui, il y a seulement quelques années, lui vouait sa haine, puisse aujourd’hui s’en réclamer  sans rougir et en toute tranquillité, témoigne des abandons successifs, des glissements à l’œuvre.

« Depuis que la Révolution française a fait la patrie une et indivisible, le patriotisme consiste à subordonner l’intérêt particulier à l’intérêt général. Mais lorsqu’une oligarchie puissante abuse de son pouvoir d’argent pour subordonner au contraire l’intérêt général à l’intérêt particulier (…) qu’on ne parle plus de patriotisme, qu’on ne souffle plus avec emphase dans des clairons fêlés. »

Combien sont celles et ceux qui s’époumonent aujourd’hui dans ces « clairons fêlés » en criant le mot République, baptisant pour les uns leur parti les Républicains, pour les autres la République en marche, nous rebattant les oreilles d’une conception frelatée et indigne d’une patrie vendue à la découpe au capital international.

Dans la bouche de nombre de responsables politiques, de ministres, mais aussi des agitateurs de la droite extrémisée, la République n’est plus que le carcan d’un peuple fantasmé ; une sorte de moule ethnique auquel chacun devrait se conformer, de gré ou de force. Cette propagande chauvine et xénophobe sert à détourner les regards, non sans succès, de la destruction méthodique de tous les piliers de la République sociale et démocratique.

La République « comme méthode », comme contrat social et démocratique, écologique et féministe, politique donc au sens le plus noble du terme, permettant à chacun de ses membres de se projeter dans un collectif pour inventer ensemble un destin commun, est peu à peu remplacée par un régime de coercition : contre les travailleurs, contre la jeunesse, contre nos concitoyens d’origine étrangère, contre une religion.

« L’humanité (…) n’a pas le droit de se désintéresser du nombre et de manifester son excellence seulement en quelques élus. Elle n’est pas une beauté idéale, se contemplant au miroir de quelques âmes privilégiées. Elle ne vaut pour l’individu humain que dans la mesure où il participe lui-même à la liberté, à la science et à la joie. », Écrivait-t-il toujours en 1898.

Chers amis, chers camarades,

Oui, Jaurès aura cherché sa vie durant et jusqu’à ce que son assassin ne l’empêche de poursuivre sa grande œuvre, à donner à la République française toute sa plénitude, à résoudre les contradictions qui enfermaient ses splendides principes de Liberté, d’Egalité et de Fraternité dans les abstractions bourgeoises.

Cette recherche incessante n’aura pas été vaine. Quelques vingt années après son assassinat, le Front populaire érigera les grandes lois sociales dont nous sommes encore tributaires, avec l’appui du peuple travailleur rassemblé. Et trente ans plus tard, le Conseil national de la Résistance formulera les grandes lignes de cette République sociale et démocratique dont Jaurès aura posé les jalons décisifs, rétablissant les libertés démocratiques en même temps qu’elle ôtait au capital une part considérable de son pouvoir.

Ce furent le système de retraites par répartition, géré par les travailleurs eux-mêmes, la nationalisation de grands moyens de production et d’échanges, la création d’une Sécurité sociale universelle et financée par les cotisations, le droit de vote enfin accordé aux femmes et l’institution des comités d’entreprises. Autant de conquêtes sociales et démocratiques aujourd’hui menacées au cœur d’une crise politique inédite. Voilà qui tend, une nouvelle fois, à valider l’intuition de Jaurès : quand la République sociale se meurt, les libertés démocratiques vacillent. Leur lien est absolu et quiconque cherche à les isoler, trahit la République.

Cet héritage de Jaurès, ce furent également les ordonnances garantissant, selon le programme du Conseil national de la Résistance, « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’Etat, des puissances d’argent et des influences étrangères ». Ces ordonnances traduites en une loi, la loi Bichet votée à l’initiative du député communiste Fernand Grenier, qui garantissait l’égalité des éditeurs face à la distribution et la solidarité entre éditeurs et coopérateurs, afin d’empêcher la mainmise des capitalistes sur le sésame de l’information.

La création du puissant outil d’information, du moyen d’éducation et de l’arme de combat qu’il nous lègue, l’Humanité fondée au printemps 1904, répondait déjà de cette exigence à libérer l’information des intérêts capitalistes et oligarchiques.  Un legs que nous avons le devoir de défendre et de développer.

En 1912, alors que la Bande à Bonnot multiplie ses méfaits, il écrit dans l’Humanité : « Je ne sais rien de plus ignominieux que l’exploitation journalistique et politique qui a été faite des crimes des bandits (…). Mais quelle abjection dans cette propagande de la peur ! Toute la presse a donné dans cette campagne de délire et de bassesse. Elle a donné aux bandits, dans des millions de cerveaux, des proportions formidables. » N’y a-t-il pas, pour aujourd’hui, quelques échos avec cette information continue et continuellement orientée pour maintenir le citoyen dans la tétanie, au moment où nous venons de célébrer, il y a deux jours, le 140ème anniversaire de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

La concentration de la presse dans les mains de l’oligarchie financière accouchait, selon ses mots, d’un « régime d’avilissement universel » qui « [empoissonne] toutes les sources de l’information publique ».

Face à une presse transformée en « organe des hommes d’argent » en « instrument payé des émissions menteuses », Jaurès redoutait qu’un journal pleinement indépendant ne devienne, toujours selon ses mots, « un des grands luxes de la pensée humaine ». Faut-il aujourd’hui le redouter à nouveau, 117 ans plus tard et alors qu’en haut lieu l’on a cherché à ôter l’Humanité à ses lecteurs et au courant révolutionnaire et communiste dont elle est l’héritière ?

La création de l’Humanité est bel et bien un legs politique de toute première importance qui participe aujourd’hui, comme il participait hier, du combat général pour l’édification d’une République indissociablement sociale et démocratique, pour la conquête de la souveraineté des travailleurs et des travailleuses sur leurs outils de production, et des citoyens sur le travail, pour la grande paix universelle pour laquelle Jaurès aura laissé sa vie.

Les moyens nous manquent pour faire chaque jour, chaque semaine le journal que nous souhaiterions offrir à nos lectrices et lecteurs.

Mais l’Humanité comme l’Humanité Dimanche restent des outils de débat, d’éducation et de combat à nul autre pareil l’émancipation humaine. Evoquant l’indispensable autonomie de la classe ouvrière, Jaurès écrivait en 1906, deux ans après la création de l’Humanité : « cette autonomie ils doivent l’exercer aussi dans l’ordre de la pensée en soumettant à leur libre critique, toutes les théories, toutes les tactiques, toutes les formes d’émancipation qui leurs sont proposés par des esprits libres ». C’est en ce sens qu’à la mi-novembre, nous allons considérablement rénover nos journaux, les relancer avec vous toutes et tous, avec la Société des lectrices et lecteurs, celle des Amis de l’Humanité et les comités de diffusion.

Une presse libre, le journalisme et la presse libre doivent former l’un des piliers de la nouvelle République que nous avons le devoir, avec les générations futures, de faire advenir.

Je vous remercie de votre attention.

3e samedi de mobilisation : le mouvement anti-passe prend de l’ampleur

Une foule nombreuse et hétéroclite a défilé le 31 juillet contre la « dictature sanitaire ».

Plus de 200 000 personnes ont manifesté le 31 juillet. L’hétérogénéité et l’atmosphère parfois confusionniste de la mobilisation risquent de profiter à l’extrême droite.

Pour son troisième samedi consécutif, la mobilisation contre le passe sanitaire n’a pas faibli, témoignant de l’enracinement de cette nouvelle colère dans le paysage sociopolitique français. Ils étaient, selon le ministère de l’Intérieur, 205 000 dans toute la France – dont 15 000 à Paris – à défiler contre le projet de loi samedi 31 juillet, contre 160 000 le samedi d’avant. Ce qui confirme que l’opposition prend de l’ampleur.

Icon VideoEn vidéo Les témoignages que nous avons recueillis dans le principal cortège parisien

Trois cortèges différents à Paris Continuer la lecture de 3e samedi de mobilisation : le mouvement anti-passe prend de l’ampleur

La vaccination des enseignants en débat in Caf Péda

Faut-il rendre obligatoire ou non la vaccination des enseignants et des élèves ? Le débat est lancé dans la majorité, sondage à l’appui. Le gouvernement tergiverse mais promet de « mettre le paquet » pour la vaccination des élèves. Pour les enseignants, il semble difficile de passer du refus de vacciner les enseignants en priorité à l’obligation vaccinale… Et on attend toujours le fameux protocole de rentrée promis pour début juillet…

Comment vacciner collégiens et lycéens dans les établissements ?

« A la rentrée nous allons mettre le paquet dans les collèges et les lycées pour vacciner à l’intérieur des établissements ». Sur Tf1 le 21 juillet, J Castex a promis de lancer la vaccination des collégiens et lycéens à grande échelle. Mais sans donner de détails sur l’organisation.

C’est que JM Blanquer est resté à peu près muet sur ce sujet. Le 18 janvier dans Le Figaro il a juste annoncé que « des dispositifs de vaccination seront installés dans les établissements scolaires » en ajoutant que ce serait « avec des personnels de santé externes au ministère de l’éducation nationale ».

La promesse lancée par E Macron le 12 juillet devra se contenter de ces formules vagues alors que l’on est à un mois de la rentrée. On ne sait ni par qui, ni comment les élèves pourront être vaccinés. Continuer la lecture de La vaccination des enseignants en débat in Caf Péda

Les enseignants ont une géographie in Caf. Péda.

Nous ne dirons rien de vos destinations de vacances  ! Mais la Géographie de l’école nous dit beaucoup de choses sur les territoires des enseignants. Si l’éducation est nationale, tous les territoires de la République ne sont pas appréciés des enseignants de la même façon. Dans un métier où la seule vraie récompense avec l’ancienneté est la possibilité de choisir son établissement, la Géographie de l’école dessine les territoires des jeunes et des vieux professeurs.

 

Profs jeunes et plus âgés

 

Que l’on appartienne au 1er ou au 2d degré, les territoires des jeunes et des vieux enseignants sont à peu près les mêmes. Ainsi les jeunes enseignants se trouvent surtout dans le bassin parisien, le nord et l’est du pays.Ainsi on compte 37% d’enseignants du 1er degré de moins de 35 ans en Seine Saint-Denis, 30% dans le Val d’Oise. C’est encore plus accentué dans le 2d degré avec 44% d’enseignants de moins de 35 ans en Seine Saint Denis.

 

La carte des professeurs de 50 ans et plus comprend, outre Paris, la pointe bretonne, les départements littoraux et certains départements ruraux. C’est la Corse du Sud qui a le maximum d’enseignants expérimentés (47% ) dans le 2d degré, suivie de la Haute Corse (43%), des Pyrénées atlantiques, du Finistère et de Paris (42%). Continuer la lecture de Les enseignants ont une géographie in Caf. Péda.

Près de 300 postes non pourvus aux concours du second degré in Caf. Péda.

Les déclarations sur la revalorisation ne suffisent pas. Cette année encore, l’Education nationale n’a pas réussi à remplir tous les postes proposés aux concours externes de certifiés et de professeurs de lycée professionnel (PLP). Si le nombre de postes non couverts est moins important qu’en 2020, la décrue s’amplifie du coté des candidatures. On a là une dynamique inquiétante.

300 postes restent vacants

2021 ne verra finalement pas une aggravation de la crise du recrutement des certifiés. En ajustant à la baisse l’offre de postes, le ministère réussit à avoir moins de postes vacants qu’en 2020 ou 2019.

Au final, trois disciplines n’arrivent toujours pas à remplir les postes proposés. En lettres classiques seulement 66 postes sont couverts pour 134 postes mis au concours. Il y avait 84 admissibles. C’est donc moins de la moitié des postes proposés qui trouvent preneurs. C’était déjà le cas en 2020 où 145 postes étaient proposés.  En allemand, 222 postes sont proposés et on ne compte que 156 admis. Il y avait 177 admissibles. En 2020 seulement 136 candidats étaient admis pour 242 postes. En maths, on compte 1067 admis pour 1167 postes proposés. Il y avait 1705 admissibles. En 2020 1045 candidats avaient été admis pour 1185 postes. Tous les postes en physique chimie et en lettres modernes sont pourvus ce qui n’était pas le cas en 2019. En lettres modernes, 810 candidats sont admis sur 1293 admissibles… Continuer la lecture de Près de 300 postes non pourvus aux concours du second degré in Caf. Péda.

Territoires de l’éducation : L’introuvable handicap de la ruralité + soutien au Caf. Péda.

Annoncée par JM Blanquer et poursuivie par N Elimas, la réforme de l’éducation prioritaire annonce une redistribution des moyens éducatifs en supprimant les Rep et en dirigeant leurs moyens notamment vers les territoires ruraux. L’éloignement rentrerait dans le calcul des subventions aux établissements. Dans ce contexte, la publication d’Education & formations (n°102), une revue du ministère (Depp), apporte un démenti cinglant au handicap rural ». Les articles confirment, avec des donnés très récentes, les bons résultats de l’école rurale avec un système éducatif offrant la même performance scolaire qu’en ville. Les collèges ruraux ont sensiblement plus de moyens que ceux des villes. Les enseignants y ont un profil un peu différent qu’en ville mais ils sont plus enclins à l’innovation. Si finalement l’orientation demandée par les élèves est moins ambitieuse scolairement qu’en ville, une étude relie cette réalité à la composition sociale des zones rurales et à un effet d’attachement au territoire. Rien dans la ruralité ne semble justifier la redistribution des moyens des Rep.

La même performance scolaire en zone rurale

La majorité de la vingtaine d’articles d’Education & formations (n°102) concerne le monde rural qui est bien au coeur des réflexions du ministère. Pourtant , on le verra, ces études contredisent l’a priori ministériel qui présente les zones rurales comme victimes d’un handicap qu’il faudrait compenser comme on le fait (et avec ses moyens !) du handicap social des zones prioritaires. Bien au contraire la revue montre des résultats scolaires et une offre scolaire équivalents à ceux des villes et des enseignants aux caractéristiques positives. Continuer la lecture de Territoires de l’éducation : L’introuvable handicap de la ruralité + soutien au Caf. Péda.